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Culture - Installation

Sur la scène vénitienne, l’envoûtant soleil noir de Zad Moultaka

Avec ŠamaŠ, œuvre monumentale, l'artiste a porté haut les couleurs du Liban à la Biennale de Venise.

Zad Moultaka, ŠamaŠ. (c) Association Sacrum, atelier Zad Moultaka

Mandaté par le ministère de la Culture pour représenter le Liban à la 57e édition de la Biennale de Venise, Zad Moultaka a dressé son œuvre au sein de l'Arsenale Nuovissimo, ancien chantier naval de la flotte vénitienne, construit au XVIe siècle, et réputé pour accueillir les installations monumentales des Biennales d'art et d'architecture.

Mixant recherche plastique et démarche musicale, l'œuvre intitulée ŠamaŠ, dieu du Soleil et de la Justice des Babyloniens, est tout à la fois le miroir des reliques crépusculaires du Code de droit d'Hammourabi, écrit il y a près de 4 000 ans, et de la réalité de la région, ancrée aujourd'hui dans la violence.
En s'appuyant sur les vestiges de l'histoire, le compositeur et plasticien interpelle l'imaginaire du spectateur. Pari gagné : le charme opère, les invités à l'inauguration succombent un à un à l'œuvre.

Le spectateur est plongé dans le noir absolu. En toile de fond, un mur lumineux, gigantesque, offre un étonnant spectacle de variations étincelantes, captivant le regard sur la magie de l'instant présent. Et soudain, une détonation, provenant d'un noir totem planté tel un phare, se fait entendre ; et de part et d'autre de l'espace, surgit une procession d'ombres sous le feu des spots, jouant de leurs textures sonores pour psalmodier un chant mystérieux. Le lieu est baigné dans le son. Un moment musical d'une grande intensité qui prend le public à la gorge. Aucune photo ne peut malheureusement reproduire cette expérience surprenante et inoubliable.

Il faut toute la lumière pour découvrir que le mur est une toile rutilante de 150 000 pièces de monnaies, fournies par la Banque du Liban, évoquant la légende du veau d'or. Que le noir totem est un énorme moteur de bombardier Rolls Royce Avon Mk209 entouré de 64 haut-parleurs qui diffusent l'antique hymne à ŠamaŠ récité par 32 choristes de l'Université antonine, sous la direction du père Toufic Maatouk (à signaler que la partie électronique est signée Zad Moultaka et Gilbert Nouno, avec la participation active de l'Ircam). Leurs cantiques amputés et mutilés par le choc de la déflagration sont des chuchotements, des lamentations en akkadien sur la ruine d'Ur, sur un monde disparu, et en l'occurrence sur le Proche-Orient, berceau de grandes civilisations, qui, ironie du sort, s'écrivent aujourd'hui en lettres de sang. Mais pour Zad Moultaka, à l'image du dieu soleil ŠamaŠ, qui expose le mal en pleine lumière et met fin à l'injustice, le chant viendrait conjurer l'apocalypse arabe annoncée.

 

Apocalypse not now ?
Solliciter l'imaginaire musical d'un temps reculé, voire archaïque, n'est pas une simple spéculation de l'artiste. « C'est avant tout la quête d'une énergie ancienne, d'un espace ancré dans des croyances reliant le destin de l'homme à quelque chose qui va au-delà des apparences, un espace enseveli de nos jours sous les décombres d'un monde terriblement superficiel. Loin d'une quelconque reconstruction historique, il s'agit de chercher en soi des débris d'un archaïsme salutaire, permettant simplement de se recentrer sur une intériorité, violentée par un trop-plein de l'apparent, fait observer Zad Moultaka. Au sein de notre civilisation qui se perd sur les rives du matérialisme et se noie à la surface du visible, il est impératif et urgent de questionner le sacré dans le cœur même de l'homme. Le projet se veut au centre de ce questionnement à travers un dialogue spatial, temporel et sonore entre Ur en Irak, Beyrouth au Liban et Alep en Syrie, lieux de terribles violences passées et actuelles, et tout de puissance symbolique du Proche-Orient », ajoute-t-il, soulignant que « ŠamaŠ s'enracine mentalement, physiquement et philosophiquement dans le refus du drame auquel nous assistons dans la région. L'apocalypse arabe, qui menace de mettre fin à notre civilisation, n'est pas inévitable. Sous les cieux bombardés de Syrie, on peut encore entrevoir l'émergence des premiers codes de lois babyloniens et le désir d'une paix sauvage ».

L'artiste affronte la barbarie avec ses propres armes, dans un vibrant appel, une synergie de formes, de matières et de sons, sous le commissariat artistique du Français Emmanuel Daydé, historien, critique d'art et organisateur de Nuit blanche, à Paris, depuis sa création en 2002. Commissaire également de nombreuses expositions dont Vanités de Caravage à Damien Hirst (2010), au musée Maillol.

Signalons que le projet de Zad Moultaka est soutenu par sa galeriste Nadine Begdache, ainsi que par de nombreux partenaires et mécènes, comme la Fondation Robert A. Matta (RAM) pour la promotion de l'art et de la culture ; la Banque Libano-Française ; la Bank Audi ; la Fondation nationale du patrimoine ; la Banque BEMO ; la Fondation Boghossian ; le groupe ABC ; Philippe et Zaza Jabre, Vatché Manoukian, Monique et Gérard Velay. Vu l'absence du soutien de la MEA, c'est Rose Choueiri qui a réglé le prix des billets d'avion des choristes de l'Université antonine.

Rappelons que le Liban s'est doté pour la première fois d'un pavillon national au cours de la 52e Biennale de Venise, en 2007. Soutenu par le ministère de la Culture, il fut installé dans une ancienne brasserie, sur l'île de la Giudecca, et fut l'occasion d'une exposition collective (Foreword), qui a regroupé Fouad el-Khoury, Lamia Joreige, Walid Sadek, Mounira el-Solh et Akram Zaatari. En 2013, le Liban a été représenté par le vidéaste Akram Zaatari, avec son installation vidéo Lettre au pilote qui a désobéi, accueillie au cœur de l'arsenal. En 2016, par décision du ministre de la Culture Rony Arayji, le Liban a décidé de faire son retour à la Biennale avec l'installation ŠamaŠ de Zad Moultaka. Ce dernier n'est pas à sa première exposition à Venise : lors de la dernière Biennale en 2015, il a montré une série de tableaux grand format, Come in terra, au Palazzo Albrizzi, sous le commissariat d'Emmanuel Daydé.

 

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