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Moyen Orient et Monde - interview

« Le pape François incarne l’Évangile ; il aime les pauvres et le peuple »

Dominique Wolton est le seul athée qui a pu discuter des heures avec le pape François, et de ce dialogue inédit est né un livre. L'auteur répond aux questions de « L'Orient-Le Jour ».

Dominique Wolton. Archives AFP

Pendant un an et demi, il a « dansé » avec le pape François. Français, athée, laïc, sociologue et obsédé par les enjeux de la communication au XXIe siècle, Dominique Wolton a réalisé le rêve de plus d'un milliard de fidèles : se réunir avec le souverain pontife à douze reprises pour discuter de son parcours, de sa foi, de sa vision, de ses craintes, de son appréhension de tous les grands enjeux de son époque. En ressort un dialogue aussi riche que spontané, parfois volontairement déstructuré, qui permet de mieux comprendre ce qui se passe dans la tête du pape et ce que son pontificat représente dans la longue histoire de l'Église. Les deux hommes ont pris plaisir à se rencontrer, plaisir à dialoguer, plaisir à se tester même, et c'est ce qui fait sans doute la réussite du livre. Mais, impressionné par cet homme en blanc à un mètre cinquante de lui, Dominique Wolton en a parfois oublié de questionner certaines de ses analyses un peu simplistes. Comme quand le pape attribue la responsabilité des guerres qui secouent le Moyen-Orient aux marchands d'armes. « Plus je parlais avec lui, plus c'était facile, et plus c'était difficile », confie aujourd'hui à L'Orient-Le Jour Dominique Wolton, en insistant tout de même sur un point fondamental pour comprendre les enjeux spatio-temporels de cette conversation : « Qu'est-ce que c'est compliqué de parler avec un pape ! »

Rencontre, dans le cadre de sa participation à la 24e édition du Salon du livre francophone de Beyrouth, avec le confesseur du pape et auteur d'un livre déjà traduit en quinze langues Pape François. Rencontre avec Dominique Wolton. Politique et société (éditions de L'Observatoire/2007). Un ouvrage qui sera probablement, même selon ses détracteurs, « le seul livre qui restera du pape en politique ».

Comment discute-t-on avec un pape? Comment lui dire qu'on n'est pas d'accord avec lui ?

C'est un homme en blanc, à un mètre cinquante de vous, qui est le chef d'un milliard trois cent millions de fidèles ! C'est assez impressionnant. J'avais préparé un bon plan de livre, mais ce que je n'avais pas prévu, c'est ce qui s'est passé quand il a ouvert la porte et que j'ai vu la douceur de son regard. Il y a véritablement eu une rencontre entre cet homme d'une grande intelligence et à l'extraordinaire simplicité et moi.
Concernant les désaccords, j'essayais d'évaluer la situation pour savoir quand je pouvais me permettre un droit de suite. Quand est-ce qu'il est possible d'appuyer et quand il serait préférable de ne pas le faire, ou de le faire ultérieurement. À certains moments, il avait aussi le courage de dire qu'il ne savait pas quoi répondre. J'ai senti quelquefois qu'il mentait. Et puis, parfois, il est fatigué, et parfois préoccupé.

Vous avez l'impression d'avoir tissé une relation spéciale avec lui ? Comment la qualifierez-vous ?

Une relation de connivence, d'amitié, de tendresse, et une forme de complicité. Il y a d'abord une dimension humaine fondamentale dans notre rencontre. C'est assez subjectif. Je pense qu'il m'a choisi et qu'il m'a apprécié parce que je ne suis pas italien, pas journaliste, pas curé, et que je suis très laïc.

 

(Lire aussi : « Pourquoi le pape ne parle pas du Liban ? »)

 

Vous semblez être déconcerté par tout ce qui vous rapproche, vous l'universitaire français laïc et athée, et lui, le pape du monde catholique.

Nous avons les mêmes obsessions pour la paix et pour l'amour du prochain. Nous avons tous les deux une vision idéaliste, nous partageons une théorie commune sur l'importance de la communication, et nous sommes tous les deux méfiants à l'égard des institutions. Je pense aussi que je me sens proche de lui du fait de son humour – il dit d'ailleurs que l'humour est ce qu'il y a de plus proche de la grâce de Dieu –, de sa passion pour la politique, de sa liberté d'esprit et de son non-conformisme.

Et qu'est-ce qui vous différencie ?

Il a la foi et je ne l'ai pas. Quand il me dit : « Priez pour moi », je lui réponds : « Je pense beaucoup à vous, mais je ne sais pas si c'est une prière. »

Votre métaphysique intellectuelle est pourtant très similaire...

C'est probablement pour cela que j'ai eu envie de faire un livre avec lui et pas avec ses prédécesseurs. Je suis persuadé, tout comme lui, que le principal enjeu de l'époque est de construire des ponts et d'abattre les murs.

François est le premier pape non européen, premier pape jésuite, premier pape de la mondialisation. Mais, sur le fond, qu'est-ce qui le différencie véritablement de ses prédécesseurs ?

C'est un pape laïc. Il parle comme un laïc. C'est un pape politique, mais dont la politique vient de la mystique. Il incarne l'Évangile. Il aime les pauvres, il aime le peuple. Il déteste l'argent qu'il qualifie de « fumier du diable ». C'est un mélange de franciscain et de ce qui fait la grandeur de l'Amérique latine, c'est-à-dire l'identité du peuple. Il aime les gens ordinaires. Finalement, les catholiques de droite ne l'aiment pas et les catholiques de gauche sont désemparés. Ses principaux soutiens sont les athées, les agnostiques et les révoltés.

Le pape fait une distinction entre ce qu'il appelle la grande politique, qui traite des grands enjeux de l'époque, et ce qu'il appelle la petite politique, qu'on pourrait qualifier de politique politicienne. Mais peut-il avoir une réelle influence sur la grande politique, alors que l'autorité spirituelle a fait acte de sa séparation avec le pouvoir temporel ?

Il n'a d'autres pouvoirs que les mots. C'est sûrement la personnalité la plus connue et la plus aimée de la planète. Certainement aussi la plus puissante, compte tenu de son influence à l'heure de la mondialisation. Finalement, même s'il ne peut pas gagner son combat de son vivant, il finira par triompher. L'homme est un être métaphysique qui ne peut pas se contenter de l'ère de la consommation. Et le pape, qui se rend compte de cela, met le doigt sur les limites de la mondialisation, sur les dérives du règne de l'argent et sur les désastres écologiques provoqués par l'homme.

Quand le pape met la curie au pas, ne fait-il pas de la petite politique ?

Non, car l'enjeu de la réforme, ce n'est pas de la petite politique. La question n'est pas la nomination ou non d'un cardinal. Il cogne fort, car il sait très bien que c'est à cette condition qu'il va pouvoir faire bouger les choses. C'est pareil pour la question de l'entrée des femmes dans la curie. Il sait que cela finira par arriver, mais pas de son vivant.

Vous expliquez à plusieurs reprises dans le livre que l'Église a « peur de ne pas être moderne ». N'est-ce pas paradoxal pour une institution dont le message se veut à la fois intemporel et universel ?

L'Église n'a pas à être moderne, mais elle veut l'être. Elle ne veut pas être traitée de conservatrice. Il y a deux sujets pourtant sur lesquels l'Église est en avance : la technique et la communication, ainsi que la diversité culturelle. L'Église peut répondre mieux que n'importe quelle autre institution aux enjeux de ce siècle parce qu'elle a le sens de l'altérité.

Vos entretiens avec le souverain pontife n'ont pas remis en question votre rapport à la foi ?

Ça me chahute là-haut, mais, pour l'instant, il n'y a pas d'impact.

 

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