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Économie - Interview

Bifani : L’inefficience des services publics plus coûteuse que les impôts

Le directeur général du ministère des Finances, Alain Bifani, revient pour « L'Orient-Le Jour » sur certains enjeux fiscaux et politiques liés à l'adoption, la semaine dernière par le Conseil des ministres, du projet de budget pour 2017.

Le directeur général du ministère des Finances, Alain Bifani. Photo C.N.

Pour la première fois depuis 2012, le gouvernement a adopté un projet de budget en vue de le transmettre au Parlement, laissant entrevoir la possibilité de mettre fin à des années d'aberration démocratique. Êtes-vous confiant sur son vote définitif par les députés, alors qu'ils ne l'ont pas fait depuis 2005 et que plusieurs obstacles juridiques demeurent ?
Le projet de loi de finances pour 2017 sera publié au Journal officiel lors de sa transmission au Parlement dans quelques jours. Outre le fait qu'il est fondamental pour le contrôle démocratique, le vote du budget remettra les institutions en ordre et mettra fin à des pratiques telles que l'utilisation abusive du « douzième provisoire » ou le vote de crédits supplémentaires exceptionnels. Il permettra aussi de contenir l'inflation des dépenses liée à l'absence de budget voté depuis 12 ans, car la reprise des débats a ravivé la prise de conscience sur la nécessité de les rationaliser.

Certes, la Constitution exige que pour voter le budget de 2017 il faille préalablement clôturer les comptes de 2015, ce qui suppose que les comptes des années précédentes soient corrects. Or cela n'a jamais été le cas et la direction générale du ministère a entrepris dès 2010 un travail de titan pour reconstituer les comptes publics depuis 1993. Dans quelques mois, nous aurons donc pour la première fois des comptes effectivement audités, mais en attendant, on ne peut pas éternellement arguer du fait que certaines choses ne sont pas faites pour bloquer tout un processus ! Par ailleurs, il semble qu'une commission ministérielle et parlementaire travaille actuellement sur une formule juridique permettant l'adoption du budget avant la fin du travail de reconstitution des comptes financiers, et on attend sa décision. Plus globalement, il semble qu'il y ait un consensus politique sur le fait qu'il faut sortir de la spirale des dépenses incontrôlées en votant un budget.

 

Après deux années de hausse, le projet table sur une baisse de 2,2 % du déficit par rapport au record atteint en 2016. Rapporté au PIB, il reste néanmoins nettement supérieur à celui de 2015 (8,7 % contre 7,8 %). N'était-il pas possible de le réduire davantage ?
En se basant sur une prévision de croissance du PIB de 1,8 %, le déficit est estimé à 4,8 milliards de dollars, du fait d'une hausse importante des recettes (+9,5 % à 10,9 milliards de dollars) et d'une augmentation relativement contenue des dépenses (+4,7 % à 15,7 milliards de dollars). Cela dit, la diminution du déficit est un exercice extrêmement difficile, même si l'on compare avec 2015. Car entre-temps, il y a encore eu une énorme augmentation des postes liés aux salaires, pensions et recrutements, une hausse presque mécanique du service de la dette et des transferts à Électricité du Liban toujours importants malgré la chute des cours du brut. Or, dans le même temps, la structure des recettes a peu évolué. Il reste donc à mener les réformes structurelles nécessaires pour inverser la spirale de l'endettement à travers une maîtrise des déficits, la poursuite de notre stratégie de gestion de la dette et un soutien à la croissance.

 

Les prévisions du projet de budget n'incluent pas encore le coût de la nouvelle grille des salaires de la fonction publique ni la vingtaine de mesures fiscales permettant de les financer, actuellement discutées au Parlement. Quelles sont les nouvelles taxes qui ont été adoptées avec le projet et combien devraient-elles rapporter ?
Naturellement, lors d'un exercice budgétaire normal, tout cela aurait dû être discuté au sein du budget. Mais comme de nombreuses mesures fiscales avaient déjà été discutées lors de l'examen avorté de la grille en 2014, le gouvernement a préféré renvoyer l'étude de ces textes au Parlement. Il faut d'ailleurs préciser que les recettes qui sont examinées par les députés avec la grille sont des recettes budgétaires générales, dont le montant prévu (1,6 milliard de dollars) dépasse sensiblement son coût (plafonné à environ 793,1 millions de dollars pour cet exercice).

En ce qui concerne les mesures adoptées dans le projet de budget, elles devraient générer 1,3 milliard de dollars supplémentaires. Certaines améliorent les recettes, comme le relèvement de l'impôt forfaitaire sur les sociétés offshore (de 1 à 5 millions de livres libanaises) ou celui de la taxe mécanique (progressif en fonction du type de véhicule). D'autres les réduisent, comme l'abaissement des droits sur les propriétés bâties, qui seront calculés sur la base de 50 % de la valeur locative (au lieu de 100 %) pour deux résidences au maximum par contribuable. Enfin, certaines n'auront pas d'effet immédiat mais un impact à moyen terme. C'est notamment le cas d'une mesure visant à lutter contre les sociétés fantômes en introduisant le paiement d'une avance de 1 % au titre de l'impôt sur les bénéfices sur chaque opération d'importation au moment où elle est réalisée.

Parallèlement, le texte contient plusieurs amendements au code de procédure fiscale concernant, par exemple, l'envoi électronique (facultatif) des déclarations ou le rallongement (de 3 à 7 ans) du délai de prescription sur le recouvrement des créances.

 

S'agissant de l'ensemble des nouvelles mesures fiscales envisagées – dont celles renvoyées au Parlement avec la grille (comme le relèvement d'un point du taux de TVA) –, elles ont suscité de fortes oppositions de la société civile. De fait, la fiscalité libanaise est déjà perçue comme socialement injuste avec une surreprésentation des impôts indirects et une faible progressivité. Comprenez-vous ces critiques ?
S'agissant de l'impact social de la fiscalité libanaise, le constat mérite d'être relativisé. D'abord, les impôts directs touchent relativement peu les faibles revenus et la progressivité, même si elle pourrait être renforcée à l'avenir, existe. Quant aux impôts indirects, il faut par exemple rappeler que la TVA libanaise comporte énormément d'exemptions concernant les produits de première nécessité qui limitent son effet régressif.
En outre, certaines mesures en discussion au Parlement renforcent l'équité du système. Comme par exemple la suppression de niches fiscales via l'introduction d'un impôt (de 15 %) sur les plus-values immobilières des particuliers, ou le relèvement de 2 points (à 7 %) de l'impôt sur les intérêts bancaires, qui réduit l'écart de taxation entre la rente et les dividendes issus des investissements (imposés à 10 %).
Plus généralement, je crois que ce qui pèse le plus pour les contribuables, ce n'est pas tant les impôts que le coût énorme qu'ils doivent supporter en payant plusieurs factures pour pallier l'inefficience des services publics en termes d'électricité, d'eau, de télécommunications, etc. De ce point de vue-ci, le citoyen a certainement raison de se plaindre.

 

Parmi les pistes de mesure envisagées, la taxation des plus de 5 milliards de dollars de revenus exceptionnels engendrés par les banques à travers l'ingénierie financière menée l'an dernier avec la Banque centrale a fait couler beaucoup d'encre. Ces revenus seront-ils simplement imposés au titre de l'impôt sur les sociétés de capitaux ou feront-ils aussi l'objet d'une taxe spécifique ?
Ces profits supplémentaires seront soumis à l'impôt sur les bénéfices et le projet de budget inclut déjà une prévision de recette supplémentaire d'environ 762 millions de dollars, calculée sur la base d'un taux à 15 %. Si les députés relèvent ce taux à 17 %, ces recettes seront supérieures. Par ailleurs, les ministres ont discuté d'une taxe forfaitaire supplémentaire sur ces revenus et un avis a été demandé à la commission de consultation et de légifération du ministère de la Justice, qui doit rendre incessamment sa décision. Le projet de budget n'inclut donc pas cette mesure.

 

Plus généralement, au-delà de sa dimension comptable, l'on peine à voir l'orientation que traduit ce projet en termes de politique économique...
Ce n'est pas un plan de politique économique bien articulé mais un premier pas qui touche quand même à des choix structurels excessivement importants. Certes, ce n'est pas un budget de relance car les niveaux de déficit et de dette publics que nous avons ne permettent pas de consentir immédiatement à des investissements énormes pour soutenir la croissance sans garanties de retours à court terme. Ce n'est pas non plus un budget de rigueur, parce que les dépenses augmentent encore, même si c'est à un rythme plus modéré, et que nous ne sommes pas encore entrés dans les coupes drastiques qui sans aucun doute devront être faites un jour... Mais encore une fois, sa discussion a eu le mérite de relancer le débat sur les vrais sujets, ce qui devrait logiquement déboucher à plus long terme sur des politiques économiques cohérentes. Ce que j'espère vivement.

 

 

 

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Pour la première fois depuis 2012, le gouvernement a adopté un projet de budget en vue de le transmettre au Parlement, laissant entrevoir la possibilité de mettre fin à des années d'aberration démocratique. Êtes-vous confiant sur son vote définitif par les députés, alors qu'ils ne l'ont pas fait depuis 2005 et que plusieurs obstacles juridiques demeurent ?Le projet de loi de finances...

commentaires (4)

En somme, Mr. Biffani, si l'on essaye de comprendre votre analyse économique du pays, c'est un peu comme la chanson: "mais à part ça, Mme. La Marquise, tout va très bien, tout va très bien". Plein de projets de taxations directes et indirectes, de réduction du déficit, et un nouveau budget bidon qui n'a aucun repère, puisqu'il n'y a eu aucun budget précis depuis des années: plein de belles paroles pour tourner autour d'une idée claire: l'état presque en faillite et le citoyen au crachoir...

Saliba Nouhad

14 h 47, le 03 avril 2017

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Commentaires (4)

  • En somme, Mr. Biffani, si l'on essaye de comprendre votre analyse économique du pays, c'est un peu comme la chanson: "mais à part ça, Mme. La Marquise, tout va très bien, tout va très bien". Plein de projets de taxations directes et indirectes, de réduction du déficit, et un nouveau budget bidon qui n'a aucun repère, puisqu'il n'y a eu aucun budget précis depuis des années: plein de belles paroles pour tourner autour d'une idée claire: l'état presque en faillite et le citoyen au crachoir...

    Saliba Nouhad

    14 h 47, le 03 avril 2017

  • L,INEFFICACITE DES SERVICES PUBLICS QU,EST-ELLE SINON LA DILAPIDITION SANS MESURE DE LA SUEUR ET DES TAXES VERSEES PAR LES CITOYENS !

    LA LIBRE EXPRESSION

    10 h 51, le 03 avril 2017

  • Excellent article tant pour la pertinence des questions que pour la précision et la clarté des réponses. Cependant il manque la conclusion évidente : Messieurs Les Responsables, ne mettez pas la charrue avant les bœufs. Commencez par assainir les services publics "inefficaces de votre propre aveu", donnez aux citoyens leurs droits les plus élémentaires ce qui aura pour effet immédiat de réduire sans doute fortement leurs dépenses basiques, ils pourront ainsi payer aisément les nouvelles taxes et nouveaux impôts. En ce qui concerne les taxes sur les intérêts bancaires, vous oubliez Monsieur le Directeur Général que le système de retraite mensuelle n'existant pas au Liban, le salarié libanais tente de constituer une épargne qui lui servira de rentrées financières au moment où il arrête sa vie professionnelle. Le taxer d'avantage fragilise fortement cette population déjà particulièrement vulnérable.

    Lecteur excédé par la censure

    08 h 50, le 03 avril 2017

  • quelle lumiere ce biffani, et dire qu'on le paye pour nous pondre des evidences pareilles.

    George Khoury

    07 h 47, le 03 avril 2017

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