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Moyen Orient et Monde - Décryptage

Quand Washington et Téhéran règlent leurs comptes en Syrie

Moscou et Damas ont condamné la frappe contre un convoi prorégime dans le sud du pays.

Le secrétaire d’État à la Défense Jim Mattis et le général Joseph Dunford, lors d’une conférence de presse conjointe, hier, au Pentagone. Saul Loeb/AFP

La confrontation américano-iranienne aura finalement eu lieu... sur le terrain syrien. Si la précédente administration avait toujours pris soin d'éviter de rentrer en conflit direct avec le puissant allié chiite de Damas, il semblerait que l'administration Trump, profondément anti-iranienne, cherche désormais à endiguer son expansion dans la région. En bombardant jeudi soir un convoi prorégime à Tanaf, près de la frontière jordanienne, les Américains ont clairement mis le holà aux forces qui tentaient de mettre le cap vers l'est. Profitant de la suspension localisée des hostilités adoptée par la Russie, l'Iran et la Turquie, soutien des rebelles, lors de la conférence de paix à Astana le 4 mai courant, Damas espérait pouvoir redéployer ses troupes vers la frontière irakienne. Leur convoi se dirigeait vers une ancienne base militaire où des forces spéciales américaines et britanniques forment et encadrent des forces rebelles affiliées à l'Armée syrienne libre (ASL).

Le poste-frontière de Tanaf est essentiel pour tous les acteurs au conflit. Pour l'Iran, c'est un point de passage de l'autoroute chiite, autrement dit l'axe Beyrouth-Damas-Bagdad-Téhéran, qui doit à la fois faire la liaison avec les forces alliées se trouvant en Irak et empêcher les rebelles pro-occidentaux de remonter par le sud vers la province de Damas. Pour Damas et son allié iranien, il est important de montrer qu'ils sont présents sur tous les fronts. Le Nord syrien reste verrouillé par les Forces démocratiques syriennes (FDS, alliance arabo-kurde) soutenues par Washington, qui tentent de s'emparer de Raqqa, capitale autoproclamée de l'EI. Après avoir consolidé son contrôle sur la « Syrie utile » dans le centre-ouest du pays, en grande partie grâce à l'appui de ses alliés russe et iranien, Damas cherche à tout prix à établir un corridor, en contournant les positions américaines.

« La frontière irakienne est très importante pour les milices chiites et pour l'Iran, car ils peuvent, à travers l'Irak, plus facilement circuler et envoyer des armes ainsi que des hommes. Cela leur permettrait d'avoir une alternative au transport aérien, onéreux, et qui peut aussi devenir risqué si l'aéroport de Damas est frappé de temps à autre », analyse Ziad Majed, spécialiste de la Syrie.

 

(Lire aussi : Les USA « ouvrent le bal » dans le sud-est de la Syrie)

 

Axe chiite
Cette volonté de reconquête du sud-est de la Syrie par le régime s'est heurtée aux intérêts américains. « La présence des bases américaines, qui entraînent les combattants rebelles du groupe Maghawir al-Thawra qui combattent l'EI, montre que les Américains veulent contrôler la frontière entre l'Irak et la Syrie », rappelle le politologue. Et ainsi couper l'axe chiite.

Selon le commandement des forces américaines au Moyen-Orient (Centcom), la frappe a détruit un tank, un bulldozer, un tracteur et un excavateur. Une source militaire syrienne citée par l'agence officielle SANA a fait état hier de plusieurs tués et de dégâts matériels, sans préciser la nationalité des victimes. Selon l'Observatoire syrien des droits de l'homme (OSDH), huit personnes, « pour la plupart non syriennes », ont été tuées dans cette frappe. Le secrétaire américain à la Défense, Jim Mattis, a indiqué hier que le bombardement a été provoqué par « un mouvement offensif, avec des capacités offensives », de ce qu'il pense être des « forces dirigées par l'Iran ». Plusieurs sources évoquent le fait qu'il s'agirait plus précisément de milices chiites irakiennes ou de troupes du Hezbollah. L'agence iranienne Fars a de son côté fait savoir que plus de 3 000 combattants du Hezbollah ont été déployés aux alentours de Tanaf contre les forces rebelles affiliées à l'ASL.

Pour la défense américaine, cette intervention, la troisième contre le régime depuis le début du conflit en 2011, a été effectuée dans le but de défendre ses troupes. En septembre 2016, les États-Unis avaient bombardé une position de l'armée syrienne près de l'aéroport de Deir ez-Zor, tuant plusieurs dizaines de soldats. Cette attaque avait été présentée comme une bavure, l'armée américaine ayant reconnu avoir cru viser des positions de l'EI. Le 6 avril, Washington cible volontairement les forces gouvernementales, lors de l'attaque de la base aérienne d'al-Chaayrate, en réponse à l'attaque chimique de Khan Cheikhoun imputée au régime. Le fait d'avoir visé cette fois-ci un convoi de miliciens chiites délivre un message clair. Contrôler la zone pour empêcher l'EI de circuler à sa guise, mais également empêcher les milices chiites irakiennes de faire de même. « Les États-Unis n'ont pas de problème avec la Russie en Syrie, mais, en revanche, ils ont un véritable problème avec l'expansion iranienne », résume Ziad Majed. « Les Américains frappent les Iraniens ou les pro-Iraniens, dans la continuité de la logique qu'ils ont développées et qui est la seule, pour le moment, un peu claire », poursuit le politologue.

 

(Pour mémoire : Ce que les rebelles syriens attendent désormais d’« Abou Ivanka el-Ameriki »)

 

Pas de réaction iranienne
Reste à savoir si Téhéran prendra acte de cette intervention ou s'il défiera l'administration américaine en tentant de poursuivre son avancée. « Damas et Téhéran veulent tester Trump », souligne le politologue. Des sources militaires syriennes ont d'ores et déjà souligné que « l'armée continuera à accomplir son devoir dans sa lutte contre Daech (acronyme arabe de l'EI) et la défense de tout son territoire et ne se laissera pas intimider par les tentatives de la soi-disant coalition de l'empêcher de mener son devoir sacré ».

Pas de réaction iranienne en revanche, alors que Téhéran, directement visé cette fois, s'était empressé de condamner « vigoureusement » les frappes contre la base aérienne d'al-Chaayrate le mois dernier. La Russie a de son côté condamné hier un bombardement « illégitime ». « Quelle que soit la raison ayant motivé la décision du commandement des États-Unis d'effectuer un tel bombardement, il est illégitime, illégal et il s'agit d'une nouvelle grave violation de la souveraineté de la Syrie », a déclaré le ministre russe des Affaires étrangères Sergueï Lavrov, cité par l'agence de presse Interfax. Selon Jim Mattis, il semblerait que les Russes « aient tenté de dissuader » le convoi bombardé de s'approcher de Tanaf, mais sans succès.

Le risque d'une escalade entre Américains et Iraniens est aujourd'hui envisageable. L'issue de l'élection présidentielle iranienne pourrait notamment peser dans la balance. Si le candidat conservateur Ebrahim Raissi est élu, l'antiaméricanisme latent se verrait exacerbé. Si Téhéran décide de jouer la carte de la provocation, Washington n'hésitera pas à contre-attaquer. D'autant plus que son allié israélien voit d'un très mauvais œil la présence des Iraniens et du Hezbollah dans le Sud syrien.

 

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