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Moyen Orient et Monde - Focus

À Raqqa, l’EI tire les leçons de la bataille de Mossoul

Agrégé d'histoire et spécialiste des questions de défense, Stéphane Mantoux répond aux questions de « L'Orient-Le Jour » sur les enjeux militaires de la bataille dans la « capitale » syrienne de Daech.

Des combattants kurdes des Unités de protection du peuple (YPG) tirent sur un drone de l'EI, à Raqqa. REUTERS/Goran Tomasevic

Le 5 novembre 2016, les Forces démocratiques syriennes (FDS) lançaient l'opération « Colère de l'Euphrate » pour libérer Raqqa, aux mains de l'État islamique depuis 2014. Après avoir repris Tabqa, au sud, le groupe arabo-kurde, soutenu par la coalition, lance le 6 juin l'assaut final sur la ville. Interrogé par L'Orient-Le Jour, Stéphane Mantoux, spécialiste des questions militaires, revient sur les enjeux de l'offensive et les stratégies des acteurs engagés dans la bataille.

 

Combien d'hommes combattent actuellement à Raqqa ?
Les troupes de l'EI sont difficiles à apprécier. La coalition parle de 2 000 à 4 000 combattants à l'intérieur de la ville. À cela, il faut ajouter plusieurs milliers autour, puisque la province de Raqqa n'est pas encore nettoyée. Les combattants de l'EI contrôlent encore la rive sud de l'Euphrate et du territoire à l'est qui file jusqu'à Deir ez-Zor.

Pour les FDS, on estime les troupes à plusieurs dizaines de milliers de combattants. La coalition parle de 40 000 à 50 000 hommes. Même s'il y a des effectifs arabes, le noyau dur appartient aux kurdes de l'YPG (Unités de protection du peuple). Il faut souligner que les FDS n'ont pas une capacité de recrutement illimitée. Il y a eu beaucoup de pertes dans le siège de Manbij, débuté en juin 2016. D'autre part, il ne faut pas oublier que les FDS sont engagées sur d'autres fronts : la bataille continue à l'est de Raqqa vers Deir ez-Zor, au sud contre le régime syrien et à l'est d'Alep contre les Turcs. Si le gros du contingent des FDS est à Raqqa, ils sont obligés de maintenir des garnisons ailleurs.

 

 

Peut-on s'attendre à une bataille aussi longue que celle de Mossoul ?
Raqqa est beaucoup plus petite et beaucoup moins peuplée. Au contraire de Mossoul, elle est bâtie sur une seule rive du fleuve. Cela joue en faveur d'une bataille plus courte. Néanmoins, on voit pour l'instant que l'EI a laissé une garnison assez conséquente dans la ville : le groupe réserve ses troupes pour les combats dans les quartiers centraux. De fait, même si on a l'impression que les FDS avancent en périphérie de manière assez rapide, on pourrait se retrouver dans une bataille plus longue au centre de la ville.

 

 

Quelle est la stratégie militaire de l'EI pour défendre la ville ?
Pour l'instant, la stratégie menée dans les quartiers périphériques est de retarder le plus longtemps possible la progression des FDS. Sur un plan défensif, on voit des choses classiques comme l'utilisation des réseaux de tunnels construits par l'EI. Ils permettent aux combattants de communiquer de quartier en quartier ou de se protéger des bombardements et de l'artillerie. C'est une technique classique du combat urbain.
Sur le plan offensif, l'EI utilise, encore plus qu'à Mossoul, des engins explosifs improvisés. Cela peut aller du canapé au frigo piégé en passant par les entrées, les portes, les fenêtres, etc. On voit aussi davantage de drones armées. À Mossoul, ces armes ont disparu du ciel grâce à l'utilisation de brouilleurs ou d'armes antidrones déployées par la coalition. Les FDS n'ont visiblement pas encore les mêmes moyens, donc l'EI en profite.
Mais surtout, on remarque que l'EI tire des leçons de la bataille de Mossoul : ses drones cherchent à cibler les forces occidentales qui guident l'appui aérien. Il sait très bien que les FDS sont dépendants de la coalition et de ses frappes aériennes. Il cherche donc visiblement à taper les forces de guidage. S'ils les éliminent, ils affaibliront la précision du combat aérien.

 

(Lire aussi : La bataille de Raqqa, nouveau défi humanitaire en Syrie)

 

Raqqa est-elle importante pour l'EI ?
L'EI a anticipé la chute des grandes villes. Toute l'infrastructure, les bureaux administratifs et les structures de commandement ont été déménagés vers Deir ez-Zor, le sanctuaire frontalier. Avec ces transferts, Raqqa a perdu de son intérêt pour l'EI. La ville est beaucoup moins importante que Mossoul pour le groupe. La ville irakienne est peuplée de plus d'un million d'habitants. Par ailleurs, elle est très importante dans l'histoire de l'organisation, au contraire de Raqqa. C'est une ville symbolique, parce que ça a été la première capitale de province à tomber aux mains des rebelles en 2013, que l'EI a récupérée moins d'un an après. Mais à partir du moment où l'EI a évacué tout ce qui était important vers Deir ez-Zor, Raqqa n'a plus autant d'importance. L'enjeu est donc seulement symbolique. Il faut évidemment défendre la ville, et c'est d'ailleurs pour cela que l'EI a tout de même laissé une garnison.

 

Comment les FDS opèrent-elles pour reprendre la ville ?
La manœuvre qui a l'air de se dessiner sur la carte est un encerclement des quartiers centraux. Les FDS attaquent sur plusieurs fronts en partant du nord-ouest et du sud-est. Ils essayent de contourner la vieille ville vers le nord et de descendre vers le sud par le fleuve. Elles progressent via les grandes rues de la ville de Raqqa pour tenter d'encercler le centre. Reste à savoir si la tactique va marcher, parce que l'EI a déjà contre-attaqué plusieurs fois. Elles ont une démarche précautionneuse, mais parce qu'elles n'ont clairement pas les mêmes moyens que les forces irakiennes qui peuvent se permettre des attaques frontales assez massives. Il faut souligner que ce n'est qu'une milice, un peu plus cohérente que les autres.

 

Les forces anti-jihadistes sont-elles bien équipées ?
Les FDS ont principalement de l'infanterie légère : des fusils d'assaut, des mitrailleuses, des lance-roquettes antichars etc. Il n'y a seulement que quelques véhicules blindés, qu'elles ont récupérés précédemment dans d'autres batailles, contre l'EI ou d'autres ennemis. Les États-Unis fournissent principalement des armes légères, mais il n'y a pas de pièces d'artillerie lourdes ou de blindés. Les FDS ont donc un armement limité. Il faut rappeler ici que les Kurdes de l'YPG ont un énorme contentieux avec les Turcs. Ces derniers voient d'un très mauvais œil l'appui apporté par les Américains. Sauf décision ou changement radical, il y a donc fort à parier que les Américains ne leur livreront pas d'armes plus lourdes. Ce n'est donc pas l'armée irakienne qui se bat avec de l'artillerie, avec plusieurs divisions d'infanterie ou une unité antiterroriste. Les FDS sont particulièrement dépendantes de l'appui extérieur. L'EI le sait très bien, c'est pour cela qu'ils essayent d'attirer les FDS dans le combat au centre de la ville. C'est là que les avantages de l'EI joueront à plein.

 

La semaine dernière, l'ONU jugeait « excessives » les frappes aériennes. La coalition est-elle moins précautionneuse dans cette bataille ?
Au début de la bataille de Mossoul, la coalition s'est refusée à bombarder pour éviter au maximum les pertes civiles. Le choix inverse a été fait à Raqqa, parce que les FDS, encore une fois, ont fortement besoin de cet appui pour se battre en milieu urbain. Elles ont des mortiers, quelques pièces d'artillerie, mais c'est largement insuffisant pour appuyer leurs troupes. La coalition a donc fait le choix de les soutenir beaucoup plus massivement. Par ailleurs, l'utilisation du phosphore blanc par la coalition, dès le début de la bataille, est assez frappante. À Mossoul, on ne l'a vu qu'au bout de quelques mois. Cela a probablement été utilisé pour débarrasser les toits des tireurs de missiles antichars ou des francs-tireurs de l'EI, mais cela marque un tournant.

 

Dans tout cela, où se situe l'armée syrienne ?
Le régime syrien a ses propres objectifs. Il a entamé des offensives qui se déroulent sur trois axes parallèles : un premier au sud vers la frontière jordanienne, un deuxième axe à l'est où les hommes du régime syrien foncent vers Deir ez-Zor et un dernier axe à l'est d'Alep, où ils essaient de se retrouver au contact des FDS. Quand il y est arrivé, le régime les a bombardés pendant une journée. Il n'y a pas de coordination entre les FDS et le régime. Le régime sera le premier à s'asseoir sur le dos des Kurdes s'il en a la possibilité.

 

Les FDS veulent-elles, à terme, contrôler Raqqa ?
De fait, elles vont rester un moment, parce que le combat urbain va les user. Cela avait déjà été le cas à Manbij. Les pertes humaines sont toujours énormes dans ce genre de combat. Elles n'auront donc pas les moyens de mener une offensive juste après la bataille de Raqqa. Reste à savoir où le régime sera quand celle-ci sera terminée... Est-ce que les Kurdes ont pour autant ambition de contrôler la ville ?
Probablement. Les FDS ont déjà installé des structures administratives dans le but de rallier les tribus arabes. Elles placeront sûrement les Arabes au pouvoir pour faire vitrine. Mais encore une fois, le régime syrien n'a pas l'intention de lâcher la ville, et il pourra y avoir des négociations en amont.

 

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commentaires (1)

L'EI avait signé sa mort dès sa création ..., car implanter par la force, un califat du 14ème siècle au 21ème siècle , relève de l'obscurantisme le plus imbécile ,(en supposant qu'un obscurantisme moins imbécile existe ...) , Mais hélas, ses capacités de nuisances risquent tout de même ,de se métastaser dans les sous-couche "X.........X" des sociétés européennes et moyennes-orientales...

M.V.

10 h 28, le 21 juin 2017

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Commentaires (1)

  • L'EI avait signé sa mort dès sa création ..., car implanter par la force, un califat du 14ème siècle au 21ème siècle , relève de l'obscurantisme le plus imbécile ,(en supposant qu'un obscurantisme moins imbécile existe ...) , Mais hélas, ses capacités de nuisances risquent tout de même ,de se métastaser dans les sous-couche "X.........X" des sociétés européennes et moyennes-orientales...

    M.V.

    10 h 28, le 21 juin 2017

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