Quel dirigeant peut aujourd'hui se targuer de recevoir le Premier ministre israélien Benjamin Netanyahu, tout en coopérant étroitement avec l'Iran sur le plan militaire ? Et d'accueillir, 24 heures plus tard, le président turc Recep Tayyip Erdogan, tout en entretenant des relations étroites avec le Parti de l'Union démocratique (PYD) – branche syrienne du Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK) ? Un seul : Vladimir Poutine.
À l'aune de l'intervention russe en Syrie, le chef du Kremlin est devenu un interlocuteur indispensable pour les puissances au Proche et Moyen-Orient. Maître du terrain syrien, centre de gravité stratégique de la région, le président russe tente désormais de calmer les tensions entre ses différents partenaires, qui appartiennent parfois à des camps opposés. Une tâche ardue compte tenu des intérêts contradictoires des alliés de Moscou. Et un rôle de pacificateur qui ne sied pas forcément à M. Poutine.
Jeudi, Benjamin Netanyahu, avec qui il entretient plutôt de bonnes relations personnelles, a rappelé au président russe que l'Iran était encore considéré comme la menace numéro un pour Israël. « Il ne pourra pas y avoir de paix tant qu'ils (les Iraniens) poursuivront la guerre, et par conséquent il faut qu'ils partent (de Syrie) », a déclaré le Premier ministre israélien à la presse à Moscou. M. Poutine a eu beau estimer que l'opposition entre « les Perses » et le « peuple juif » était de l'histoire ancienne, il se trouve tout de même dans une position embarrassante. Même s'ils ne partagent pas les mêmes intérêts, Moscou a besoin de Téhéran pour consolider son emprise sur la Syrie de Bachar el-Assad. Israël voit, pour sa part, d'un très mauvais œil la montée en puissance de l'Iran et des milices qui lui sont obligées dans la région, en particulier le Hezbollah. L'État hébreu craint que Téhéran et ses protégés s'installent dans le Sud syrien, d'où ils pourraient ouvrir un jour un nouveau front contre lui. Moscou joue pour l'instant un rôle de tampon entre les deux ennemis. L'aviation israélienne est intervenue à plusieurs reprises pour empêcher des transferts d'armes au Hezbollah en Syrie, sans que Moscou n'intervienne ou ne condamne ces opérations. Cela laisse à penser qu'il y a un accord implicite entre les deux acteurs, mais les contours de celui-ci ne sont pas tout à fait clairs. Moscou peut-il empêcher Téhéran et le Hezbollah de s'implanter durablement dans le Sud syrien ? Comment réagira-t-il en cas d'escalade entre les deux parties ?
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Deux obstacles de poids
Le Nord syrien peut être tout aussi explosif que le Sud pour Moscou. Même si la rencontre d'hier avait notamment pour but d'entériner la réconciliation entre la Russie et la Turquie, des divergences demeurent entre les deux parties. M. Erdogan a répété hier son souhait de créer une « zone de sécurité » débarrassée des jihadistes de l'État islamique (EI) et des miliciens kurdes YPG dans le Nord syrien. « Nous devons admettre désormais qu'une organisation terroriste ne peut pas être vaincue en employant une autre organisation terroriste », a ajouté M. Erdogan pour mieux critiquer le soutien apporté par les Américains et, dans une moindre mesure, par les Russes aux Kurdes syriens, considérés comme terroristes par Ankara.
Si le chef du Kremlin peut essayer de gagner du temps pour gérer la situation dans le Sud syrien, il n'a pas ce luxe dans le Nord. Après avoir repris al-Bab, les Turcs veulent s'emparer de Manbij, contrôlé par le PYD, avant de participer à la bataille de Raqqa. Deux obstacles de poids se trouvent pourtant sur la route d'Ankara. Tout d'abord les troupes du régime syrien, dont Moscou est le parrain, déployées à l'extérieur de la ville.
(Lire aussi : La montée en puissance turque au Moyen-Orient et ses limites)
Ensuite, les centaines de soldats américains déployés dans la région, pour venir en aide au PYD dans sa lutte contre l'EI. Si les risques d'incidents entre l'armée turque, qui encadre les rebelles syriens, et les soldats américains sont quasiment inexistants, ils sont beaucoup plus importants avec les troupes du régime, qui voit d'un très mauvais œil la présence turque dans le Nord syrien. Moscou ne peut pas laisser les Turcs avancer vers Manbij mais cette interposition, même diplomatique, risque de compliquer les possibilités de trouver un accord entre les deux parties pour favoriser un processus de paix en Syrie. D'autant plus compliqué qu'Ankara et Téhéran, le troisième parrain des négociations, sont dans une relation de concurrence pour étendre leur influence dans le Nord syrien. Entre tous ces feux, Moscou doit désormais endosser le costume de faiseur de paix s'il veut stabiliser la situation en Syrie. Un premier rôle qui jusqu'à aujourd'hui était toujours brigué, pour le meilleur et pour le pire, par le rival américain...
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commentaires (6)
Pas de costume américain ! titre trompeur , les américains sont en Syrie illégalement...! pas plu que les Turc sont légaux ..mais eux, ils ont l'habitude, depuis l'invasion de Chypres en 1974..!
M.V.
12 h 07, le 11 mars 2017