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L’invité du soir

Depuis des années déjà, il figurait au nombre des préoccupations vitales des Français. Au fil des attentats, il lui est même arrivé de supplanter, en termes d'actualité et d'urgence, des thèmes aussi controversés que l'Europe, le chômage et la fiscalité. Mais jamais, au grand jamais, le terrorisme ne s'était invité avec une telle insolence, un tel sens de l'à-propos dans le débat national qui oppose les principaux candidats à l'élection présidentielle. C'est en effet à deux jours du scrutin, et au moment même où les onze candidats se livraient à une ultime joute télévisée, que survenait la sanglante attaque contre des policiers sur les Champs-Élysées.

À première vue, et ne serait-ce que par son diabolique timing, l'agression de jeudi soir semble apporter des masses d'eau au moulin du Front national. Car c'est bien celui-ci qui réclame à cor et à cri le renforcement des capacités policières, le rétablissement du contrôle des frontières et une sévère limitation de l'immigration. Mais tout n'est pas si simple et ils ont beau jeu eux aussi, ceux qui, tel Emmanuel Macron, mettent en garde contre toute instrumentalisation de cette peur avec laquelle les Français vont devoir vivre longtemps encore.

Le plus angoissant, cependant, c'est que, sur certains points du moins, les uns et les autres peuvent raisonnablement espérer convaincre en arguant du bon sens. Malgré la confusion des noms suscitée par le bulletin de Daech revendiquant l'attentat, l'auteur présumé de la fusillade des Champs-Élysées est bien un citoyen français, et il n'a donc pas eu à franchir des frontières pour commettre son crime sur un des sites les plus prestigieux de l'Occident haï.

Mais on n'arrive pas à croire que ce dangereux individu, déjà condamné et emprisonné pour tentatives d'homicide – il en voulait très spécialement aux agents de l'ordre –, n'était pas fiché pour autant. Arrêté il y a deux mois pour avoir confié à un proche son intention de tuer des policiers, il avait été relâché pour insuffisance de preuves. Et il est clair que ce repris de justice théoriquement placé en liberté surveillée n'était pas suffisamment tenu à l'œil.

Pour justifiées que puissent être les accusations de laxisme, elles ne sauraient autoriser les atteintes graves aux libertés publiques et autres valeurs républicaines dont tous les candidats ou presque se réclament à l'unisson. Une radicalisation de la France serait, si l'on ose dire, pain bénit pour Daech, qui se réclame criminellement de la religion, qui pousse à la roue d'un choc des civilisations à l'échelle planétaire. À l'inverse, une suspension de la campagne électorale, telle que proposée par le candidat de la droite François Fillon, serait une nette victoire concédée à la terreur. Inopérants enfin seraient les appels au calme, au sang-froid, à la résistance lancés çà et là et qui sonnent si bien aux oreilles, s'ils n'étaient accompagnés de mesures visant à serrer les vis partout où il le faut.

Neutraliser les pépinières de terroristes sans trop malmener Marianne pour autant : c'est un sacré rébus qui attend le prochain pensionnaire de l'Élysée.

Issa GORAIEB
igor@lorientlejour.com

Depuis des années déjà, il figurait au nombre des préoccupations vitales des Français. Au fil des attentats, il lui est même arrivé de supplanter, en termes d'actualité et d'urgence, des thèmes aussi controversés que l'Europe, le chômage et la fiscalité. Mais jamais, au grand jamais, le terrorisme ne s'était invité avec une telle insolence, un tel sens de l'à-propos dans le débat...