Le débat autour de la loi électorale prend un nouveau tournant. Certes, la nécessité d'une réforme électorale est toujours sur toutes les lèvres, mais elle semble en passe d'être devancée par une autre priorité, à savoir la tenue des législatives dans les délais. Le député Walid Joumblatt l'a d'ailleurs dit clairement hier, tout en ménageant le chef de l'État : « Le plus important est que les élections aient lieu à la date prévue. »
Le délai de convocation des collèges électoraux arrivant à expiration le 21 février, en vertu de la loi de 1960, le choix devient nécessaire entre d'une part la réforme électorale – dont Baabda se fait le porte-voix – et de l'autre le respect du calendrier des législatives, pour lequel plaide le ministre de l'Intérieur, Nouhad Machnouk, devant ses visiteurs diplomatiques. Il a reçu hier à son arrivée à l'AIB le ministre d'État saoudien aux affaires du Golfe, Thamer Sabhane, qui entame une visite officielle au Liban.
« Déterminé à affronter » ceux qui allèguent la menace du vide pour maintenir l'ancienne loi, selon les propos du chef de l'État vendredi dernier, le camp aouniste a trouvé un moyen de se libérer de la contrainte des délais électoraux : ces délais seraient liés à la loi de 1960 et seraient donc renouvelables si une nouvelle loi venait à être approuvée, selon ce camp. En outre, le président s'attache à sa « prérogative » de bloquer le décret de convocation des collèges électoraux, qu'il compte ne pas signer le cas échéant. Rappelons que le décret en question est un décret « simple » (par opposition au décret pris en Conseil des ministres). Il suffit donc qu'il soit signé par le président et le Premier ministre, et par le(s) ministre(s) concerné(s), en l'occurrence le ministre de l'Intérieur et le ministre des Finances. Il n'est pas sûr si le refus par le président de la République de le signer soit constitutionnel : l'avis qui conteste la démarche du chef de l'État argue du fait que la Constitution ne lui accorde la possibilité de renvoyer un décret pour réexamen que s'il s'agit d'un décret pris en Conseil des ministres. Pour ce qui est des décrets simples, il serait dans l'obligation de signer, à l'instar d'ailleurs des autres signataires. D'autant plus que ces décrets servent le plus souvent à mettre en application des lois déjà en vigueur : bloquer leur signature à l'échelle de l'exécutif serait un empiétement grave sur les prérogatives du Parlement.
Mais ce débat pourrait être contourné, puisqu'il y aurait un moyen de passer outre le refus « inconstitutionnel » du chef de l'État de bloquer un décret simple. Et ce moyen, une source politico-juridique l'explique à L'OLJ. Lorsque M. Machnouk enverra, comme il compte le faire, une copie du décret aux autorités qui « se doivent » de le signer, et que le président s'abstient de le signer, le ministre n'aura d'autre choix que de soumettre le décret à un vote en Conseil des ministres. La présidence du Conseil ayant pleine compétence à fixer l'ordre du jour, elle pourra en effet intégrer ce point litigieux lié à la convocation des décrets électoraux. Si le décret est approuvé en Conseil des ministres par consensus ou par vote (seule la majorité absolue est requise), le chef de l'État pourrait bien sûr en demander un réexamen en Conseil des ministres dans un délai de quinze jours. Mais si celui-ci maintient le décret, celui-ci sera considéré comme exécutoire de plein droit, selon la Constitution.
Cette démarche risquerait de toute évidence de provoquer une « crise » entre Baabda et le cabinet Hariri, comme l'explique la source. C'est d'ailleurs en prévision d'un tel scénario que le député Alain Aoun a mis en garde contre le risque d'une « confrontation politique » et que d'autres sont allés jusqu'à prédire « une révolution ».
Mais les craintes du camp aouniste d'une mise en échec de la réforme électorale – objet de tant de promesses de Baabda – sont contrebalancées par les craintes des milieux du courant du Futur et du Parti socialiste progressiste d'un retournement contre Taëf. Un retournement qui prendrait forme dans deux hypothèses : l'hypothèse de l'adoption de la proportionnelle intégrale et celle du non-respect des délais électoraux en vigueur, auquel cas « le pays pourrait fort bien se retrouver en juin prochain avec un vide législatif », selon une source du courant du Futur, qui rappelle que la Constitution ne prévoit pas de combler le vide : à l'expiration du mandat de la Chambre, c'est le bureau de la Chambre qui expédie les affaires courantes jusqu'à l'élection d'une nouvelle Chambre.
(Lire aussi : Le Hezbollah revient à la charge : la proportionnelle, une formule compatible avec la Constitution)
L'issue qui consiste à soumettre le décret de convocation des collèges électoraux à l'approbation du Conseil des ministres éviterait donc l'aventurisme du président vers « le vide », tout en le dédouanant de l'échec de la réforme électorale. Une source proche du courant du Futur prévoit d'ailleurs « une résorption » de « la crise » qui risque d'éclater, le cas échéant, entre Baabda et le cabinet, si ce dernier finit par approuver ce décret.
Mais Baabda pourrait avoir dans sa gibecière un moyen d'outrepasser ce scénario, en poussant jusqu'au bout sa logique favorable au vide. Michel Aoun avait dit préférer le vide à une nouvelle rallonge du mandat parlementaire. Une position interprétée comme un forcing en faveur d'une nouvelle loi, et précisément en faveur de la proportionnelle. D'ailleurs, le député Walid Joumblatt y avait vu, à L'OLJ, l'alternative implicite : « La proportionnelle ou le vide. »
Il se peut donc que les milieux de Baabda puisent dans la Constitution le moyen de justifier un vide temporaire après l'expiration du mandat de la Chambre le 21 juin prochain : ils pourraient se baser sur l'article 25 relatif au cas précis de dissolution de la Chambre et qui impose l'élection d'une nouvelle Chambre si celle-ci n'a pas lieu dans les trois mois suivant la dissolution. C'est paradoxalement un amendement constitutionnel né de l'expérience de dissolution de la Chambre par l'actuel président en 1989 (lorsqu'il était chef du cabinet militaire de transition) sans que des législatives ne soient organisées par la suite.
Mais cette option de « vide temporaire » serait fort « improbable », selon une source proche du courant du Futur, qui estime que toutes les parties ont intérêt à la tenue des élections dans les délais.
« Le reste n'est que populisme, y compris la promesse d'une nouvelle loi électorale dans les deux semaines à venir faite par des ministres aounistes, ou encore le fervent plaidoyer du Hezbollah en faveur de la proportionnelle », conclut la source.
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commentaires (7)
1957 - 2017 = 60 ans. Longévité oblige pour rappeler un souvenir de six décennies. Camille Chamoun avait cru bon d'éliminer de la scène politique tous les leaders hostiles à sa politique dont l'adhésion du Liban au Pacte de Baghdad prôné par les Américains. Il s'était arrangé de les faire battre aux élections législatives de 1957. Ces opposants, profitant de l'ambiance nassérienne à l'époque, sous prétexte que Camille Chamoun aspirait à un second mandat, ce qui n'était pas vrai, se sont soulevés pour faire échouer toute sa politique. Ce fut la Révolution de 1958. Que cela serve de leçon à nos nouveaux gouvernants.
Un Libanais
15 h 22, le 06 février 2017