Les chênes qu’on abat...

Un humaniste et bâtisseur d'empire vient de s'en aller, laissant un vide très difficile à combler dans le cœur de ceux qui l'ont connu et, inévitablement, aimé. Il a parcouru le XXe siècle avec élégance et puissance, avançant avec opiniâtreté sur des chemins qui l'ont mené bien loin et très haut. Ne se décourageant jamais quand la folie des États a ébranlé ce qu'il avait construit, ne baissant jamais les bras, il a toujours su tirer sa force des vents contraires, donnant ainsi une merveilleuse leçon de courage à ceux qui l'accompagnaient. Puis, une fois parvenu au sommet, il a su y faire régner quiétude et générosité. Magnanime dans ses victoires, tranquille dans ses conquêtes, soucieux du bien-être de tous ceux qui ont marché à ses côtés et travaillé dans les innombrables sociétés à la création desquelles il a participé sur quatre continents, il parlait plus en termes de « famille » qu'en termes d'« entreprise ».
Associés, collaborateurs, contreparties étaient, pour lui, avant tout des hommes et des femmes avec, chacun, un nom, un visage, une histoire, des besoins ; et pour chacun, il s'arrêtait pour interroger, s'inquiéter ou féliciter, et à chacun il donnait. Son immense culture, sa discrète bienfaisance, sa courtoisie totale, son humour jamais blessant ont fait de ce polymathe des affaires (banquier, industriel, commerçant) un homme à part, littéralement original dans un monde où les autres peuvent, au mieux, remplir, avec peu ou prou de succès, une seule des cases de l'immense grille qu'il a complétée. « Oh ! Quel farouche bruit font dans le crépuscule / Les chênes qu'on abat pour le bûcher d'Hercule ! » (V. Hugo).

Nasri Antoine DIAB