La journée de réflexion sur les réfugiés organisée par le Centre d'études et de recherches pour le monde arabe (Cedroma) de la faculté de droit de l'USJ a renvoyé une image réduite des tensions qui s'exacerbent sur le dossier, atteignant un degré inédit d'identitarisme et de violence « malsaine, voire suspecte », pouvant préluder à de dangereux dérapages. L'approche juridique conciliatrice, soutenue par la doyenne de la faculté de droit, Léna Gannagé, et la directrice du Cedroma, Marie-Claude Najm, s'est avérée cruciale pour couvrir tous les aspects du dossier et déconstruire certains préjugés.
Les options du HCR
Le premier panel a donné le ton. Il n'aurait pu en être autrement, le groupe des trois intervenantes incluant la représentante adjointe du Haut Commissariat des Nations unies pour les réfugiés (HCR), Karolina Lindholm Billing. Elle a explicité la position du HCR sur la question du retour. Elle a ainsi rappelé que « la situation des réfugiés est temporaire et provisoire, et prend fin quand une solution permanente à leur problème est trouvée ». Cela n'empêche pas le « rapatriement volontaire » des déplacés, que le HCR cherche d'ailleurs à « faciliter », mais dans « des conditions sûres et dignes ». Une autre option pour le HCR serait la réinstallation du réfugié du pays d'accueil dans un pays tiers, occidental par exemple. C'est ce qu'on appelle « la réimplantation », a-t-elle expliqué, faisant remarquer que « ce terme est mal compris dans le contexte libanais ». En 2016, « plus de 19 000 réfugiés syriens au Liban ont été réinstallés dans plusieurs pays ». Il reste la dernière option, celle de « l'intégration locale » (naturalisation ou octroi d'une résidence permanente). Nuance : cette option n'est envisagée que « quand le gouvernement local le permet », ce qui n'est pas le cas du Liban, aussi bien au regard de sa Constitution que de sa politique, a-t-elle souligné, avant que les questions ne fusent.
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Craintes libanaises
Se faisant avec zèle l'écho du discours du chef de l'État, le modérateur du débat, l'ancien ministre Chakib Cortbaoui, a mis en cause le réalisme du « retour volontaire des déplacés », les déplacés ayant plus de motifs de rester que de rentrer. Il a surtout mis en doute la volonté réelle de l'ONU d'assurer le retour des déplacés, les puissances occidentales s'orientant plutôt vers leur maintien dans le pays d'accueil, selon lui.
Plusieurs voix de l'assistance ont également porté la crainte d'une « implantation de facto » des Syriens au Liban. Les formations académiques assurées aux jeunes déplacés en seraient une preuve. De même que l'inaction des instances internationales sur la question du retour, même après la création de zones de désescalade en Syrie. L'ONU s'est vu reprocher enfin son approche limitée à la gestion de crise plutôt qu'à la recherche d'une solution politique.
En réponse, Mme Billing a d'abord rappelé le principe onusien sur la question : « Faciliter le retour des déplacés, mais seulement en cas de garanties à leur sécurité durable dans leur pays d'origine. »
Elle a évoqué des sondages d'intentions effectués auprès de Syriens déplacés au Liban : « La majorité de près de 90 % dit vouloir, même rêver, de rentrer en Syrie, et va jusqu'à rejeter l'option d'une résidence au Canada ou aux États-Unis. » C'est toutefois l'incertitude sur leur sécurité qui entraverait leur retour. « Même s'il existe des zones de cessez-le-feu, ils n'ont pas confiance que celui-ci soit maintenu, encore moins qu'ils ne soient pas contraints à un nouveau déplacement. » Et de signaler qu'au cours de l'année écoulée, le nombre d'inscrits au HCR a diminué et près de 500 000 déplacements internes en Syrie recensés, sans que ceux-ci ne s'ajoutent à la masse fuyant la Syrie. Sur un autre plan, les formations assurées aux Syriens au Liban auraient pour objectif de « préparer leur retour », et non l'inverse. C'est par ailleurs cet objectif qui motiverait la récente initiative du ministère de l'Intérieur de faciliter l'inscription des naissances de Syriens au-delà du délai d'un an prévu par la loi libanaise, c'est-à-dire sans passer par la procédure judiciaire requise pour les Libanais, comme l'a expliqué le conseiller auprès du ministère de l'Intérieur, Khalil Gebara. Des divergences avec le ministère des Affaires sociales sur la légalité de cette exception ont discrètement pointé dans le débat.
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« Une morale à préserver »
Il reste que la vague de consternation qui s'est exprimée à l'égard de l'ONU reflète des craintes anciennes diagnostiquées par Alia Aoun, conseillère juridique principale pour les affaires humanitaires auprès du ministère des Affaires étrangères. « Les Libanais ont du mal à croire à la nature temporaire du statut de réfugiés » à cause de la présence depuis près de 70 ans des réfugiés palestiniens « sans perspective sérieuse de retour (...). D'où cette hantise de l'implantation de facto. D'où cette insistance à vouloir désigner les Syriens qui ont franchi les frontières du Liban, fuyant la guerre, comme des déplacés plutôt que des réfugiés (...) », a-t-elle souligné, dans son exposé des raisons de la non-adhésion du Liban à la Convention de Genève relative au statut des réfugiés. Indépendamment du bien-fondé de ces craintes, elle a estimé que l'adhésion à cette convention s'est « avérée être un impératif hypothétique (...) puisque le Liban déploie en pratique des efforts pour atteindre la finalité de la Convention (dont il n'est pas signataire, NDLR) ».
Aussi, M. Gebara a-t-il insisté sur l'application par l'État du principe de non-refoulement des déplacés. Une application pourtant contestée dans l'assistance au regard des arrestations arbitraires, souvent secrètes, de déplacés aux frontières. S'il est malgré tout une « morale à garder sauve », il faudrait « a minima une politique gouvernementale responsable qui régisse les conditions du séjour des déplacés syriens présents sur le territoire libanais », selon les termes de Mme Aoun.
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Failles de la politique interne
Or cette politique souffre de nombreuses failles, pointées du doigt par Maja Janmyr, professeur de droit des migrations à l'Université d'Oslo. Elle a décrit le manque de rigueur particulier au Liban dans la catégorisation des réfugiés (enregistrés, inscrits, réfugiés selon la convention de Genève ou déplacés qui tombent sous la coupe du HCR, réfugiés vulnérables, migrants travailleurs ou socio-économiques...). À titre d'exemple, la nouvelle politique mise en œuvre depuis octobre pour tenter de réguler la présence des Syriens n'accorde un permis de séjour que dans deux cas stricts : l'existence d'un sponsor libanais ou l'enregistrement au HCR. Le hic est que le gouvernement a dans le même temps interdit cet enregistrement, contraignant ainsi les déplacés non enregistrés à rechercher un sponsor. Outre le risque de chantages immoraux auxquels certains déplacés se voient livrés pour obtenir un parrainage, celui-ci conduit à les placer de facto sous le label des « migrants de travail ».
Cela pourrait expliquer en partie les griefs des industriels locaux transmis par le président de l'Association des industriels libanais, Fady Gemayel. « La question syrienne est venue se greffer sur le problème structurel de l'économie libanaise », a-t-il dit, évoquant la récente émergence de « 2 000 industries tenues par des Syriens qui rivalisent avec les PME libanaises », mais aussi « l'augmentation de la contrebande aux frontières », ce qui signifie que les déplacés font leurs achats à l'étranger, non au Liban. Se fondant sur des rapports de la Banque mondiale, les industriels proposent une solution globale, qui donne la priorité à l'embauche de Libanais et prévoit d'investir dans des zones industrielles frontalières pour accueillir la main-d'œuvre syrienne.
Alors qu'un amendement de la Convention de Genève s'impose – surtout pour ce qui est de la qualification de réfugiés – comme l'a clairement exposé la vice-doyenne de la faculté de droit de l'USJ, Aïda Azar, un pacte international des réfugiés attend d'être adopté par l'Assemblée générale de l'ONU en 2018, avec pour ambition d'apporter une réponse globale aux défis nouveaux engendrés par la crise actuelle.
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Absence d'une diplomatie offensive
Encore faut-il que le Liban soit prêt à tirer profit de ce pacte, sachant qu'il a manqué jusque-là, pour des raisons politiques, à exercer une diplomatie offensive en la matière. Ainsi, Ziad Sayegh a valorisé « la démarche inédite du président de la République » pour le retour des déplacés à travers les messages qu'il a adressés aux représentants des cinq États membres permanents du Conseil de sécurité et le représentant du secrétaire général de l'ONU. Il a toutefois déploré qu'aucune démarche n'y ait fait suite. « Pourquoi le Liban n'a toujours pas envoyé de lettre officielle à l'ONU pour expliciter sa position et arracher au Conseil de sécurité si ce n'est une résolution, du moins un communiqué protégeant ses intérêts ? Pourquoi n'a-t-il pas demandé une réunion urgente de la Ligue arabe pour faire entendre ses griefs ? Pourquoi n'a-t-il pas réclamé aux instances onusiennes présentes sur le territoire libanais de coordonner leurs actions avec celles présentes en Syrie, de sorte à couper court au débat stérile autour du dialogue avec Damas ? Et surtout pourquoi le Liban est-il absent des négociations de Genève et d'Astana ? » La réponse, selon lui, est que « d'aucuns ont veillé à priver le Liban de son ombrelle onusienne et à violer la souveraineté du pays sous prétexte de la protéger ».
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commentaires (5)
Savez-vous planter les choux ? Avez-vous pense que la raison de la communaute international de refuser de collaborer ressort d'une crainte ou d'un plan d'un conflit qui pourrait eclater dans la region dite " du regime", et que ca pourrait envenimer la condition de "refugies" rapatrier inoportunement.
SATURNE
16 h 08, le 25 octobre 2017