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Ces saints que l’on ne saurait voir

Je demande pardon d'avance à ceux qui ont écrasé une larme d'émotion à ce spectacle bizarre vu du ciel : la statue géante, supposée représenter saint Charbel, traversant à dos de remorque les contreforts du Sannine jusqu'à Faraya où lui a été alloué un rond-point. Je fais partie de ceux que la scène rend mal à l'aise, ces 40 tonnes de résine prêtes-à-adorer.

Certes, dans notre pays multiconfessionnel, la religion cristallise les appartenances et les identités, soutenue par toutes sortes d'objets et symboles de culte. Sans les touchants ex-voto qui surgissent au détour d'un virage mal indiqué ; sans les fresques criardes étalées sur les murs des églises, soulignées en grosses lettres du nom de leurs « donateurs »; sans les fabriques de saints de plâtre, industrie singulière dont les drôles d'idoles peinturlurées à la chaîne s'alignent hagardes sur les bas-côtés, le Liban ne serait pas le Liban. Tels hameaux reculés qui ont vu naître, et pour cause, la vocation d'exceptionnels ascètes, ont été transformés en quelques années en vrais parcs à thème. Évidemment, il n'existe pas de temple sans marchands du temple. Lourdes, Fatima ou Medjugorje donnant l'exemple, il n'y a pas de raison que nous soyons en reste, et l'Église, on le comprend, a besoin de rassembler ses fidèles et faire tourner sa machine.

L'art religieux, dans ses formes les plus nobles, est pourtant un puissant véhicule de l'idée du divin. Une icône s'« écrit », elle est Écriture, et la contempler, c'est déjà prier. La Pietà de Michel-Ange, sa composition triangulaire qui symbolise la Trinité, la sérénité de la Mère et du Fils, cette dent surnuméraire imperceptible qu'ajoute l'artiste au Christ et qui représente le mal, soit les péchés du monde qu'il prend sur lui, tout cela est également prière. Les cathédrales, leurs vitraux, leurs bas-reliefs ne sont pas autre chose non plus. De toutes les œuvres d'art, celles qui touchent au sacré sont les plus sensibles à la sincérité. Entre le sublime et le ridicule, celle-ci est l'unique mesure.

Dans mon village, une émouvante petite chapelle au sommet d'une colline a été jumelée à une fringante basilique, flanquée d'une buvette et d'une boutique de souvenirs. Il n'y a pas si longtemps, ce lieu que l'on gagnait à pied et parfois à genoux entre chardons, genêts, silence et litanies se laissait mériter. Avoir soif faisait partie de l'exercice. En guise de souvenirs, jambes meurtries et yeux bouffis suffisaient à marquer la mémoire.

Pour en revenir au géant à capuche, moulage étiré sur 27m de haut et 7m de large, que l'on entend faire passer pour l'effigie de saint Charbel, l'initiative laisse perplexe. Il n'est pas certain que l'humble Charbel, tout entier d'adoration, de compassion, de dépouillement et d'oubli de son corps, au point que celui-ci négligea longtemps de se décomposer quand l'âme en fut séparée, apprécie cette ostentatoire faveur.

Non. Cette masse blanche visible depuis la lune servira surtout de marqueur territorial pour ceux qui voient en Charbel une sorte de garde dédié à leurs intérêts communautaires. Elle favorisera l'éclosion d'une flopée de guinguettes sonores et fera un chouette but de promenade pour les ATV. Triple miracle.

 

 

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Je demande pardon d'avance à ceux qui ont écrasé une larme d'émotion à ce spectacle bizarre vu du ciel : la statue géante, supposée représenter saint Charbel, traversant à dos de remorque les contreforts du Sannine jusqu'à Faraya où lui a été alloué un rond-point. Je fais partie de ceux que la scène rend mal à l'aise, ces 40 tonnes de résine prêtes-à-adorer.
Certes, dans...
commentaires (8)

Je suis Kesrouanais, je connais ces lieux depuis 1942, une statue de la même taille que la Croix d'à côté, aurait suffit. Sans autre commentaire.

Un Libanais

16 h 25, le 24 août 2017

Tous les commentaires

Commentaires (8)

  • Je suis Kesrouanais, je connais ces lieux depuis 1942, une statue de la même taille que la Croix d'à côté, aurait suffit. Sans autre commentaire.

    Un Libanais

    16 h 25, le 24 août 2017

  • On ne sait plus finalement à quel saint se vouer ! Les saints de religion, ou de politique. La rédemption par la politique, après avoir passé le baptême du feu et du sang… Nous avons le tourisme religieux et le tourisme politique, par la preuve des selfies sur les réseaux sociaux, où l’on voit par exemple, un fidèle après avoir visiter son lieu de culte, (selon la confession) se transforme en partisan fier de serrer la main à son chef, à la manière de Trump, comme un maquignon …

    L'ARCHIPEL LIBANAIS

    10 h 36, le 24 août 2017

  • ""…Cette masse blanche visible depuis la lune servira surtout de marqueur territorial pour ceux qui voient en Charbel une sorte de garde dédié à leurs intérêts communautaires…"" Marqueur territorial certes. Jamais ce projet d’édifier une telle statue n’a vu le jour à quelques km de Beyrouth, où un ""zaïm watani"" exige de rabaisser de quelques mètres le campanile lors de la reconstruction d’une église rasée pendant la guerre, par crainte lors de l’éclairage nocturne, dit-il, de créer des embarras de circulation. Comment peut-on encore parler de vivre-ensemble, quand chaque chef de canton décide à sa guise…

    L'ARCHIPEL LIBANAIS

    10 h 12, le 24 août 2017

  • Vous écrivez : ""…Cette masse blanche visible depuis la lune servira surtout de marqueur territorial pour ceux qui voient en Charbel une sorte de garde dédié à leurs intérêts communautaires…"" C’est cela oui, un marqueur territorial pour mieux signifier dans les faits, que le vivre-ensemble, mot encore mal compris, que ce vivre-ensemble donc, c’est chacun chez soi. Mais comme par exemple au centre du gros bourg de Beyrouth, on se rivalise pour que le clocher soit à la même hauteur que le minaret d’à côté, idée lumineuse réalisée par un sympathique PDG à la culture encyclopédique, à coup de dollars ou d’euros, cela va sans dire, là la discrétion des commentaires est de mise sur les bords de cette méditerranée superstitieuse...

    L'ARCHIPEL LIBANAIS

    09 h 56, le 24 août 2017

  • HEUREUX LES PAUVRES D,ESPRITS MAIS S,ILS SONT JUSTES AUSSI ENVERS LES AUTRES...

    LA LIBRE EXPRESSION

    08 h 54, le 24 août 2017

  • Bravo, vous avez exprimer d'une façon très délicate ce que de très nombreux Libanais croyants et pratiquants pensent aussi ...

    Safatly Hanna

    07 h 55, le 24 août 2017

  • "ce lieu que l'on gagnait à pied et parfois à genoux entre chardons, genêts, silence et litanies se laissait mériter. Avoir soif faisait partie de l'exercice. En guise de souvenirs, jambes meurtries et yeux bouffis suffisaient à marquer la mémoire." Merci Fifi de dire, beaucoup mieux que je ne sais le faire, ce que je ne cesse de répéter à propos de la Qadicha, et qui s'applique, malheureusement à tous les lieux qui dvvraient être sacrés.

    Yves Prevost

    07 h 06, le 24 août 2017

  • Saint Charbel met mal à l’aise Fifi qu’elle dénomme géant à capuche et alors ! certains diront la belle affaire. Personne ne l’oblige à monter à Faraya.

    Emile Antonios

    03 h 08, le 24 août 2017

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