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Liban - Portrait

Anthony Nahoul, une absolue leçon de vie

Le jeune homme de 22 ans, né sans les quatre membres, veut vivre sa vie normalement. Soutenu par sa famille et puisant sa force dans sa foi, il a réussi à s'imposer dans une société « qui n'accepte pas les autres, ceux qui sont différents ».

Illustration Ivan DEBS

Son parcours est en soi une leçon de vie. Sa perception de sa condition et sa joie de vivre le sont aussi. Anthony Nahoul, un jeune de 22 ans, souffre du syndrome tétra-amélie, une maladie extrêmement rare caractérisée par l'absence des quatre membres. Cela ne l'a pas pour autant empêché de pousser loin ses études, de faire la fête avec les copains, de décrocher un travail et de fonder, depuis quelques mois, sa propre société informatique.

«Mon état n'est pas dû à une faute médicale. C'est la volonté de Dieu qui a fait en sorte que le médecin a été systématiquement aveuglé lors des échographies et qu'il n'a pas pu déceler une malformation génétique, confie Anthony Nahoul. À travers moi, Dieu avait une mission pour mes parents, ici, sur terre. Et non des moindres.» Installé dans un café, lunettes solaires relevées sur la tête, Anthony poursuit avec un demi-sourire: «Le médecin avait dit à mes parents qu'ils attendaient une fille et que tout allait bien! Ils ont eu un garçon.»
Le 3 novembre 1994, Anthony voit le jour. L'équipe médicale est sous le choc. Le gynécologue qui avait accompagné la maman durant toute sa grossesse ne comprenait pas ce qui s'était passé. L'enfant est bien vivant. Son cœur bat normalement. Mais ce corps minuscule au visage angélique est amputé des quatre membres. «Le pédiatre avait alors dit à mon père que je ne vivrais pas plus de trois jours. Sur ce point aussi, la médecine avait eu tort. J'ai aujourd'hui 22 ans», ajoute Anthony, une étincelle malicieuse éclairant son regard intense. «D'ailleurs, poursuit-il en riant, j'ai été baptisé à l'hôpital, chez les grecs-orthodoxes, bien que mes parents soient maronites, parce que mon père avait peur que je ne survive pas.»

Ce n'est qu'après que le danger soit passé que la maman a pu rencontrer son fils. «Il a de beaux yeux, a été sa première réaction», raconte le jeune homme. Il précise que ses parents se sont trouvés par la suite devant un dilemme. Qu'allaient-ils faire de cet enfant? Allaient-ils l'élever et l'introduire au monde ou bien allaient-ils le placer dans un orphelinat? Finalement, ils ont décidé de le garder, de l'aider à grandir, en prouvant à la société que leur fils n'est pas différent des autres enfants.

 

 

 

 

Les années scolaires
Ce leitmotiv a accompagné Anthony depuis son enfance. «Dès le départ, mes parents me disaient que je devais me battre et que je n'avais d'autre choix que de surmonter mon handicap», confie le jeune homme. Il se tait un moment, puis reprend: «J'avais 3 ans. Nous étions en voiture avec mon père. Je lui ai alors demandé si, en grandissant, je verrais mes jambes et mes bras pousser. Mon père s'est alors arrêté. Il a toujours été franc avec moi. Il m'a regardé et m'a répondu par la négative, et m'a affirmé que toutes les personnes que je connais et connaîtrai seront mes jambes et mes bras.»
Le petit garçon n'a pas bronché. Il a accepté le fait accompli. «Cela ne signifie pas que je ne passe pas par des périodes vraiment difficiles et que je souhaite avoir eu mes quatre membres», avoue-t-il. Ne peut-il pas bénéficier de prothèses? «Nous avons été aux États-Unis à cet effet. Cela n'a pas marché, en raison d'un problème lié au centre de gravité de mon corps.»

Lorsque le petit garçon a atteint l'âge de la scolarisation, ses parents ont voulu l'inscrire dans un collège. Ils se sont trouvés face à un nouveau dilemme. Fallait-il l'inscrire dans une école pour enfants à besoins spéciaux ou dans une école normale? Le débat a été tranché rapidement. Anthony sera inscrit dans une école normale. Le choix est tombé sur le Lycée de Amchit. «Les professeurs venaient chez moi, se souvient le jeune homme. Je me rendais à l'école à la fin de l'année pour présenter les
examens.»

Lorsqu'il a terminé la classe de septième, avec une moyenne générale de 19,14 sur 20, Anthony a choisi de rejoindre un nouvel établissement scolaire. Il ne voulait toutefois pas quitter son ancienne école sans avoir rencontré ses camarades de classe. «J'ai demandé à descendre dans la cour, se rappelle le jeune homme. Je ne voulais pas rester cet enfant qu'on voyait derrière la vitre d'une fenêtre à l'occasion des examens de fin d'année.»

Son vœu a été exaucé. «J'étais entouré du directeur, de mon père et des professeurs. Tout s'est bien passé. C'était un grand jour pour moi. J'étais content. D'ailleurs, certaines des personnes que j'ai rencontrées en ce jour sont restées des amis», se
souvient-il.

À partir de la sixième, Anthony Nahoul rejoint le Collège des sœurs du Rosaire, à Jbeil. «La proximité était importante, parce que je devais suivre les cours en direct à partir de la maison, explique-t-il. Nous avons installé des équipements spéciaux à cet effet. Je suivais le même rythme que les autres élèves. J'attendais mon tour pour poser les questions. Je prenais les récréations en même temps qu'eux. J'étais même surveillé pour éviter les triches. Par ailleurs, je prenais part à tous les événements organisés à l'école.»

 

(Lire aussi : « Une ville amie des personnes à besoins spécifiques » à l’Usek)

 

Poursuivre ses rêves
Le jeune homme a passé les examens officiels du brevet, pas ceux de la terminale. «On voulait que je présente les examens dans un établissement pour élèves à besoins spéciaux», raconte-t-il. «J'ai refusé de le faire. Je voulais être avec mes amis. Finalement, on a accepté et il a été convenu de désigner une institutrice pour qu'elle écrive à ma place, question d'aller plus vite. C'était une professeure de petit jardin et n'était pas très familière avec les formules mathématiques. C'était un peu problématique. En cette année également, des copies étaient perdues lors de leur transport d'un centre de correction à un autre. Mes épreuves d'arabe et de mathématiques étaient parmi ce lot. Pour remédier au problème, des notes ont été mises de manière aléatoire. J'ai ainsi obtenu un 2 sur 20 en arabe et un 4 sur 20 en mathématiques, alors que cette matière avait un coefficient de 8. J'ai donc échoué et j'ai fait une dépression. C'était le premier échec de ma vie», reconnaît-il.
Anthony a refusé de passer la deuxième session des examens officiels. Il a opté pour une année de freshman (année préparatoire dans une université qui suit le système américain) à la Lebanese American University (LAU) à Jbeil, suite à laquelle il a suivi des études en sciences informatiques «tout en continuant à vivre ma vie normalement».

L'année dernière, Anthony a reçu son diplôme universitaire et s'est vu décerner le prix Sarah el-Khatib, étudiante de la LAU décédée quelques jours après avoir reçu son diplôme universitaire. Un prix qu'il voulait refuser au départ, estimant qu'il n'a rien fait d'extraordinaire. Il a juste suivi des études, alors que «Sarah el-Khatib luttait contre la maladie et assistait aux cours tout en suivant sa chimiothérapie». «Mes parents m'ont alors demandé de l'accepter non pas pour moi, mais pour tous ceux qui luttent dans cette vie pour réaliser un rêve», avance-t-il.
À peine diplômé, Anthony Nahoul a cherché un emploi. Après avoir frappé à plusieurs portes, il a fini par décrocher un poste dans une boîte à Kfarhabab. Récemment, il a ouvert sa propre entreprise d'informatique. «J'ai déjà des clients», lance-t-il fièrement.

 

(Pour mémoire : Une agence de taxis pour handicapés voit le jour au Liban)

 

« Aucun respect... »
Sa grande foi lui permet d'avancer dans la vie et sa force de caractère de supporter l'incompréhension et le regard des autres. Dans ce cadre, il ne tarit pas de raconter des anecdotes sur cette femme qui, s'appuyant sur ses béquilles, avait fait le signe de la croix en lançant un «que Dieu nous préserve!» quand elle l'a vu, ou encore ce videur qui en l'apercevant débarquer dans une boîte de nuit lui a dit qu'il ignorait que des « gens comme vous venaient dans de tels endroits»...

«Dans ce pays, il n'y a aucun respect pour les autres qui sont différents, constate-t-il. L'être humain ne peut pas être évalué uniquement sur son apparence. On ne peut pas continuer à rejeter les personnes qui sont différentes de soi. Il faut travailler pour changer les mœurs. Et les personnes handicapées ont un rôle à jouer dans ce sens. Je considère qu'un handicap n'en est un que si on le perçoit comme tel. Le handicap est sûrement un problème difficile, mais c'est à nous de trouver la solution. Et, souvent, la solution de facilité n'est pas la bonne. Il faut oser poursuivre ses rêves.»

 

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Son parcours est en soi une leçon de vie. Sa perception de sa condition et sa joie de vivre le sont aussi. Anthony Nahoul, un jeune de 22 ans, souffre du syndrome tétra-amélie, une maladie extrêmement rare caractérisée par l'absence des quatre membres. Cela ne l'a pas pour autant empêché de pousser loin ses études, de faire la fête avec les copains, de décrocher un travail et de...

commentaires (2)

كل ذي عاهة جبار

Raminagrobis

17 h 36, le 28 janvier 2017

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Commentaires (2)

  • كل ذي عاهة جبار

    Raminagrobis

    17 h 36, le 28 janvier 2017

  • Un miracle !!!!????une merveille ,une lecon pour les normaux ....

    Soeur Yvette

    06 h 46, le 28 janvier 2017

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