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Moyen Orient et Monde - Analyse

Contre l’EI, des victoires à la Pyrrhus

La situation est la même dans tous les territoires « libérés » ou en voie d'être « libérés » du joug des jihadistes : la reconquête militaire est nécessaire, mais fondamentalement insuffisante.

De la fumée s’échappait hier matin de zones de Mossoul tenues par l’État islamique et bombardées par la coalition internationale. Ahmad al-Rubaye/AFP

En juin 2014, quelques milliers de jihadistes combattant sous la bannière de l'État islamique en Irak et au Levant (EIIL) étaient parvenus à s'emparer de la deuxième ville d'Irak en seulement quatre jours. Trois ans plus tard, il aura fallu pas moins de 9 mois à Bagdad pour reprendre Mossoul, malgré le soutien – à des degrés divers – de la coalition internationale, des peshmergas et des milices chiites.

Le Premier ministre irakien Haider al-Abadi a beau célébrer la « victoire » contre l'État islamique et la « libération » de la ville, la réalité apparaît nettement plus nuancée. Mossoul est en grande partie détruite. Sa population a vécu de multiples traumatismes : trois ans d'occupation jihadiste, puis les bombardements de la coalition internationale, le déplacement de presque un million de civils dans des conditions souvent déplorables, sans oublier les exactions commises à leur encontre par les forces loyalistes et miliciennes.

Reprendre la capitale irakienne de l'organisation jihadiste était une nécessité. En administrant un territoire, l'EI pouvait endoctriner la population, profiter des différentes ressources, entraîner ses combattants, s'ériger en modèle et façonner son mythe. Mais les populations locales ont payé ces victoires militaires au prix fort, sans pour autant que leur soit proposé un avenir plus radieux. La situation est la même dans tous les territoires « libérés » ou en voie de l'être du joug des jihadistes : la victoire militaire est nécessaire, mais fondamentalement insuffisante.

 

(Voir : Mossoul libérée, Mossoul dévastée : les images)

 

Défaite anticipée
L'EI contrôlait il y a deux ans un territoire de la superficie de la Grande-Bretagne et avait symboliquement effacé la frontière syro-irakienne. Il est désormais retranché dans ses derniers réduits, en Irak et en Syrie. L'organisation est affaiblie : une grande partie de ses cadres ont été éliminés, ses ressources ont été asséchées et le proto-État jihadiste est sur le point de s'effondrer. Bien que la situation sur les deux terrains ne soit pas similaire, en Irak comme en Syrie, l'EI n'a pas les moyens de résister militairement sur le moyen terme. La défaite militaire du groupe est inéluctable, mais elle a été anticipée depuis longtemps par les cadres de l'EI, qui ont appelé dès 2016 les aspirants jihadistes à frapper en priorité les territoires dans lesquels ils résident plutôt que d'essayer de rejoindre le califat.

Parler de déclin de l'organisation à un moment où elle multiplie les attentats – commandités ou simplement inspirés par l'organisation – sur plusieurs continents est de ce fait assez paradoxal. L'EI est désormais un label mondialisé, considéré comme une grande menace par l'ensemble de la communauté internationale, et affectant directement les scènes politiques intérieures de nombreux pays. L'organisation apparaît nettement plus forte aujourd'hui qu'elle ne l'était en 2007-2008, après avoir été défaite militairement par les sahwas, les milices sunnites encadrées par les Américains.

 

(Repère : Mossoul, la ville des mousselines et des trésors historiques)

 

Monstre à trois têtes
Le monstre EI a au moins trois têtes. Celle qui représente son aspect militaro-étatique est sur le point d'être coupée. Mais celles qui lui permettent de jouer un rôle politique et de propager son idéologie religieuse, ainsi que de recruter de nouveaux membres et de les pousser à commettre des attentats, sont toujours bien en place.

En Irak comme en Syrie, l'EI peut retourner à l'état de clandestinité et contribuer au chaos politique en multipliant les attentats. Le groupe peut surtout profiter de l'absence de solution politique dans ces deux pays détruits et meurtris par les guerres pour réapparaître le moment venu. Même s'il ne bénéficie plus d'un quelconque appui des populations locales, les conditions de son existence sont encore réunies : les populations sunnites sont marginalisées par les pouvoirs centraux, les territoires en question sont détruits et souvent sous-développés, et la propagande religieuse est surinstrumentalisée par toutes les communautés.

En Irak, la situation est pire, à bien des égards, qu'en 2014. Téhéran a gagné de l'influence à Bagdad et dispose d'un moyen de pression sans équivalent grâce aux milices chiites, qui concurrencent et affaiblissent l'État déjà acquis à sa cause. Les Kurdes ne se satisfont plus de leur relative autonomie et profitent de leur participation dans les combats contre l'EI pour essayer d'achever leur processus d'indépendance. La réconciliation nationale apparaît aujourd'hui chimérique alors que risquent de débuter les conflits post-EI dans les zones disputées.

 

(Repère : Après la perte de Mossoul, plusieurs zones restent aux mains de l'EI en Irak)

 

En Syrie, la course à la libération des territoires se joue entre les Kurdes syriens, soutenus par la coalition internationale, et les forces loyalistes parrainées par Moscou. Soit potentiellement deux plus ou moins nouvelles formes d'occupation pour les sunnites de l'Est syrien.

En l'absence de solution politique inclusive, qui permettrait aux populations concernées d'être effectivement représentées dans les institutions de l'État, les sunnites d'Irak et de Syrie ne peuvent se satisfaire à moyen ou long terme de l'avenir que leur promettent leurs « libérateurs ». L'EI, qui se « présente comme le seul défenseur des sunnites », ne peut que se nourrir de ses frustrations.

Sur le terrain syro-irakien, la problématique politique apparaît ainsi nettement plus compliquée à résoudre que sa sœur jumelle militaire. Si on y ajoute la problématique de l'idéologie religieuse, qui demande dans le temps un effort global et une compréhension profonde du phénomène, on ne peut qu'en déduire que l'heure du requiem de l'EI n'a pas encore sonné.

 

 

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commentaires (4)

"Tantum religio potuit suadere malorum"...encore et toujours!

Georges MELKI

11 h 34, le 11 juillet 2017

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Commentaires (4)

  • "Tantum religio potuit suadere malorum"...encore et toujours!

    Georges MELKI

    11 h 34, le 11 juillet 2017

  • Une analyse concrète et réaliste. La région n'en a pas fini de voir encore plus de guerres et de conflits, non seulement a cause de l'EI, mais aussi et surtout de l’attitude belliqueuse des diverses idéologies islamiques qui se sont montrés totalement intolérantes qu'elles soit Chiites, sunnites, Alaouites ou autres... Les haines que les dictatures de toutes sortes ont entraîné sont loin d’être éteintes mais bien au contraire. Tout a été exacerbé au quintuple. Les hommes sont abandonnés a leurs sorts et ils ne sont pas très folichons ces derniers temps.

    Pierre Hadjigeorgiou

    09 h 47, le 10 juillet 2017

  • La force de l'EI: son idéologie pseudo religieuse. Très active et attirante pour une jeunesse "mondialisée, désorientée et sans perspective dans les sociétés civiles laïques" Ce terreau très prolifique

    Chammas frederico

    09 h 42, le 10 juillet 2017

  • UNE EPEE DE DAMOCLES AU DESSUS DES TETES DE CEUX QUI DONNENT ENCORE DU TEMPS A L,E.I. POUR L,EMPLOYER COMME CARTE DANS LES MARCHANDAGES...

    LA LIBRE EXPRESSION

    08 h 10, le 10 juillet 2017

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