Si le gouvernement Hariri est déterminé à voter un nouveau budget de l'État, et tient des séances marathons pour atteindre ce but, il reste que le tout premier cabinet du mandat Aoun planche sur ce dossier épineux en l'absence de toute politique économique claire, et à l'heure où les administrations publiques sont atteintes du fléau de la corruption, sans solution efficace.
C'est principalement ce qu'a stigmatisé le chef des Kataëb, Samy Gemayel, lors d'une rencontre avec les médias tenue hier au siège du parti, à Saïfi. « Le vote du budget est très important, dans la mesure où la dernière décennie a ouvert la voie à un grand gaspillage et une corruption sans égale, à l'heure où le déficit ne fait qu'augmenter, sachant qu'il se chiffre aujourd'hui à près de cinq milliards de dollars », note M. Gemayel. Le déficit budgétaire (dont le ratio par rapport à l'économie nationale, c'est-à-dire au PIB, s'élève à 140 %) n'est pas la seule inquiétude de Samy Gemayel. Il lui importe aussi que le pouvoir politique mette en place une vision économique et financière à même de redresser l'économie du pays. Mais selon lui, l'absence de cette vision pourrait s'expliquer par « la logique de partage du gâteau qui guide les débats aléatoires engagés aujourd'hui autour de la loi de finance 2017 ».
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Le jeune député du Metn a profité de sa rencontre avec les médias pour exposer la réalité économique et financière du pays en vue de « tenter de présenter des solutions axées sur une vision scientifique ». « Nous sommes un pays en faillite qui vit une grave crise économique, doublée du fléau du gaspillage et de la corruption qui a affaibli le prestige de l'État et réduit la confiance populaire envers les autorités publiques », a souligné le chef des Kataëb, qui s'est dit « étonné de ce que la classe politique reste attachée à des pratiques douteuses axées sur le partage du gâteau ».
Tout en soulignant qu'il n'est pas de son devoir, en tant que leader d'un parti qui a opté pour l'opposition, de fournir les solutions adéquates aux autorités publiques, le chef des Kataëb a estimé que ce grand chantier commence par la réduction des emplois fictifs dans les administrations publiques, d'autant que les salaires des fonctionnaires constituent 8,5 % des dépenses de l'État. « Il faut opérer des réformes pour dégraisser les instances publiques », a-t-il déclaré, mettant l'accent sur « l'importance de privilégier les personnes compétentes, en vue d'améliorer l'efficacité du service public ». Et c'est à la faveur de cet objectif de redressement des services que M. Gemayel s'est ouvertement prononcé en faveur d'une production de l'électricité dans le cadre d'un partenariat entre les secteurs public et privé.
Si certains croient que ce tableau est valable pour la cité utopique de Platon, non dans un pays aux rapports politiques et économiques complexes comme le nôtre, Samy Gemayel, lui, y croit fermement et y ajoute une dernière priorité : « Redynamiser les instances de contrôle, à l'heure où le pays souffre d'un problème structurel lié aux appels d'offres de l'État. Et pour cause : certains hommes politiques prennent part aux contrats conclus par l'État et perçoivent des commissions ».
(Pour mémoire : Gemayel : Aoun doit presser Hariri et Berry de soumettre au vote les 17 projets transmis au Parlement)
« Oui à la grille des salaires, non aux impôts »
L'engagement du cabinet Hariri à mettre sur pied un budget, après plus d'une décennie de dépenses conformément à la règle du douzième provisoire, a ravivé le débat autour de la grille des salaires promise aux fonctionnaires et travailleurs depuis 2012. Si le gouvernement a renvoyé la balle aux commissions conjointes qui devraient plancher sur ce dossier à partir de lundi, cela n'éclipse aucunement les craintes qu'éprouvent les diverses classes sociales et de nombreux acteurs de la vie économique quant à de nouveaux impôts destinés justement à financer la grille des salaires.
Samy Gemayel perçoit les choses sous un angle tout à fait différent. Il estime qu'une sérieuse lutte contre la corruption qui a envahi l'État est à même d'assurer les recettes budgétaires, loin de toute taxe susceptible de léser les agents économiques, et encore moins les personnes aux revenus faibles.
« Financer la grille des salaires par des impôts qui toucheraient les citoyens, à l'heure où l'État adopte une attitude corrompue, est un crime », a affirmé M. Gemayel sans détour. Selon lui, « il vaudrait mieux contrôler les entrées de la corruption au port et à l'aéroport de Beyrouth, et ailleurs ».
« Il est très faux de prétendre que le problème se situe entre les salariés et les organismes économiques, a souligné Samy Gemayel. Les deux parties sont en droit de s'opposer aux impôts en perspective. Le problème réside principalement dans la mauvaise attitude de l'État. » « Je veux qu'une grille des salaires soit votée, mais je n'accepterai pas que les citoyens soient contraints à payer de nouveaux impôts », a-t-il martelé sur ton déterminé, faisant état d'une coordination avec les parties concernées par ce dossier.
Si les Kataëb ne font pas partie du cabinet Hariri, nombreuses sont les interrogations autour de l'efficacité d'une opposition qui s'exprime à l'extérieur des institutions. « Les Kataëb jouent un rôle crucial sur la scène politique, et sans eux, il n'y aurait pas d'opposition », a affirmé Samy Gemayel en réponse à une question de L'Orient-Le Jour, appelant par la même occasion le chef de l'État, Michel Aoun, « qui se veut un président fort, à créer un Conseil de lutte contre la corruption, au lieu du ministère mis en place à cet effet ». Pour M. Gemayel, « ce ministère d'État n'est qu'une plaisanterie, d'autant qu'il ne pourra pas contrôler les autres ministères ».
Pour mémoire
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Derrière l'arbre de la hausse des taxes, la forêt des « cavaliers budgétaires » ?
C'est...
commentaires (7)
Il me semble que l'équipe présidée par M. Samy Gemayel a eu le courage d'opérer une sérieuse restructuration du parti phalangiste. Ils sont en train de moderniser leurs principes et le sens de leurs valeurs. Chacun a le droit de critiquer les ka taeb d'avant S.Gemayel, mais chacun a aussi le droit de reconnaître à l'actuel Président de ce parti, ses capacités en matière de politique économique et sociale, son intégrité et sa transparence.
Zaarour Beatriz
19 h 33, le 03 mars 2017