La crise des déchets remonte de nouveau à la surface après la publication d'extraits filmés par des activistes montrant le déversement des déchets directement dans la mer à Bourj Hammoud. Dans le site qui est l'une des deux décharges créées par le gouvernement dans son plan de gestion des déchets approuvé en mars 2016, le traitement de l'ancienne montagne d'ordures, en raison de l'absence d'un brise-lames protégeant la mer, impacte directement la société, l'économie et l'environnement.
Sur le site de la décharge, les sacs poubelles envahissent les lieux. Une odeur âcre remplit l'atmosphère et les poissons morts flottent à la surface de l'eau en masse, témoignant d'une réelle extermination. Le ballet des camions transportant les déchets de la montagne de Dora vers le port de Bourj Hammoud est incessant : selon des témoins, ils circulent jour et nuit de manière à ce que le travail soit achevé plus rapidement.
Autour de la décharge, la qualité de vie des riverains a été profondément affectée. Michel Abchée, PDG d'une société qui possède un centre commercial à proximité, explique à L'Orient-Le Jour les effets néfastes de ce projet exécuté par l'entrepreneur Dany Khoury pour le compte de l'État. Il estime que le cahier des charges, élaboré par le gouvernement, est soit non respecté, soit réduit à sa plus simple expression. « L'entrepreneur n'a pas l'obligation de trier les anciens déchets avant de les déverser dans la mer, contrairement à ce qui avait été fait lors du traitement de la décharge du Normandy (l'autre dépotoir ayant servi à la capitale durant les années de guerre, traité depuis de nombreuses années), dit-il. Les déchets déversés à Bourj Hammoud ne sont ni traités ni compactés : nous reviendrons à la crise des déchets d'ici à deux ans au lieu des cinq que devait durer cette décharge. Évidemment, l'entrepreneur suit cette méthode de travail pour minimiser ses coûts et accélérer l'exécution, aux dépens de l'environnement. »
« D'un point de vue économique, notre centre commercial et toutes les entreprises se trouvant sur la route maritime sont pénalisés par les odeurs nauséabondes dues à l'augmentation du volume des déchets en décomposition, faisant fuir la clientèle », souligne M. Abchée. « Considérer que l'ancienne montagne de déchets s'est déjà décomposée et que la jeter en mer n'a pas d'impact sur l'environnement est une bêtise totale, dit-il. Les cellules de la nouvelle décharge sont exécutées selon les normes, mais le traitement de l'ancienne décharge se fait au détriment de l'écosystème aquatique. Je parle plus précisément du brise-lames qui ne délimite qu'une partie de la surface devant recevoir les anciens déchets, alors qu'il aurait dû être complété. »
Les déchets ne sont même pas la seule source de pollution, selon lui. « Nahr el-Mott est aussi victime de la pollution causée par les eaux usées, les déchets industriels et les déchets d'abattoir, ce fleuve déversant son eau sale dans la baie de Dora, poursuit-il. L'entrée nord de la capitale devient la décharge du pays pour les dix prochaines années. »
(Lire aussi : Bourj Hammoud-Jdeidé : Un « crime écologique », s'alarme un expert)
Au port de pêche tout proche, les pêcheurs profitent de la présence de la presse pour exprimer la colère et la déception qu'ils ressentent envers le gouvernement. Émile, membre de la coopérative des pêcheurs, explique que l'État a gâché la vie des pêcheurs. Comment le ministre de l'Environnement, Tarek el-Khatib, peut-il déclarer que le déversement des déchets dans l'eau n'impactera pas l'environnement ? s'indigne-t-il. « Ce dont je suis sûr, c'est que l'entrepreneur Dany Khoury est protégé par les autorités, dit-il. Nous avons reçu des menaces de la part de la municipalité de Bourj Hammoud. Quant au gouvernement, il travaille de façon à économiser le plus d'argent possible. Notre prochaine mesure, en tant que coopérative, sera de présenter un recours auprès du Conseil d'État contre le gouvernement et contre l'entrepreneur. » Il a en outre noté que les réunions tenues avec certains responsables n'étaient pas fructueuses, bien que les pêcheurs leur aient montré des vidéos montrant la gravité de la situation.
Ahmad, dont la seule source de revenus est la pêche, explique que les ventes de poisson ont diminué avec la dégradation de la qualité de la pêche. « Il faut s'éloigner de cinq kilomètres de la côte pour éviter les déchets, ce qui augmente le coût du transport puisque nous avions l'habitude de pêcher à un kilomètre, affirme-t-il. Nous n'avons même pas accès à la Sécurité sociale, un droit que nous revendiquons, mais personne n'est à notre écoute. »
Les riverains, eux, sont inquiets pour leur santé et celle de leur famille. Samia, habitante de Bourj Hammoud et mère de deux enfants, exprime sa douleur. « L'État est en train de nous tuer petit à petit ; mon fils a été hospitalisé il y a trois jours à cause d'une pneumonie, déplore-t-elle. Il ne s'agit pas juste de mes enfants, tous les enfants de la région sont malades, et le seul coupable dans cette situation est l'État qui ne veille pas à la sécurité sanitaire de ses citoyens. »
Le travail sur le site de Bourj Hammoud se poursuit malgré les doléances des citoyens, dont la vie, assurent-ils, a été transformée en enfer...
Pour mémoire
Décharge de Bourj Hammoud : Khatib renvoie la balle dans le camp du CDR
La justice ordonne l’arrêt des travaux à Bourj Hammoud
« Les solutions temporaires ne mettront pas fin à la crise des déchets »
Jugerons-nous un jour nos responsables pour tant d’imprévoyance criminelle ?
commentaires (3)
LA HONTE DES HONTES !
LA LIBRE EXPRESSION
12 h 46, le 21 juin 2017