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Liban - La vie, mode d’emploi

85- Le salut par le pouvoir

La jouissance qu'il y a à commander, vous l'expérimentez dans toutes sortes de relations et de situations : du simple contact au compagnonnage quotidien, que vous soyez au restaurant, au bureau ou sur les routes.

Vous sentez bien alors que tout est dans le ton. Par lui, on vous signifie le pouvoir et le plaisir qu'on a de vous agresser alors qu'on vous demande du sel, un papier, un renseignement. Vous êtes hors de vous et c'est précisément ce qu'on a, d'abord, recherché : prendre votre place, là où vous semblez connaître la paix et le repos. Mais comme la place n'est rien et que tout est dans la personne qui s'y installe, on ne connaît pas la paix et on vous a arraché à la vôtre, conquise de haute lutte ou obtenue par grâce spéciale. Alors, le plaisir devient de vous envoyer au diable vert ou rouge, selon que vous êtes taureau ou daltonien. Et c'est si vrai que, sous le coup de la colère, vous voyez rouge et, même si vous avez une forte propension à l'optimisme, vous ne réussissez pas à tout voir en rose.

Capacité de commander, mais aussi, nous dit Pascal, capacité d'incommoder, tel est le pouvoir : vous laisser debout alors qu'il est, lui, confortablement assis dans son fauteuil ; vous couper la parole alors que vous venez tout juste d'ouvrir la bouche ; vous imposer de lui remettre votre bilan chiffré de l'année dans les plus brefs délais alors qu'il savait que vous aviez projeté un dîner romantique avec votre conjoint ou, à défaut, une lecture romanesque.

L'auteur des Pensées nous propose une clef rationnelle de ces pratiques susceptibles de revêtir, comme il le reconnaît, les formes les plus extravagantes dont la pire n'est pas celle de marcher à reculons. Elles seraient le signe de la capacité de mobilisation du pouvoir et, dans le cas d'un souverain, la garantie d'avoir « à disposition » des hommes prêts à mourir pour lui. Mais réservons aux esprits éminents les grandes symboliques de la politique et contentons-nous, modestement, de cogiter sur nos petites existences entre auto, boulot, méli-mélo et dodo. Sur ce chapitre de la puissance d'enrôlement, une histoire m'a été rapportée par une amie qui montre quel degré de ridicule (et de sadisme) peut atteindre le pouvoir grisé par son succès.

Avec ses collègues, elle fut mobilisée, un soir, par son chef d'entreprise pour assister à une conférence sur les moyens d'accroître la productivité par la créativité. Le conférencier, intelligent et honnête, a témoigné de sa longue expérience de laquelle il ressortait que l'employé le plus créatif était celui qui avait une autre vie (culturelle, sociale, spirituelle, etc.) que celle dans l'entreprise ; il puisait, en effet, dans cette autre vie pour donner de la vraie vie à son entreprise. Mais le patron, lui, n'ayant retenu que le pourcentage élevé de la mobilisation de ses subordonnés et tout le tapage médiatique fait autour de cette « levée de troupes » réussie, les « convie », depuis lors, plusieurs fois par semaine et en soirée, à des séminaires, workshops, ateliers, etc. de sorte qu'ils n'ont même plus de vie seulement personnelle !

Concernant cet exercice brutal ou stupide du pouvoir, le problème n'est plus de découvrir sa raison d'être, car il suffit d'une connaissance psychologique élémentaire pour voir que derrière ces pratiques, se cache une blessure qui saigne et purule (dixit Pascal encore), mais de savoir comment réagir à ces ruades de bête malade : garder le silence et, bientôt, ne pouvant vous couper la parole, il vous coupera les vivres et trucidera votre âme ? Répliquer, et c'est tout l'univers qu'il voudra faire saigner et puruler ? Se mettre debout sur la tête afin de satisfaire sa rage de vous incommoder et il y verra une effronterie qui mérite de faire rouler dans le panier cette tête qui le défie ?

Attention ! Ne vous laissez pas emporter par votre propre fureur : le pouvoir sait aussi s'affliger sur l'extinction d'une tribu en Amazonie comme le lui a appris son adorable présentateur télé. Il vient de faire rougir les yeux de sa vieille femme de ménage qui ne s'est pas empressée de lui amener les bonbons qu'il aime sucer à cette heure, devant son écran, mais il se lamente intérieurement sur la disparition de quelques cannibales et se demande comment œuvrer à leur salut. Ainsi jouit-il et de son piétinement et de son apitoiement, dans un cœur aussi immense que la forêt amazonienne... et aussi ténébreuse qu'elle.

 

 

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