Rechercher
Rechercher

Liban - La situation

À la recherche de garde-fous

George OURFALIAN/AFP

C'est sur un compromis politique au Liban et les espoirs d'une trêve durable en Syrie que s'achève l'année 2016.

Alors que le conflit syrien avait fait régner au Liban, deux ans et demi durant, une politique attentiste du vide, l'élection à la présidence du fondateur du Courant patriotique libre, le général Michel Aoun, candidat et allié du Hezbollah, appuyé successivement par les Forces libanaises et le courant du Futur, a induit inévitablement un retour à la vie institutionnelle normale, avec une volonté partagée d'épargner au Liban les retombées des crises régionales. Ce retour à la normale est accentué par le zèle du chef de l'État à s'attaquer à un chantier de réformes pour le moins ambitieux.

Comme s'il remettait les parties politiques au pas, il leur enjoint d'être à l'heure aux réunions du Conseil des ministres à Baabda et promet, dès mercredi prochain, de s'attaquer à des dossiers épineux, comme les ressources maritimes pétro-gazières. Avec lui, le Premier ministre Saad Hariri puise dans l'urgence du redressement socio-économique toute la raison d'être de ses compromis politiques. Moult promesses de changement donc, et qui s'accompagnent d'une résurgence de la politique de la main tendue du Hezbollah. Celle-ci s'est déjà exprimée sur le dossier de la loi électorale et dans les « réassurances » qu'il a tenues à faire aux principaux contestataires de la proportionnelle intégrale, à leur tête le Parti socialiste progressiste. Dernière avancée sur la loi électorale : l'orientation vers un scrutin mixte qui applique la majoritaire aux cazas et la proportionnelle à l'échelle des mohafazats, rapporte une source informée.

Mais ces attentes positives – qui atteignent leur pic à l'aube de chaque nouvelle année – ne sauraient – ni ne devraient – supplanter un axiome fondamental : la situation au Liban ne peut être déliée de la situation syrienne tant que le Hezbollah y combat toujours. Par conséquence, tant que la situation en Syrie ne s'est pas   précisée (notamment le rôle du Hezbollah dans ce conflit), tout compromis au Liban resterait transitoire, occultant nécessairement les questions stratégiques essentielles. Le compromis Aoun serait donc une solution transitoire, indépendamment de sa capacité possible à bénéficier à la vitalité du pays.

Il reste à savoir donc à qui profite réellement cette solution, afin d'en cerner la portée à la lumière des récents développements diplomatiques sur la Syrie, à savoir l'accord de cessez-le-feu conclu sous l'égide de Moscou et d'Ankara, préalablement au sommet d'Astana, prévu en janvier prochain. Et la demande formulée dans ce contexte par le ministre turc des Affaires étrangères que « tous les combattants étrangers quittent la Syrie et que le Hezbollah regagne le Liban ».

Si le compromis Aoun a peut-être pris de court le parti chiite (pour qui le vide aurait renforcé la carte libanaise en ses mains), il n'empêche que la mise en œuvre de ce compromis a été facilitée par une volonté commune de maintenir la stabilité du Liban. Les suites de l'élection de Michel Aoun révèlent toutefois qu'il y a bel et bien eu un gagnant et un perdant. La formation du cabinet Hariri (selon la formule préconisée au départ par le tandem chiite) et la teneur de la déclaration ministérielle (dont les alinéas stratégiques sont calqués sur la déclaration du cabinet Mikati) ne laissent pas de doute quant à une victoire ponctuelle du Hezbollah au Liban. Une victoire qui a vite été monnayée par la prise d'Alep avant même que ne se précise le nouveau positionnement de l'Iran en Syrie. La victoire tactique iranienne – rendue possible par la Russie – a été donc investie stratégiquement au Liban au profit du Hezbollah.

Or les choses seraient encore loin d'être jouées sur le terrain syrien. C'est l'avis de ceux qui, à l'instar du sociologue Mohammad Hussein Chamseddine, estiment qu'« Alep n'est qu'une bataille d'une longue guerre » et que les négociations prévues à Astana, entre la Russie, la Turquie et l'Iran, « seront longues ».
D'abord, toute solution politique en Syrie continue de buter sur la question problématique de l'avenir de Bachar el-Assad, explique M. Chamseddine. Il relève « une double divergence: d'une part, entre l'Iran, qui tient à son maintien au pouvoir, et la Turquie, qui le refuse catégoriquement, et de l'autre, entre l'Iran et la Russie, laquelle oscille entre les deux: après s'être aligné dans un premier temps sur l'avis iranien, Moscou envisage désormais la possibilité d'entamer une transition politique sans Assad, en vertu des accords de Genève I ».

L'autre problème qui risque de retarder l'aboutissement des négociations serait la fragilité du cessez-le-feu, qui exclut par exemple « les groupes terroristes » sans toutefois les définir, sachant que les critères de qualification du terrorisme diffèrent entre la Russie, le régime syrien – et avec lui l'Iran – et la Turquie. Rappelons d'ailleurs que la Turquie compte le Hezbollah parmi les groupes terroristes, et rien n'empêcherait, le cas échéant, que d'autres acteurs, comme la Russie, s'alignent sur la position turque éventuellement – selon l'analyste politique Moustapha Fahs.
La grande inconnue reste toutefois la politique de Donald Trump dans la région. À cet égard, M. Chamseddine constate que Barack Obama « n'a pas essayé d'engager son successeur dans un sens ou dans l'autre sur le dossier syrien, quand bien même il l'a fait sur le dossier palestinien en assurant le vote de la résolution 2334 condamnant la colonisation israélienne ».
Cela pour dire que l'objectif du sommet d'Astana – qui exclut d'ailleurs les États-Unis et l'Union européenne – sera moins de jeter les bases d'une solution en Syrie que « de permettre à Moscou de se consolider une place de grand vainqueur » avant que ne se précise la nouvelle politique de Washington en Syrie.

L'avenir du Hezbollah en Syrie demeure incertain. Mais l'évocation inédite par des représentants du parti chiite à Bkerké avant-hier de l'éventualité d'un retrait de leur parti de Syrie alimente l'optimisme de ceux qui préconisent ce retrait.
Ceux-là souhaitent voir le Hezbollah réintégrer le giron libanais, mais craignent que cela ne se fasse au prix fort d'une révision constitutionnelle. Cette probabilité serait renforcée par le fait que jamais, au Liban, la répartition par tiers – chrétiens, sunnites, chiites – n'a été plus perceptible, avec tous les « dangers » qu'elle comporte : le danger de dénaturer « l'essence du pays, fondée sur la parité islamo-chrétienne, indépendante des poids démographiques »; le danger « constant que deux des trois mettent à l'écart, inévitablement, le troisième » ; et le danger surtout d'être imposé par la force des armes...

À moins que le nouveau mandat, favorable à Taëf et à la parité, ne réussisse à bâtir des garde-fous et démontrer son recentrage effectif.

 

Lire aussi

Face aux développements en Syrie, la stabilité au Liban reste une ligne rouge

2017 ne sera pas l’année de la solution, estime Khalil Hélou

Aoun s’engage à combattre la corruption et à moderniser l’État

C'est sur un compromis politique au Liban et les espoirs d'une trêve durable en Syrie que s'achève l'année 2016.
Alors que le conflit syrien avait fait régner au Liban, deux ans et demi durant, une politique attentiste du vide, l'élection à la présidence du fondateur du Courant patriotique libre, le général Michel Aoun, candidat et allié du Hezbollah, appuyé successivement par les...

commentaires (0)

Commentaires (0)

Retour en haut