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À La Une - reportage

"Pour tuer un seul combattant de l'EI, dix civils sont tués"

A Raqqa, les civils sont pris au piège et utilisés par le groupe jihadiste comme boucliers humains

En se repliant à Raqqa vers leurs derniers réduits, les jihadistes du groupe Etat islamique (EI) embarquent avec eux par la force des civils terrorisés, qu'ils utilisent comme boucliers humains dans leur ex-"capitale" du nord syrien. Sur la photo, Oum Alaa qui a fui Raqqa à pied avec sa famille. AFP / BULENT KILIC

En se repliant à Raqqa vers leurs derniers réduits, les jihadistes du groupe Etat islamique (EI) embarquent avec eux par la force des civils terrorisés, qu'ils utilisent comme boucliers humains dans leur ex-"capitale" du nord syrien.

Des familles entières se retrouvent entassées dans les appartements où les jihadistes se sont retranchés. Et quand des combattants vont puiser de l'eau, les civils sont là pour les protéger.

Face à l'offensive d'une alliance arabo-kurde, les Forces démocratiques syriennes (FDS), les jihadistes sont acculés dans leurs dernières poches de Raqqa, visée quotidiennement par les raids de la coalition internationale emmenée Washington.

A deux reprises, Oum Alaa et sa famille ont été forcées d'accompagner des jihadistes, raconte cette mère endeuillée, quelques heures après avoir fui Raqqa, à pied.
"Il y a plusieurs semaines, un combattant irakien (de l'EI) a fait irruption dans notre maison et nous a dit qu'on se trouvait dans une zone militaire", se souvient-elle, assise à l'extérieur d'une mosquée de Hawi al-Hawa, dans la banlieue Ouest de Raqa.

Avec son mari, son fils et son petit-fils de deux ans, Oum Alaa avait été déplacée vers un immeuble voisin, les jihadistes refusant de les laisser partir malgré leurs supplications. Trois jours plus tard, ils sont transférés vers un immeuble du quartier ravagé d'al-Badou, où ils retrouvent d'autres familles.
"On était des boucliers humains. Ils nous gardaient pour se protéger", lâche le mari, Abou Alaa, une épaisse ceinture en cuir serrée à la taille pour retenir un pantalon trop grand pour lui.

Comme tous les civils interrogés par l'AFP, il s'exprime sans donner de nom de famille, par peur de représailles contre des proches encore pris au piège.

(Lire aussi : Les jours de l'EI à Raqqa sont comptés, selon l'alliance antijihadistes)

 

"Il n'est jamais revenu"
Alors que les FDS ont repris progressivement 90% de Raqqa, grâce aux bombardements de la coalition, des dizaines de milliers de civils ont réussi à fuir les combats.
Mais dans leurs derniers réduits, les jihadistes se sont retranchés dans des immeubles résidentiels où se trouvaient encore des civils, assure Mohannad.
"Ils ont essayé de s'installer au sous-sol, ou au premier étage de nos immeubles, pour se protéger des frappes aériennes", précise cette mère qui a pu fuir al-Badou avec ses quatre enfants.

Alors que les combattants de l'EI s'installaient dans des maisons abandonnées, Mohannad mettait du linge au balcon des appartements vides de son immeuble pour faire croire aux jihadistes qu'il y avait encore du monde. Mais elle et ses enfants ont ensuite été contraints par les jihadistes de se déplacer quatre fois. Et à leur arrivée dans le quartier d'al-Badou, il n'y avait rien à manger.

Quand les civils sont autorisés à aller chercher de l'eau, ils sont retenus de longues heures au puits, se souvient Oum Mohammad. "Les combattants puisent de l'eau en premier, et les civils doivent attendre leur tour pendant des heures, pour les protéger des frappes aériennes", lâche-t-elle.

Son aîné de 19 ans, Mohammad, quittait la maison à l'aube et s'absentait parfois six heures pour aller chercher de l'eau. "Il y a quelques jours, il est parti et il n'est jamais revenu. On a appris qu'il y avait eu une frappe aérienne. Je n'ai même pas retrouvé ses sandales", poursuit Oum Mohammad.

 

(Lire aussi : De retour à Raqqa, des habitants pleurent une ville totalement défigurée)



"Ralentir les opérations"
Mardi, un raid aérien imputé à la coalition a tué 18 civils rassemblés pour puiser de l'eau à Raqqa, selon l'Observatoire syrien des droits de l'Homme (OSDH).
Fin septembre, la coalition internationale antijihadistes a reconnu la mort de 735 civils dans ses raids en Syrie et en Irak depuis 2014. Mais selon l'OSDH, des centaines auraient été tués uniquement à Raqqa depuis le mois de juin.

Oum Alaa a d'ailleurs perdu son fils dans une frappe aérienne. Le pharmacien est mort alors qu'il aidait des civils blessés. "Pour tuer un seul combattant de l'EI, dix civils sont tués", déplore-t-elle, la voix tremblante en enfilant des chaussettes noires sur les pieds minuscules de son petit-fils Hassan. "Ils se tirent dessus et on est au milieu", lâche-t-elle.

Des civils pourraient être retenus en otage par des jihadistes de l'EI, notamment dans un hôpital du centre de Raqa, selon le porte-parole de la coalition, le colonel américain Ryan Dillon.
"La coalition fait extrêmement attention lors de ses préparations et ses opérations pour s'assurer qu'aucun dommage n'est infligé à des civils innocents", a-t-il indiqué à l'AFP.

Mais ces précautions "ne suffisent pas", déplore Nadim Houry, directeur du programme de Human Rights Watch sur le terrorisme et le contre-terrorisme. "Les civils pourraient être sauvés. Cela pourrait signifier parfois ralentir les opérations, progresser plus lentement, prendre plus de précautions, peut-être ne pas utiliser une bombe massive contre un sniper", souligne-t-il.

 

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