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Nos Lecteurs ont la Parole - Dr Fadoie MARDAM-BEY MANSOUR

Peut-on contester la légitimité du réajustement de la grille des salaires des fonctionnaires ?

En janvier 2014, le gouvernement libanais a adopté un réajustement des salaires au secteur privé. Et l'on parlait déjà des exigences de Paris 3, d'augmenter la TVA de 10 % à 12 %, et de relever les taxes sur les dépôts bancaires de 5 % à 8 %. Le gouvernement ne voulant pas prendre des mesures (peu populaires) de hausse d'impôts, craignant vraisemblablement une hausse des prix, il a voulu retarder la hausse des salaires au secteur public (mis à part le secteur judiciaire et les enseignants universitaires). Selon le ministre des Finances dudit gouvernement, cela aurait coûté à l'État plus de 431 millions de dollars.
Malgré le fait que le réajustement des barèmes et des traitements dans le secteur public soit discuté depuis, à chaque changement de gouvernement, il n'y a pas jusqu'à cette date d'estimations fiables sur le coût de ce réajustement. Le ministre des Finances, Ali Hassan Khalil, a avancé « le chiffre de 1,6 milliard de dollars par an en ce qui concerne le coût de l'augmentation des salaires du cadre administratif, du corps professoral, des militaires, des ministres et des députés ».
La Chambre des députés a adopté, le 8 mars 2017, le relèvement d'un point le taux de TVA (à 11 %) et de plusieurs points l'impôt sur la plus-value immobilière, sur les boissons alcoolisées importées et le tabac, et les droits de timbre, etc... Mais les discussions sur le financement de la grille des salaires ont capoté avant le vote de la totalité des mesures prévues dans le projet de loi et la Chambre a reporté le vote de la grille des salaires ! L'agitation politique et sociale est devenue très virulente. Le parti des Phalanges s'oppose à de nouvelles impositions, le président du Parlement défend la nouvelle grille alors que le chef du Parti socialiste progressiste Walid Joumblatt s'y oppose « si des moyens de financement clairs ne sont pas trouvés... malgré son caractère légitime ».
Même les économistes ne sont pas tous d'accord sur les effets du réajustement de la grille. Pour certains, « la grille des salaires se finance par elle-même. Le Liban est un pays de consommation et l'effet multiplicateur va naturellement réactiver les marchés ». Alors que pour d'autres, « dans le contexte actuel, dominé par une crise économique à l'horizon incertain et un plan de réformes inexistant, l'impact de cette nouvelle grille de salaires est plus qu'aléatoire ».
D'un point de vue « keynésien », cette augmentation des salaires aura certes un effet positif sur la consommation. Mais l'effet positif de cette consommation sur la croissance est contesté, vu que la part des importations dans la consommation finale et dans la production est presque intégrale. Peut-on alors empêcher l'augmentation des prix avec une augmentation importante et soudaine de la demande ? La hausse de la masse salariale du secteur public aura donc des conséquences négatives sur le reste de la population. Dans un contexte de croissance quasiment nulle, ce qui est donné à telle catégorie est repris
à telle autre.
Concernant la légitimité de la grille, tout le monde paraît d'accord là-dessus. Par principe d'équité, nul ne peut contester des traitements comparables dans les deux secteurs privé et public. Difficile de dire qu'un soldat risquant sa vie, un enseignant amenant ses étudiants aux examens officiels, ou un policier supportant les menaces des trafiquants méritent un gel de l'augmentation de leurs salaires !
Mais attention ! Le gel de la grille ne signifie nullement que les salaires n'ont pas augmenté. Conformément au statut de la fonction publique, les carrières continuent d'avancer automatiquement ou avec des promotions. Avant le réajustement de la grille, les fonctionnaires, dans leur ensemble, coûtent trop cher. Par manque de qualité, le service public ne génère pas la valeur ajoutée requise, il handicape dans certains cas la croissance du secteur privé et lui inflige des dépenses supplémentaires. En plus, tous les fonctionnaires bénéficient d'une protection de leurs emplois. Qui a risqué sa position ou son poste à cause d'une erreur commise ? D'une fusion entre des administrations ? D'une diminution de sa productivité ? Ou de la révolution numérique ?
Comment avons-nous pu arriver à ce niveau ? Aucune étude sérieuse n'a été faite sur les vrais besoins d'un État moderne depuis le régime du président Fouad Chéhab. Aucune réforme de structure n'a eu lieu depuis. Il y a un déséquilibre dans l'emploi entre les différentes administrations publiques et l'embauche continue à se faire selon des considérations peu claires.
Le financement des dépenses publiques pèse lourd sur l'activité productive. Nous subissons quotidiennement de la mauvaise qualité des services publics (eau, électricité, internet...). Le contribuable continue à financer une fonction publique peu rentable. Nous ne pouvons pas nous empêcher de voir l'augmentation prévue des salaires dans la fonction publique comme un cadeau pour l'électorat à l'approche des élections.
En matière d'imposition, une décision injustifiée ranime le mépris vis-à-vis d'une fonction publique très hétérogène au niveau des efforts, des compétences et de l'engagement au service du citoyen. Même si les fonctionnaires paient leurs impôts, leur contribution est nécessairement inférieure à leurs salaires et c'est le secteur privé qui doit supporter la différence. Certes, le rôle des fonctionnaires est indispensable dans une économie, mais leur poids est trop lourd pour le secteur privé notamment quand la croissance est faible. Nous pouvons donc contester la légitimité de la grille des salaires des fonctionnaires quand les services publics sont de qualité médiocre.
Pour sortir de cette spirale infernale, ne faudrait-il pas commencer par renforcer la cohésion sociale autour d'un projet national de réforme administrative ? Étudier les vrais besoins en ressources humaines de la fonction publique, adopter des politiques de gestion stratégique de ces ressources, rationaliser les dépenses publiques et appliquer les principes de rentabilité et d'efficacité dans la production marchande et non marchande ? Dans ce cas, il n'y aura plus besoin d'augmenter les taux d'imposition. Il sera, en plus, possible de récompenser les meilleurs fonctionnaires et d'encourager les meilleurs éléments à adhérer à la fonction publique libanaise.

Dr Fadoie MARDAM-BEY MANSOUR

En janvier 2014, le gouvernement libanais a adopté un réajustement des salaires au secteur privé. Et l'on parlait déjà des exigences de Paris 3, d'augmenter la TVA de 10 % à 12 %, et de relever les taxes sur les dépôts bancaires de 5 % à 8 %. Le gouvernement ne voulant pas prendre des mesures (peu populaires) de hausse d'impôts, craignant vraisemblablement une hausse des prix, il a...

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