C'est dans un contexte particulier qu'Emmanuel Macron passe aujourd'hui la barre fatidique des 100 jours à l'Élysée. Elle sonne l'heure du premier bilan alors que sa cote de popularité (36 %) est plus basse que celle de François Hollande à la même période en 2012 (46 %). Depuis mai, le président « jupitérien », à qui beaucoup ont reproché des annonces trop floues en matière de politique étrangère, a multiplié les actions sur les différents dossiers au Moyen-Orient. Quel bilan peut-on alors tirer de la diplomatie française dans la région ?
Christian Lequesne*, professeur de sciences politiques à Sciences Po Paris et ancien directeur du Centre de recherches internationales (CERI) de 2009 à 2014, répond aux questions de L'Orient-Le Jour.
Comment se positionne Paris par rapport à la crise du Golfe opposant l'axe saoudien au Qatar ?
Le Golfe, c'est une question diplomatique qui a souvent été vue comme un terrain de la diplomatie américaine. Emmanuel Macron profite dans ce dossier, comme dans d'autres, du manque de confiance qu'inspire Trump au monde pour essayer de positionner la diplomatie française. Il a eu des échanges avec le prince saoudien Mohammad ben Salmane et pourrait recevoir l'émir du Qatar dans les prochaines semaines à Paris. À l'égard du Qatar, il n'est pas dans une situation simple. D'un côté, Paris aimerait que Doha réduise son soutien aux groupes islamistes extrémistes, car cela va clairement contre les intérêts français de sécurité. De l'autre, le Qatar est un pays qui accueille de confortables investissements français, dans les domaines-clés de l'armement, des télécommunications, de la construction. Le Qatar pose clairement à la France la question de l'arbitrage entre ses intérêts de sécurité et ses intérêts économiques.
(Repère : Les mesures prises, prévues ou encore floues de la présidence Macron)
Peut-on parler de rupture avec la politique menée par François Hollande sur le dossier syrien ?
Il n'y a pas de rupture au sens où l'élimination de Daech reste un objectif stratégique pour Paris. Emmanuel Macron s'est entretenu récemment avec Donald Trump sur la poursuite des frappes aériennes au sein de la coalition. La différence avec François Hollande, soulignée par Emmanuel Macron dans un entretien de juillet à la presse européenne, est qu'il n'exclut pas que Bachar el-Assad puisse faire partie d'une solution diplomatique. Là, c'est en effet un revirement par rapport à la ligne Hollande-Fabius, M. Macron déclarant que Bachar el-Assad était l'ennemi du peuple syrien et non celui de la France. Cela ne veut pas dire que le président français n'est pas conscient des crimes imputables au régime Assad. Mais il estime que la diplomatie implique de ne pas s'interdire de négocier avec tout le monde, y compris avec ceux pour lesquels on n'a pas beaucoup d'estime. Cette position ouvre aussi à la diplomatie française la possibilité de négocier davantage avec la Russie, soutien traditionnel du régime Assad dans la crise syrienne.
La proximité affichée avec M. Netanyahu en juillet peut-elle porter préjudice au président français dans sa tentative de ramener la France sur le devant de la scène moyen-orientale ?
La doctrine Macron à l'égard du conflit israélo-palestinien n'a, du point de vue de la diplomatie française, vraiment rien de révolutionnaire. Elle s'inscrit dans la continuité de ce qui s'est toujours dit à Paris : une solution à deux États, Israël et Palestine. M. Macron a reçu en juillet à Paris le Premier ministre israélien, Benjamin Netanyahu, à l'occasion du 75e anniversaire de la Rafle du Vél'd'Hiv. La présence du Premier ministre israélien a été un signe fort pour les Français de confession juive après les récents attentats islamistes dont ils ont été la cible. En même temps, M. Macron avait reçu, quelques jours avant Netanyahu, le chef de l'Autorité palestinienne, Mahmoud Abbas. Son objectif est surtout de ne pas fermer à la France la possibilité d'aider une négociation totalement bloquée depuis des années. Le président français n'est certainement pas dupe du fait que Netanyahu n'est pas très intéressé par l'avancée concrète de négociations de paix avec la Palestine.
*Auteur de l'ouvrage Ethnographie du Quai d'Orsay. Les pratiques des diplomates français (CNRS Editions, 2017).
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Quand on est impuissant chez soi, et qu'on ne sait pas communiquer avec ses citoyens, comment peut-on prétendre à être médiateur ailleurs? Et au MO de surcroît!! Ils sont de plus en plus fous ces Gaulois!
10 h 21, le 08 novembre 2018