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Nos Lecteurs ont la Parole - Faten Kikano

Déplacés syriens : le Liban ne doit pas devenir un incubateur de radicalisation

Doctorante à la faculté de l'aménagement de l'Université de Montréal, Faten Kikano, dont le doctorat porte sur les camps de déplacés syriens au Liban, nous adresse ce courrier, dont nous reproduisons de larges extraits, en raison de son actualité et de sa pertinence. Mme Kikano juge en particulier que l'approche actuelle du gouvernement libanais est « inappropriée », ainsi d'ailleurs que « la prise de position, ou plutôt la non-prise de position de la communauté internationale ».
Au lendemain des discussions à ce sujet que vient d'avoir à Bruxelles le ministre des Affaires étrangères, Gebran Bassil, Mme Kikano se montre particulièrement attentive au risque de voir le Liban « se transformer en un incubateur de radicalisation et d'extrémisme ».
Relevons que les craintes d'un « refoulement » des déplacés par le Liban, soulevées au point 2 par la doctorante, a été écarté par le Liban comme solution.
1. Le gouvernement libanais doit avoir une même et unique réponse. Les médias diffusent des prises de position contradictoires de politiciens libanais. Cela affaiblit la position et la crédibilité du gouvernement vis-à-vis de la communauté internationale d'une part, et d'autre part, alimente un climat de tension interne déjà assez exacerbé par rapport à la situation des réfugiés syriens.
2. Il est nécessaire que le gouvernement libanais obtienne la couverture et l'appui de la communauté internationale qui serait la garante d'un retour sécuritaire pour les populations déplacées qui seront rapatriées dans des zones sous le contrôle du régime syrien. Or, pour des motifs politiques (le Liban étant « stabilisé », il ne bénéficie pas d'une attention particulière de la part des grandes puissances mondiales) et pour des raisons sécuritaires et humanitaires concernant les réfugiés, le Liban n'a ni l'approbation ni le soutien de la communauté internationale pour le rapatriement des Syriens. Si le retour est un échec, il faudrait prendre en considération qu'un deuxième déplacement des Syriens est une possibilité et que cela serait extrêmement déplorable pour le Liban et pour les réfugiés eux-mêmes...
3. Le gouvernement libanais, ne s'étant pas directement impliqué dans la gestion du dossier syrien, ne reçoit pas les fonds destinés aux réfugiés. L'aide est reçue et gérée par le UNHCR. De plus, ces fonds sont loin d'être suffisants : 70 % des Syriens, de même que 200 000 Libanais, vivent en dessous du seuil de pauvreté (cause de ressentiment et de tensions sociales intercommunautaires). Or, en attendant une solution durable, le Liban doit être le principal receveur et décideur de l'usage des fonds qui lui sont octroyés, et ces fonds doivent être conséquents aux besoins des populations syrienne et libanaise vulnérables. D'autres pays hôtes, tels que la Jordanie, profitent de l'accueil des réfugiés pour exiger des investissements internationaux profitables pour l'économie, les services et l'infrastructure du pays.
4. Face à ces nouvelles exigences de la part du gouvernement libanais, et si le déplacement syrien commence à coûter « cher » aux pays donateurs, cela pourrait constituer une motivation pour que la communauté internationale s'implique plus sérieusement dans le cas du Liban en général, et dans les modalités d'un retour sécuritaire des Syriens dans leur pays en particulier.
5. La fausse perception dans la classe politique libanaise selon laquelle l'acceptation de l'aide financière internationale entraînerait la naturalisation des Syriens est erronée. La naturalisation des Syriens est une décision exclusivement politique.
6. Il est nécessaire d'inclure le gouvernement syrien dans le processus du rapatriement des populations déplacées et de le convaincre d'accepter la condition suivante : les régions prévues pour être occupées par les populations rapatriées doivent être sous le contrôle ou la supervision des Nations unies. Il est inconcevable que des populations qui ont fui un régime retournent dans des zones sous le contrôle du même régime, qui, par ailleurs, a été accusé à maintes reprises de crimes contre son propre peuple.
7. Il est important de prendre en considération l'enjeu du démantèlement de la structure établie par les organisations humanitaires (entre autres, le nombre d'emplois qui disparaîtraient pour les travailleurs humanitaires libanais et expatriés, et dans d'autres occupations satellites).
8. Il est prioritaire d'entamer des pourparlers avec les autorités syriennes pour l'établissement d'une structure humanitaire de la même importance en Syrie : le retour des réfugiés syriens se fera dans des zones éloignées des régions urbaines, ou bien dans des localités presque entièrement détruites, donc sans infrastructures, sans services et sans possibilités de travail. Ces zones se transformeraient probablement en camps internes, selon le modèle du camp Zaatari en Jordanie, dans lequel la majorité des réfugiés vivent isolés et dans des conditions déplorables.
9. Il est important de prendre en considération l'opinion des réfugiés eux-mêmes, leurs perceptions, leurs craintes par rapport à leur retour chez eux : les médias, les politiciens locaux, les organismes humanitaires, de même que la communauté internationale, aucune partie prenante impliquée dans la prise de décision ne mentionne les réfugiés, êtres sans voix, sans existence sociale ou politique, et n'ayant aucun contrôle sur leur vie.
10. Quelle que soit la décision prise par rapport au sujet des déplacés syriens au Liban, la communauté internationale a tout intérêt à s'impliquer et à ne pas laisser le Liban, lien culturel entre l'Orient et l'Occident et terre de coexistence interreligieuse, se transformer en un incubateur de radicalisation et d'extrémisme. L'extrême pauvreté, les tensions sociales et les divisions politiques l'y mèneraient à coup sûr. Les frontières fermées des pays du Nord ne sont pas étanches aux idéologies engendrées par l'ignorance d'une part, mais aussi par l'injustice et les inégalités d'autre part.

Doctorante à la faculté de l'aménagement de l'Université de Montréal, Faten Kikano, dont le doctorat porte sur les camps de déplacés syriens au Liban, nous adresse ce courrier, dont nous reproduisons de larges extraits, en raison de son actualité et de sa pertinence. Mme Kikano juge en particulier que l'approche actuelle du gouvernement libanais est « inappropriée », ainsi d'ailleurs...

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