Les Libanais sont mis à rude épreuve depuis que la guerre verbale entre le Hezbollah et Riyad s'est déclenchée. Ayant atteint un nouveau pic lundi dernier, les déclarations incendiaires inaugurées depuis quelques mois par le ministre d'État saoudien pour les Affaires du Golfe, Thamer al-Sabhane, ont fait raviver les craintes de voir dégénérer, sur la scène interne libanaise, le duel acharné entre les deux parties.
Le départ inopiné de Saad Hariri, lundi après-midi à Riyad, où il a rencontré l'homme fort du royaume, le prince héritier Mohammad ben Salmane, et M. Sabhane est survenu à l'heure où ce dernier se déchaînait pour la énième fois contre le parti chiite. Dimanche, M. Sabhane s'étonnait du « silence du gouvernement et du peuple » libanais. Lundi, il est revenu à la charge en écrivant dans un tweet : « Je m'adresse au gouvernement parce que le parti du diable (le Hezbollah) y est représenté et parce qu'il est terroriste. Il ne s'agit pas de faire sauter le gouvernement, mais il faut que ce parti saute. Ceux qui croient que mes tweets représentent mon propre point de vue se font des illusions. Ils verront dans les prochains jours ce qui va se passer. Quelque chose d'extraordinaire va se produire. Comme nous avons réussi à éliminer Daech (le groupe État islamique) et el-Qaëda, nous viendrons à bout de la tumeur cancéreuse au Liban. »
Hier, et après sa rencontre avec le Premier ministre libanais, le ministre saoudien a déclaré être d'accord avec son interlocuteur « sur plusieurs questions qui concernent le bon peuple libanais ». Quant à M. Hariri, il s'est dit convaincu d'être « totalement en phase avec les dirigeants saoudiens pour ce qui a trait à la stabilité du Liban et son arabité ». Même si ces déclarations semblent donner un ton d'apaisement, elles cachent en réalité une volonté claire de l'Arabie saoudite d'aller de l'avant dans son hostilité à l'égard du Hezbollah, devait confier une source proche du courant du Futur.
Si M. Hariri a été « convoqué » à Riyad, c'est bien pour qu'on lui transmette un message clair concernant la détermination de l'Arabie saoudite à poursuivre les pressions sur le Hezbollah, qui doivent désormais être relayées, d'une manière ou d'une autre, par les « alliés » du royaume au Liban, souligne-t-on de même source.
Le scénario envisagé pour ce relais serait celui d'une dissociation systématique des positions du chef du gouvernement et de ses alliés par rapport à celles du Hezbollah, tout en maintenant le gouvernement en place. Riyad aurait également « averti » M. Hariri du risque élevé d'une guerre régionale qui pointe à l'horizon et de la nécessité d'y prendre garde.
Le terrain de cet affrontement pourrait être Gaza, à défaut d'une action à la frontière entre le Liban et Israël. Cette thèse est également retenue dans les milieux proches du Hezbollah, où l'on estime qu'une action militaire rapide et ponctuelle à la frontière n'est pas non plus à écarter. Un cas de figure répercuté dans des études effectuées par des experts israéliens, assure-t-on de même source.
L'étau se resserre donc autour du Hezbollah à la faveur d'une attaque concertée entre les États-Unis qui viennent d'approuver un alourdissement des sanctions économiques à l'encontre du parti chiite, l'Arabie saoudite qui ne rate pas une occasion pour tirer à boulets rouges sur lui, et Israël, qui multiplie les menaces depuis quelque temps.
Thamer al-Sabhane a été on ne peut plus clair il y a quelques jours, en préconisant la nécessité « d'endiguer » le Hezbollah en œuvrant à « le réduire sur les plans intérieur et extérieur, et l'affronter avec force ».
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« Pas à envier... »
« Il s'agit de menaces directes et en crescendo », a commenté une source proche du parti chiite. Très attendu, le discours du secrétaire général du Hezbollah, Hassan Nasrallah, aujourd'hui au palais de l'Unesco à l'occasion du Congrès international des ulémas de la résistance, donnera la réplique à cette nouvelle escalade. Ayant estimé jusqu'ici pouvoir dissocier la scène libanaise de ses attaques virulentes à l'égard de Riyad, le chef du parti chiite pourrait être acculé à hausser encore plus le ton et amplifier les menaces en retour.
Après le retour de Saad Hariri du royaume, on attend aujourd'hui de savoir quels ont été les termes concrets de « l'entente » convenue avec ses interlocuteurs saoudiens et jusqu'où il serait prêt à aller dans la confrontation avec le Hezbollah.
C'est dans une situation très incommode que le Premier ministre se retrouve aujourd'hui, tiraillé entre d'une part son « entente » avec le CPL, qui a permis l'élection de Michel Aoun à la présidence et sa désignation à la tête du gouvernement, et d'autre part sa bataille de principe contre les armes du Hezbollah et son souci d'éviter les répercussions de la guerre des axes sur le Liban. C'est ce qui fera dire d'ailleurs à un observateur politique « qu'il n'est certainement pas à envier face aux défis qui l'attendent ». « S'il va se soumettre aux desiderata de Riyad, il prendra le risque de torpiller tous les acquis de ces derniers mois en matière d'entente et de stabilité interne », commente une source proche du Hezbollah.
En critiquant le « silence », comprendre la passivité du gouvernement face « au terrorisme » exercé par le Hezbollah dans la région, le ministre d'État saoudien pour les Affaires du Golfe rejoint ainsi la position du président des États-Unis, Donald
Trump, qui avait indiqué, en juillet dernier, que « le Liban est en première ligne dans le combat contre l'État islamique, el-Qaëda et le Hezbollah », lors d'une conférence de presse conjointe avec M. Hariri. Plaçant ce dernier devant le fait accompli, le président américain avait royalement occulté le fait que M. Hariri présidait un gouvernement regroupant des ministres du Hezbollah. À l'instar de l'administration américaine, c'est aujourd'hui au tour de l'Arabie saoudite de faire comprendre à ses alliés libanais que le combat contre l'emprise du Hezbollah passe inéluctablement par la coopération de toutes les parties libanaises soucieuses de couper les ailes du parti chiite et de le mettre au pas.
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commentaires (11)
Il faudra dans cette ambiance si morose éviter une nouvelle guerre civile .
Antoine Sabbagha
21 h 54, le 01 novembre 2017