Des activistes de l’ONG Abaad manifestant en décembre dernier dans le centre-ville de Beyrouth, dans le cadre de la campagne menée par l’association pour l’abrogation de l’article 522 du code pénal. Anwar Amro/AFP
Les réactions au projet d'abrogation, avalisé par la commission parlementaire de l'Administration et de la Justice, de l'article 522 du code pénal, tout en maintenant ses effets dans deux situations, ne se sont pas fait attendre. Satisfaite du résultat, l'ONG Abaad, qui a mené récemment une campagne en faveur de l'abrogation dudit article, qualifie cette décision d'« exploit », estimant que la mouture finale du texte est « la meilleure formule possible ». De son côté, l'ONG Kafa, plus sceptique, déclare s'opposer à toute législation avec, en filigrane, « la mentalité qui consiste à permettre de sauver l'honneur et la face ».
Mercredi, au terme de dix séances d'examen de la proposition de loi présentée par le député Élie Keyrouz pour l'abrogation de l'article 522, le président de la commission, Robert Ghanem, a déclaré que l'article « a été complètement supprimé ». Rappelons que conformément à cet article, les condamnations ou les poursuites contre un violeur sont suspendues si celui-ci épouse sa victime. M. Ghanem avait précisé que des amendements ont été introduits aux articles 503 à 521, « de façon à renforcer les sanctions si le crime est commis contre une mineure de moins de 15 ans » et que « tous ces articles ont été adaptés à la réalité libanaise (...) en prenant compte des coutumes libanaises, ainsi que de toutes les particularités du Liban, où nous avons toujours des tribus et des mœurs différentes ».
Ainsi, dans la mouture finale du texte, les effets de l'article 522 ont été maintenus dans l'article 505, relatif à une relation sexuelle « consentie » avec une mineure âgée entre 15 et 18 ans, comme dans l'article 518, relatif à une relation sexuelle – non consentie – avec une mineure âgée de 15 à 18 ans, mais avec promesse de mariage. Dans ces deux cas, le mariage suspendrait les poursuites sur décision du juge et au vu du rapport circonstancié établi par une assistante sociale, dans le cas d'une femme mineure. Ce mariage doit de plus être valable, c'est-à-dire que la mineure en question et ses parents acceptent les noces. Par ailleurs, après le mariage, l'assistante sociale doit continuer à présenter un rapport sur l'état psychique et social de la femme, tous les six mois, et ce pour une durée de trois ans.
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« Un exploit »
« Nous aurions préféré qu'il n'y ait pas eu ces exceptions, mais dans la situation actuelle, c'est la meilleure formule possible », explique à L'Orient-Le Jour Danielle Hoayek, avocate à l'ONG Abaad. « Nous estimons que la campagne a atteint ses objectifs », poursuit-elle, expliquant que dans le cadre de l'article 505, « l'affaire n'est plus aux mains d'un juge religieux, mais aux mains du tribunal civil ». « Donc, la mouture finale n'est pas mauvaise, insiste encore Danielle Hoayek. Mais le texte à lui seul n'est pas suffisant. Il faudrait que les jeunes filles et hommes soient sensibilisés à leurs droits sexuels et qu'ils soient conscients des répercussions de tout acte, décision ou choix relatifs au mariage et au choix du partenaire. La société civile et les institutions pédagogiques ont un grand rôle à jouer dans ce cadre. » Et Danielle Hoayek de réitérer : « Nous avons réussi un exploit. Nous allons poursuivre les efforts pour que cette la loi soit votée à la Chambre. »
« Nous n'allons pas nous taire », s'insurge de son côté Leila Awada, avocate à Kafa. « Nous refusons la législation avec la mentalité de sauver l'honneur et la face », martèle-t-elle, affirmant que l'ONG ne restera pas les bras croisés. Dans un communiqué, l'ONG avait dénoncé le maintien des effets de l'article 522 dans les deux cas susmentionnés. « L'acte sexuel avec une mineure est-il considéré comme un crime dans la loi ? peut-on lire dans le texte. Selon quelle logique on accorde au coupable le choix de se marier avec la victime pour échapper à la sanction ? Pourquoi charger une assistante sociale de suivre la relation entre les époux si on assume qu'il n'y a pas eu de nuisance puisque le mariage est valable ? »
Kafa s'est en outre demandé si, « en criminalisant l'acte sexuel avec une mineure, les législateurs estiment qu'il y a un problème si deux mineurs ont des rapports sexuels ensemble ou si un adulte a un rapport sexuel avec une mineure ». « La question n'est pas claire ni dans le texte initial de l'article 505, encore moins dans les amendements qui y ont été introduits », ajoute le texte.
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Vers une légalisation civile du mariage des mineures ?
L'ONG souligne en outre que « les législateurs estiment qu'il y a un problème uniquement si la relation sexuelle avec une mineure est menée en dehors du cadre du mariage », puisqu'avec les amendements introduits à cet article, « la relation sexuelle avec une mineure ne constitue plus un crime dans le cadre du mariage ».
« D'ailleurs, comment le serait-elle alors qu'elle est au départ légalisée dans les textes de statut personnel qui autorisent le mariage des enfants ? » se demande encore l'ONG. Elle affirme que c'est justement à ce niveau que le danger réel du maintien des effets de l'article 522 sur l'article 505 paraît, « c'est comme si l'État libanais se dirigerait vers une reconnaissance de la légalité du mariage des mineures qu'approuvent les dix-huit communautés et vers une consécration de ce mariage dans le cadre d'une loi civile ».
Pour Kafa, cette affaire rappelle ce qui s'était passé en 2014, lorsque les députés avaient dans le cadre de la loi sur la violence domestique « consacré le droit marital légitime à la relation sexuelle », légalisant ainsi le viol conjugal. Dans ce cadre, l'ONG fait remarquer que dans la mouture finale de la proposition de loi, la commission parlementaire de l'Administration et de la Justice a annulé les effets de l'article 522 sur cet article, mais gardé l'article 503 tel quel. Conformément à cet article, « quiconque aura contraint une personne, autre que son conjoint, à une relation sexuelle par force ou par intimidation, sera condamné à des travaux forcés pour une durée minimale de cinq ans ».
Selon Kafa, en maintenant l'expression « autre que son conjoint », les législateurs consacrent de nouveau le viol conjugal. Et Kafa de conclure qu'au vu des amendements qui ont été faits, « il paraît évident que les lois de statut personnel relevant des communautés restent la principale référence, puisqu'elles sont intouchables ».
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19 h 39, le 17 février 2017