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Moyen Orient et Monde

François Fillon et la poule mouillée

À Tourcoing hier, dans le nord de la France, des manifestants ont protesté contre la venue de François Fillon sur place pour un meeting de campagne. Philippe Huguen/AFP

L'affaire déclenchée par les révélations du Canard enchaîné se joue, pour François Fillon, sur deux scènes : la scène publique et médiatique, où il s'agit pour lui de répondre aux faits qui lui sont reprochés, et la scène plus secrète de son entourage politique. Dans les deux cas, évidemment, l'enjeu est son maintien comme candidat des Républicains pour l'élection présidentielle.

Les stratégies adoptées par François Fillon sont de natures très différentes selon la scène sur laquelle elle se joue. Après un temps de flottement, la stratégie publique s'est précisée pour aboutir à la conférence de presse du 6 février et à la « lettre » publiée le 8. Démentis, justifications, accusations en retour : le candidat, dans l'ensemble, réaffirme sa revendication d'intégrité, même s'il présente des excuses. Sur la scène interne de son parti, c'est une tout autre stratégie qui est développée. C'est celle-ci que je propose d'analyser plus en détail.

 

(Lire aussi : S'il est élu président, Fillon exigera des gestes concrets de la Russie)



Le choix d'une stratégie violente
À l'intérieur de sa famille politique, l'enjeu immédiat pour François Fillon est d'éviter l'apparition d'un candidat de substitution (le fameux « plan B ») suffisamment légitime pour que son maintien apparaisse comme une aventure trop risquée. On pourrait penser que le travail consiste à persuader ses « amis » politiques que les dommages causés par les révélations sont réparables et à mettre en valeur les résultats obtenus par la contre-attaque menée sur la scène publique et médiatique.

Ce n'est cependant pas l'approche que François Fillon semble avoir retenue et mise en œuvre depuis quelques jours, probablement parce qu'elle était trop incertaine et demandait trop de temps. La stratégie mise en place est beaucoup plus violente et rappelle fortement une figure bien connue analysée par la théorie des jeux : celle du jeu de la poule mouillée.

Le jeu de la poule mouillée (chicken game) peut être illustré par le défi que se lancent deux jeunes hommes pour faire la lumière sur qui « en a » ou pas. Il consiste à foncer l'un vers l'autre, en voiture, sur une route étroite. Celui qui donnera un coup de volant pour éviter le choc est une « poule mouillée », l'autre sera celui qui « en a ». Bien entendu, l'épreuve peut aussi produire deux perdants (deux poules mouillées qui auront chacune évité l'autre).

Ce qu'elle ne peut pas produire, sinon à titre posthume, ce sont deux gagnants. Ce « jeu », c'est-à-dire cette structure d'interaction décisionnelle, est évidemment extraordinairement risqué. C'est pourquoi, en général, un acteur rationnel cherche à éviter de se trouver dans une telle situation.

 

 

Au risque du crash
C'est là-dessus que François Fillon s'appuie aujourd'hui vis-à-vis de son propre parti. Il façonne la situation de sorte qu'elle s'apparente à un jeu de la poule mouillée. Son but n'est pas de s'engager lui-même dans une telle situation, mais de dissuader ses amis politiques de lui faire défection. Voici (si l'on en croit Le Canard enchaîné du 8 février) le dispositif qu'il a mis en place.

Tout d'abord, il signale sa capacité à décider seul de son comportement en rappelant qu'il est l'unique candidat juridiquement légitime, selon les statuts du parti Les Républicains. Lui seul peut décider de se retirer, aucune instance ne peut le destituer. Ensuite, il manifeste sa détermination : il maintiendra sa candidature quoi qu'il arrive. Ces deux éléments combinés signifient qu'il est prêt à lancer sa voiture sur la route et qu'il ne déviera pas.

Ce faisant, il place ses amis politiques devant une alternative très simple : lancer une voiture en face de lui (s'engager dans le jeu) ou pas (refuser le jeu). Lancer une voiture contre lui signifie ici lui opposer un candidat de remplacement. Mais cela va plus loin : tout acte de défiance (chercher un possible candidat de remplacement, ne pas affirmer son soutien, etc.) équivaut en pratique à lancer une voiture contre lui. Car tout ce qui affaiblira le candidat officiel, sans pour autant l'empêcher de se présenter, équivaudra pour son parti à risquer un crash dont profiteront les autres candidats des autres partis, pour le moment spectateurs du défi.

 

(Lire aussi : Marine Le Pen à la chasse aux électeurs de droite déçus par Fillon)

 

 

Le tout pour le tout
La menace de François Fillon est crédible : après tout, il n'a rien à perdre. Pour lui, ne pas être candidat ou perdre à l'élection, c'est dans les deux cas non seulement la fin de son ambition présidentielle, mais encore la fin de sa carrière politique nationale. Sa détermination à jouer le tout pour le tout, y compris contre son propre parti (ou une partie significative de son parti), peut donc être prise au sérieux.

Pour monter cette stratégie, François Fillon a bénéficié des divisions à l'intérieur de sa famille politique. Beaucoup, dit-on, seraient prêts à lui retirer leur soutien, mais ces opposants potentiels ne sont pas d'accord sur la personne à lancer dans la course. Pour suivre notre métaphore, ils n'ont pas encore la voiture qu'ils pourraient lancer contre lui. François Fillon a su exploiter cet avantage : non seulement la manœuvre d'opposition est hautement risquée face à quelqu'un qui est crédible dans son engagement à ne pas se comporter en poule mouillée, mais encore elle est coûteuse et incertaine en elle-même, indépendamment des actions de François Fillon.

Bien entendu, une telle stratégie est parfaitement égoïste. Elle ne prend aucunement en compte les risques qu'elle fait courir à la famille politique de François Fillon en la contraignant à soutenir un candidat aux chances de victoire sans doute réduites. Elle néglige également la possibilité de favoriser la victoire d'un(e) candidat(e) particulièrement indésirable (selon François Fillon lui-même) et donc le risque de sacrifier les intérêts de la France (selon François Fillon lui-même) à une ambition personnelle, aussi légitime soit-elle.

En ce sens, cette stratégie n'est guère compatible avec la revendication d'intégrité et de dévotion à la République manifestée par le candidat Fillon sur la scène publique et médiatique. C'est pourquoi le raisonnement proposé ici ne doit être reçu qu'à titre d'hypothèse, bien entendu.

 

* Hervé Laroche est professeur à ESCP Europe et expert auprès de la Fondation pour une culture de sécurité industrielle (FONCSI).
The Conversation 

 

 

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L'affaire déclenchée par les révélations du Canard enchaîné se joue, pour François Fillon, sur deux scènes : la scène publique et médiatique, où il s'agit pour lui de répondre aux faits qui lui sont reprochés, et la scène plus secrète de son entourage politique. Dans les deux cas, évidemment, l'enjeu est son maintien comme candidat des Républicains pour l'élection...

commentaires (5)

Il sera le président de la République française, parce que si ce n'est pas lui ce sera Marine. Et les lobyistes attendent de voir lequel de fer qu'ils ont sur feu il va falloir enlever . Entre Fillion et Macron contre Marine , y a pas photo.

FRIK-A-FRAK

15 h 01, le 18 février 2017

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Commentaires (5)

  • Il sera le président de la République française, parce que si ce n'est pas lui ce sera Marine. Et les lobyistes attendent de voir lequel de fer qu'ils ont sur feu il va falloir enlever . Entre Fillion et Macron contre Marine , y a pas photo.

    FRIK-A-FRAK

    15 h 01, le 18 février 2017

  • IL FAUT LIRE L,EDITORIAL DE MONSIEUR ISSA GORAIEB !

    LA LIBRE EXPRESSION

    10 h 57, le 18 février 2017

  • OU LE COQ PENELOPPEMENT CASTRE ET QUI VEUT CHANTER QUAND MEME...

    LA LIBRE EXPRESSION

    10 h 12, le 18 février 2017

  • C'est du pipeau ..l'AFP est plus pro. pour la désinfo ..! La gauche aux abois est en phase d'effondrement... et la dernière nomenklatura socialiste au pouvoir en Europe ,jouent leurs dernières cartes..! , en lançant une violente campagne contre la droite , en voie de remporter les élections, soit F. Fillon ou Marine Le Pen , en plus cette campagne détourne l'attention du bilan catastrophique de Normal 1er ...avec ses 5,6 Millions de chômeurs (malgré les chiffres bidouillés) et globalement une ardoise pour 2017/2018 d'environ 2 600 Milliards d'Euros ,(deux mille six cent milliards)... bon, il ne faut pas être ingrat ..en 5 ans les français ont tout de même bénéficiés gratuitement du mariage homosexuel ...

    M.V.

    09 h 49, le 18 février 2017

  • Les republicains coupables de la meme chose que le parti democrate...soutenir un mauvais candidat ...on a vu le resultat aux USA....

    HABIBI FRANCAIS

    04 h 35, le 18 février 2017

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