Combien d'États dans le monde arabe seraient aujourd'hui prêts à abandonner une partie de leur souveraineté au profit d'une organisation visant à les unir ? Combien d'entre eux seraient aujourd'hui prêts à signer un traité de coopération économique visant notamment à sanctuariser la paix ? Probablement aucun. La vague panarabiste s'est brisée sur les digues des égoïsmes nationaux. La Ligue arabe n'a jamais été en mesure de régler un conflit régional. Même le Conseil de coopération du Golfe ne doit son efficacité qu'au fait qu'aucun État ne peut se permettre de contester l'autorité de Riyad. Les dirigeants arabes parlent constamment d'unité, mais n'ont aucune envie de la concrétiser dans les faits. Vu du monde arabe, ce qu'ont réalisé les Européens a quelque chose d'extraordinaire, au sens le plus littéral du terme. Difficile d'imaginer ici l'équivalent d'une réconciliation franco-allemande ou bien d'un marché commun. Encore plus difficile d'imaginer 70 ans de paix et de prospérité.
« Quand je m'observe, je m'inquiète. Quand je me compare, je me rassure », écrivait Talleyrand. Les Européens devraient réfléchir à cette maxime du diplomate français au moment de célébrer les 60 ans du traité de Rome. L'Europe a réussi là où les Arabes ont échoué, alors que les facteurs d'unité n'étaient pas plus évidents pour les premiers que pour les seconds. La comparaison peut paraître absurde, mais la naissance européenne n'avait rien d'une évidence au lendemain de la Seconde Guerre mondiale.
L'Europe peut s'enorgueillir d'être née et d'avoir vécu une enfance plutôt heureuse. Mais elle doit désormais devenir adulte, si elle ne veut pas à son tour être effacée par l'histoire. Être adulte, c'est comprendre qu'avoir cru que le monde était entré dans une phrase post-tragique était une utopie. C'est accepter de se remettre en question et de se donner les moyens de répondre aux défis existentiels que posent les populistes à l'intérieur et les revanchards à l'extérieur. C'est surtout (re)devenir une entité politique, capable d'offrir à ses citoyens non seulement la liberté, mais aussi la sécurité: l'hymne à la joie, mais aussi « l'hymne à la peur », pour reprendre une jolie formule d'un europhile convaincu.
L'Europe post-Brexit risque aujourd'hui la dislocation, surtout si Marine Le Pen arrive au pouvoir en France dans quelques semaines. Mais l'Europe a également l'opportunité, historique, de se relancer sur de nouvelles bases, de bâtir des fondations plus solides fondées sur la nécessité de coopérer étroitement pour répondre aux grands défis civilisationnels : sécuritaire, militaire, migratoire, écologique, moral. Si des candidats pro-européens l'emportent au cours des élections françaises et allemandes, alors l'Europe aura une chance unique de connaître un second souffle. Il ne suffira pas toutefois de clamer les slogans creux, de parler de concepts devenus inaudibles et incompréhensibles, comme « l'Europe à plusieurs vitesses », mais il faudra définir clairement quelle est la nature et quelles sont les ambitions du projet européen. Avant de soumettre ces propositions aux peuples européens.
L'Europe ne peut plus avancer sans le souffle des peuples. Ou contre le souffle des peuples. Elle doit retrouver son moteur, faire un vrai travail de pédagogie, si elle veut se penser, non plus comme un ovni, mais comme une puissance prête à assumer ses responsabilités et à défendre ses intérêts dans le nouveau concert des nations. Si l'Europe y parvient, elle pourra définitivement être présentée comme un modèle pour le reste du monde. Et pour les Arabes, en particulier...
Tribunes
Une occasion unique de relancer le modèle européen
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commentaires (6)
Wâllâââh ? C'est une "question de Race", ou quoi ?!
ANTOINE-SERGE KARAMAOUN
16 h 35, le 25 mars 2017