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Fractures et factures

Un retentissant naufrage sous l'œil des caméras ? Un sabordage plutôt, pour s'en tenir au jargon de marine ? Impitoyable, implacable de sévérité, de férocité même, peut s'avérer cette télévision de proximité qui donne à voir aux masses une version moderne des antiques combats de chefs. Qui, au fil des joutes verbales, laisse clairement apparaître parfois un vainqueur et un vaincu.

Au terme d'une campagne présidentielle pas comme les autres, c'est un débat d'une brutalité elle aussi inédite qui opposait, mercredi soir, le favori centriste Emmanuel Macron et la patronne du Front national. Si celle-ci y laisse une aussi considérable moisson de plumes, ce n'est pas tant à cause de cette agressivité de mauvais aloi dont elle ne s'est pas départie tout au long du duel. Ce n'est pas à cause de ce torrent d'accusations débitées contre son rival et que ce dernier a qualifiées de mensonges. Ce qui a coulé Marine Le Pen, armée d'une épaisse pile de fiches face à un énarque qui avait tout, ou presque, dans la tête, c'est surtout l'incroyable méconnaissance dont elle a fait montre sur plus d'un dossier. L'invective ne pouvait suffire à couvrir le flou, l'approximation, l'impréparation.

Pour concluant que soit le test, force est de constater l'énormité de la tâche de rassemblement qui attend le prochain quinquennat. Car ce sont deux idées certaines et contradictoires de la France, de son identité, de sa société et de sa place dans le monde, qui divisent aujourd'hui le peuple de ce pays, de manière plus dramatique que ne l'a jamais fait la classique émulation entre gauche et droite.

La France n'est pas seule, certes, à souffrir d'un tel phénomène ; bien d'autres démocraties occidentales – et non des moindres – sont, elles aussi, en butte à la montée des populismes, et présentent des clivages similaires. On se prend néanmoins à espérer – à croire même – que c'est bien de l'Hexagone, berceau des libertés, que pourra venir pour tous, grands et petits pays, l'exemple. La méthode à suivre, le mode d'emploi.

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Les Libanais, eux, se donneront-il jamais la peine de jeter un coup d'œil sur la notice ? Durant trois quarts de siècle, notre pays n'a cessé de se couper en deux. Avant même la proclamation du Grand Liban sur les marches de la Résidence des Pins s'entrechoquaient déjà les idéaux ici d'indépendance, et là d'union avec la Syrie. Par la suite, c'est le nationalisme arabe de Nasser qui divisait les Libanais, bientôt suivi de la résistance armée palestinienne et, plus tard, du Hezbollah. En viendra-t-on un jour à regretter l'heureux temps où la division ne s'opérait que par deux ?

C'est d'émiettement qu'est menacé aujourd'hui le Liban, où les vieux clivages idéologiques (ou supposés tels) ont souvent fait place aux alliances tactiques de pur intérêt politique ou bassement matériel. Depuis huit ans, le pays se trouve incapable de se doter d'une loi électorale faisant justice à ses diverses familles culturelles. Au Parlement, on voit certains des orateurs les plus suspects de vénalité prêcher, avec force effets de manche, la lutte contre la corruption.

Au gouvernement, on songe à renouer avec la criminelle tradition du courant électrique importé à prix d'or et à fonds perdus, à bord de générateurs flottants, plutôt que de remettre sur pied une production en panne depuis plus de trois décennies. C'est à l'aide des mêmes et stupides expédients que continue d'être traitée la crise des ordures ménagères. Le plus impunément du monde, car jouissant de puissantes protections, les carrières sauvages grignotent les forêts et il n'est nul secteur de la vie publique (internet, téléphonie, et on en oublie) qui échappe au vorace appétit des affairistes de la république.

C'est pour convaincre les émigrés de revenir dans ce ravissant petit paradis de mère patrie que le ministre des Affaires étrangères se livre en ce moment, sous le parrainage des plus hauts responsables, à un tonitruant carnaval. Ce n'est en effet que creuses gesticulations et péroraisons de bonimenteur vantant un produit truqué : à savoir la perspective d'un État de droit et de normalité constitutionnelle en bonne voie d'édification. Que l'on commence donc par mettre les bœufs devant la charrue ; que l'on œuvre plutôt à stopper l'exode de tous ces jeunes, à qui l'on persiste à dénier tout espoir d'un Liban plus vivable, plus viable.

Là non plus, l'outrance et le ridicule n'auront pas échappé aux caméras.

Issa GORAIEB
igor@lorientlejour.com

Un retentissant naufrage sous l'œil des caméras ? Un sabordage plutôt, pour s'en tenir au jargon de marine ? Impitoyable, implacable de sévérité, de férocité même, peut s'avérer cette télévision de proximité qui donne à voir aux masses une version moderne des antiques combats de chefs. Qui, au fil des joutes verbales, laisse clairement apparaître parfois un vainqueur et un...