5 juin 1985. Alors que j'étais à la maison avec mes parents, mes frères et sœurs, des coups de feu ont retenti. Ils venaient de la périphérie du camp palestinien de Sabra.
Les attaques contre le camp avaient commencé il y a déjà dix jours. Les immeubles y étaient presque tous entièrement détruits. Nous observions la situation un peu à l'écart, espérant un retour au calme. Nous espérions aussi que les violences n'atteignent pas notre quartier, où Palestiniens et Libanais vivaient en bons termes.
Ce jour-là, les choses semblaient toutefois différentes. La tension était palpable. Mes parents ont alors eu le sentiment que nous n'étions plus en sécurité. Ils ont rassemblé quelques affaires et nous ont annoncé que nous devions partir.
Je n'étais pas d'accord. Je ne voyais pas de raison de quitter la maison. De plus, il m'était difficile de me déplacer avec la jambe cassée.
Comme j'étais l'aîné des enfants, j'ai décidé de rester et de garder la maison jusqu'à ce que ma famille revienne, une fois que la situation se serait améliorée. Ma grand-mère, qui était elle aussi réticente à partir, a déclaré qu'elle resterait avec moi, affirmant que grâce à sa nationalité libanaise nous ne craignions rien.
J'aurais dû faire confiance à l'intuition de mes parents et fuir avec eux. Quelques heures après leur départ, des hommes ont fait irruption chez nous et m'ont enlevé, sous le regard impuissant de ma grand-mère. Cinq jours plus tard, mon frère, Wadih, connaîtra le même sort.
Le 17 juin, un cessez-le-feu sera signé à Damas. Le nombre de disparus et de morts lors de ce qu'on appelait « la guerre des camps » reste à ce jour inconnu. La « guerre des camps » (entre le mouvement Amal et les Palestiniens). C'est l'une de ces guerres qu'on préfère oublier. Effacer les victimes, faire taire leurs familles, refermer le dossier, éviter d'affronter l'inconfortable passé... Toujours au prix de la souffrance des familles. Ces familles que le silence et l'incertitude minent et qui tentent désespérément de faire face à l'absence. Notre mère a continué à parler à ses deux fils, comme s'ils étaient toujours là.
Mon nom est Jalal Abed. Mon frère s'appelle Wadih. Ne laissez pas notre histoire s'interrompre ici.
* « Fus'hat amal » est une plateforme numérique qui rassemble les histoires des personnes disparues au Liban. Le projet est financé par le Comité international de la Croix-Rouge, l'Union européenne, le National Endowment for Democracy et la Fondation Robert Bosch.
Des histoires d'autres personnes ayant disparu durant la guerre sont disponibles sur le site Web de Fus'hat amal à l'adresse: www.fushatamal.org
Si vous êtes un proche d'une personne disparue, vous pouvez partager son histoire sur le site du projet ou contacter Act for the Disappeared aux 01/443104, 76/933306.
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