Crâne rasé et pieds nus, des hommes vêtus d'une blouse bleue font les cent pas dans la cour du centre psychiatrique d'Aazaz, le seul établissement du genre dans le nord syrien sous contrôle rebelle.
Dans une salle, l'un des patients s'adresse à ses compagnons en criant, un autre éclate de rire tout seul. Un troisième chante à tue-tête, laissant entrevoir une bouche édentée. Les six années de conflit en Syrie ont laissé de profondes séquelles psychologiques au sein de la population, confrontée quotidiennement aux horreurs de la guerre. Au deuxième étage de cette clinique qui a des lits pour seuls meubles, des femmes aux voiles fleuris et portant des robes à motifs sourient aux visiteurs. D'autres sont allongées, immobiles. L'une d'elle est attachée à son lit.
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"Cauchemars"
Parmi les patientes de ce centre situé dans la province d'Alep (nord), une adolescente de 17 ans inquiète particulièrement Darrar al-Sobh, l'un des deux médecins du centre. "Elle a vu des animaux dévorer le corps d'un enfant tué", raconte à l'AFP le Dr Sobh. "Elle était tellement choquée qu'elle a perdu la parole. Maintenant elle ne peut plus dormir ni manger".
Un autre patient, originaire de la province voisine de Raqqa, a découvert le corps inanimé de sa femme et de ses six enfants dans sa maison bombardée en 2016. "Il a des difficultés à dormir... Il revoit des images de la scène et fait des cauchemars", explique le médecin de 46 ans.
Certains cas psychiatriques préexistaient avant le conflit qui ravage la Syrie depuis 2011, mais beaucoup -notamment les troubles post-traumatiques - sont directement liés à la guerre. "Nous avons noté une augmentation des cas de dépression, de syndrome de stress post-traumatique (SSPT)", indique le Dr Sobh.
Mohammad Mounzer, un infirmier de 35 ans, se souvient avoir reçu des patients qui avaient été arrêtés pendant les manifestations pacifiques de 2011. "Ils ont été torturés et battus, surtout à la tête. C'est à ce moment-là qu'ils ont commencé à avoir des problèmes mentaux", dit-il.
D'autres patients ont développé de l'anxiété, directement liée aux violences qui ont coûté la vie à plus de 330.000 personnes. "Il y a des personnes qui ne peuvent pas supporter le bruit des avions", dit M. Mounzer, en référence aux bombardements aériens sur le territoire tenu par les rebelles.
Le centre accueille quelque 140 patients permanents et en soigne d'autres qui viennent ponctuellement à la recherche d'un traitement.
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Idées suicidaires
L'établissement était au départ situé dans un quartier à la périphérie d'Alep mais a dû déménager après l'entrée des rebelles dans la ville en 2012. "A Massaken Hanano, l'hôpital a été touché et un infirmier a été blessé", se souvient l'administrateur de la clinique, Mohieddine Othmane. Une grande partie du personnel médical avait alors fui, laissant derrière lui des patients abandonnés à eux-mêmes, certains errant dans les rues.
Alarmés par la situation, des habitants ont contacté une ONG turque qui, avec l'aide de médecins syriens a transféré les patients vers une clinique dans l'ouest de la province d'Alep. Par la suite, l'association de charité internationale Physicians Across Continents (Médecins à travers les continents) les ont transférés vers le centre à Aazaz.
Le personnel médical se trouve souvent démuni face à tant de désespoir. Le Dr Sobh se rappelle d'un homme qui est venu le voir plusieurs fois pour une dépression. "Je lui ai demandé s'il avait des idées suicidaires, il m'a assuré que non", raconte le médecin. "Quinze jours plus tard, il a mis fin à ses jours".
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"Psychologiquement exténués"
L'hôpital fait face à des pénuries de médicaments, recevant occasionnellement des aides de l'Organisation mondiale de la santé (OMS), mais s'approvisionnant la plupart du temps sur le marché local ou en Turquie voisine. "Nous sommes psychologiquement exténués", affirme le Dr. Sobh. "Parfois nos patients nous frappent ou nous insultent. On part de temps en temps en congé pour prendre du recul", confie-t-il.
Dans la cantine, du ragoût est servi aux patients dans un bol en métal. Certains mangent debout sur les tables, d'autres assis à même le sol. "Nous tentons de sensibiliser les gens à travers des brochures et les réseaux sociaux pour leur expliquer que les problèmes mentaux sont une maladie comme une autre", affirme M. Mounzer.
D'après le Dr. Sobh, les mentalités sont en train d'évoluer. "La présence du centre dans cette zone est positive. Les habitants l'acceptent et les problèmes mentaux ne sont plus vus comme un signe de faiblesse", assure-t-il.
Dans une salle, l'un des patients s'adresse à ses compagnons en criant, un autre éclate de rire tout seul. Un troisième chante à tue-tête, laissant entrevoir une bouche édentée. Les six...