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Eaux usées

Rien n'est parfait en ce monde, on ne le sait que trop. C'est bien le cas de cette démocratie dont Winston Churchill disait qu'elle est le pire des systèmes de gouvernement... à l'exclusion de tous les autres. Le vieux lion britannique aurait-il nuancé quelque peu son jugement, au vu des failles et dérives observées de nos jours dans les plus grandes des démocraties occidentales et de la conséquente ascension des populismes ? Sans doute non, car on ne jette pas le bébé avec l'eau du bain : même quand celle-ci est particulièrement chargée, comme c'est actuellement le cas aux États-Unis, en France et en d'autres pays d'Europe.
Les eaux usées, les Libanais connaissent, et pas seulement parce que les égouts y coulent souvent à ciel ouvert. Ils connaissent même si bien que nombre de nos concitoyens s'étonnent sincèrement, s'offusquent même, que l'on puisse chercher des poux à François Fillon pour une affaire se résumant, au pire, à une banale peccadille. Car au Liban, on n'avait quasiment jamais entendu parler de ces consistantes enveloppes offertes à tous les élus de France pour qu'ils puissent s'entourer d'assistants et de conseillers dans leur tâche de législateurs. Ici, en effet, le gros des députés aiment plutôt s'entourer de légions de gardes du corps qu'ils entassent dans d'énormes 4x4 noires.


Pour lamentable, affairiste et même vénale que soit pourtant une large fraction de la classe politique locale, pour approximative que soit la démocratie telle qu'elle est pratiquée ici, la pérennité de celle-ci demeure, bien plus qu'ailleurs, affaire de vie ou de mort pour notre pays. C'est avec une acuité particulière que se pose d'ailleurs la question, à l'heure où l'on se préoccupe de doter enfin le pays d'une nouvelle loi électorale propre : tâche sur laquelle on planche stérilement depuis des années et qui équivaut, il est vrai, à tout un chapelet de casse-tête, de dilemmes, de rébus. Car il s'agit tout à la fois d'assurer une représentation correcte du peuple, source de tous les pouvoirs, et de rassurer les diverses familles spirituelles libanaises, et plus spécialement les minorités.


La démographie du nombre ? Impensable, la raison d'être du Liban n'y survivrait pas. Il en irait de même si on laissait chaque communauté désigner ses propres champions et porte-bannières, comme le suggérait le projet dit orthodoxe. Inverser la formule alors, faire élire les députés chrétiens par les musulmans et vice versa, pour favoriser la modération et peupler ainsi l'Assemblée de gentilles colombes ? Totalement irréaliste. Proportionnelle ou scrutin majoritaire ? Si profond est le désaccord qu'on se rabat, sans plus de succès, sur des cocktails des deux, le découpage des circonscriptions demeurant néanmoins la question maîtresse, chaque partie exigeant qu'elle soit taillée à la mesure de son audience naturelle.


C'est là précisément qu'apparaît, dans toute sa splendeur, un de ces travers inhérents à toute démocratie certes, mais qui, dans notre pays, revêt l'allure d'une farce constitutionnelle de mauvais goût. Car ce sont les députés qui vont devoir décider de la manière dont on devient député. Comment, surtout, on le redevient. Incapables d'élaborer la mère des lois, ils ont, par deux fois déjà, reconduit souverainement leur mandat. Et parce qu'une troisième fois serait vraiment de trop, ils se satisferaient sans doute, à la limite, de cette bonne vieille loi de 1960 qu'ils ne cessent pourtant de décrier à l'unisson. Ils sont, au fond, pour un statu quo qui préserverait les vieux acquis. Et c'est tant pis pour tous ceux des citoyens qui ont soif de changement. Qui ne veulent plus passer pour des moutons que l'on conduit périodiquement aux urnes, ces abattoirs de l'espérance, de l'évolution, du progrès.

Issa GORAIEB
igor@lorientlejour.com

Rien n'est parfait en ce monde, on ne le sait que trop. C'est bien le cas de cette démocratie dont Winston Churchill disait qu'elle est le pire des systèmes de gouvernement... à l'exclusion de tous les autres. Le vieux lion britannique aurait-il nuancé quelque peu son jugement, au vu des failles et dérives observées de nos jours dans les plus grandes des démocraties occidentales et de la...