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Nos Lecteurs ont la Parole - Adib Y. TOHMÉ

Impressions

Je vais commencer par l'Université libanaise et plus précisément par la faculté de génie où les chansons de Feyrouz furent interdites par une cellule étudiante qui ressemble de plus en plus à un conseil de mœurs et de censure religieuse. Il y a des incidents qui ne doivent pas passer sous silence parce que les ignorer veut dire renoncer à une certaine forme de civilisation et laisser les voies libres à la dictature de la pensée unique. On ne peut plus répéter «  vous avez votre Liban et j'ai le mien  » parce mon Liban devient une illusion quand votre Liban bascule dans l'obscurantisme, le dogmatisme et le totalitarisme religieux ou financier.
L'incident ne peut pas être minimisé parce qu'il a eu lieu dans l'enceinte de l'Université libanaise et non pas dans une université privée. Aussi parce que ceux qui interdisent la musique pour des motifs religieux sont de jeunes étudiants en génie qui sont censés être des gens éduqués. Parce que c'est des chansons de Feyrouz qu'il s'agit. Parce que la justification de l'interdiction est pire que l'interdiction elle-même: un accord a été passé pour bannir toutes les chansons. Justement, les chansons de Feyrouz ne sont pas comme toutes les chansons. Elles sont plus que des chansons. Elles renferment une part importante des valeurs qui sont censées nous unir en tant que nation, elles constituent une bonne partie de notre culture, de notre mémoire, de ce qui fait que le Liban est le Liban, de ce qui nous attache à notre pays. Les bannir revient à couper un lien entre les composantes d'un peuple qui est amené à vivre uni et le ramener à des publics opposés qui cohabitent à côté. À quoi vont servir tous ses festivals si, dans le fond, au sein de l'Université libanaise, on s'évertue à interdire les chansons de Feyrouz ? Dans le meilleur des cas, ignorer l'incident, c'est accepter le meurtre de l'économie de la culture. Que laisserons-nous à nos enfants  ?
La culture, c'est vrai, n'est pas seulement de la musique ni des œuvres artistiques, elle est un système judiciaire impartial et indépendant. À l'heure où l'ancien ministre français du Budget, Jérôme Cahuzac, a été condamné à trois ans de prison ferme pour fraude fiscale, le plus grand trafiquant de téléphones portables et d'appareils électroniques au Liban a été remis en liberté moyennant une caution de quinze millions de livres libanaises. Il n'y a pas de pouvoir au-dessus de celui de la justice  ? Je ne suis pas si sûr. La culture aussi est liée à la dignité humaine, à la place de la femme dans la société, à la façon de concevoir les rapports entre la femme et l'homme. Quand je vois qu'il existe toujours un débat sur l'abolition de l'article 522 du code pénal, relatif à la dépénalisation du viol si le violeur épouse sa victime, nous ne sommes plus dans le cadre de la culture, ni même dans le multiculturalisme, mais plutôt dans le multibarbarisme.
Je vais quitter l'Université libanaise et me diriger vers la mer. La mer était là, elle ne l'est plus. La mer a disparu derrière des projets immobiliers édifiés par des gens qui ont acheté le droit de voler la mer. La mer s'éteint partout, même dans son dernier recoin de Ramlet el-Bayda. Et ceux qui manifestent pour défendre leur droit élémentaire d'accéder à la mer et d'avoir un bord de mer commun se voient infliger des amendes pour trouble à l'ordre public et les forces de l'ordre sont mobilisées. Les forces de l'ordre, il ne faut pas les mobiliser, surtout en ce moment. Beaucoup d'entre leurs éléments sont occupés à accueillir les nombreux visiteurs à la sortie des avions. On les voit crier les noms des heureux pistonnés pour les faire passer les douanes en VIP. Dans le pays d'où ils viennent, bénéficient-ils de pistons qui portent des costumes officiels  ? Demain quand ton fils te demandera « Papa, c'est quoi la mer  ? » tu lui diras que c'est une grande piscine privée accessible aux seuls milliardaires.
Ce qui est bien, c'est que l'économie démarre. Le Black Friday a réalisé des ventes record, même si, au même moment, les Libanais ont réalisé un record d'heures passées dans les embouteillages à cause des bouchons causés par le Black Friday. Qu'importe, pour exister il faut consommer. Tous les autres sont des gens inutiles. C'est la culture d'aujourd'hui.
Et les banques ont réalisé la bagatelle de six milliards de dollars suite à des opérations d'ingénierie financière tramées par la Banque centrale. Six milliards de dollars en deux mois, c'est l'équivalent de 85 % des recettes fiscales annuelles de l'État. Et que vont faire les banques de cette cagnotte  ? Secret défense : depuis 12 ans, l'État ne publie plus de budgets. Ce qu'on sait par contre, c'est que les partis politiques se disputent le partage des valises gouvernementales. Trouver un accord sur le partage des valises relève aujourd'hui de l'exploit. Après tout, avec ce qui se passe en Syrie et en Irak, on croit qu'on est tout proche de redevenir la Suisse du Moyen-Orient. Prenez les valises et laissez les ministères à ceux qui veulent vraiment édifier un État, on a envie de leur dire. Partagez entre vous les revenus du gaz et laissez-nous l'eau. L'eau est une ressource qui va devenir plus importante que le gaz. Mais on sait bien qu'ils ne vont rien lâcher, ni les valises gouvernementales, ni les caisses parlementaires (parce que c'est bien de caisses qu'il s'agit, les urnes c'est inadapté aux hordes de votants qui vont déposer leurs voix marchandées pour une poignée de pain), ni la mer ni la montagne...
J'étais en train de penser à tout cela quand la tête d'une petite fille qui ne devait pas avoir plus que 5 ans surgit devant la vitre de ma voiture et me demanda un peu d'argent, j'avais à peine remarqué son regard frêle qu'elle s'empara d'un billet de mille livres et disparut derrière les pots d'échappement. C'est l'image de l'enfant blessé qui me fait le plus peur, pensai-je. Le marathon de Beyrouth avait été un succès.

Adib Y. TOHMÉ

Je vais commencer par l'Université libanaise et plus précisément par la faculté de génie où les chansons de Feyrouz furent interdites par une cellule étudiante qui ressemble de plus en plus à un conseil de mœurs et de censure religieuse. Il y a des incidents qui ne doivent pas passer sous silence parce que les ignorer veut dire renoncer à une certaine forme de civilisation et...

commentaires (2)

Vous parlez à des momies, vous n'entendrez jamais de réponses. Le Liban dont vous rêvez, est mort en 1943, à la fin du mandat français. Depuis cette date, le pays marche à reculons. L'incident de Feyrouz ne serait pas survenu si les chansons étaient d'Oum-Kaltoum. Sans commentaire.

Un Libanais

18 h 37, le 30 décembre 2016

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Commentaires (2)

  • Vous parlez à des momies, vous n'entendrez jamais de réponses. Le Liban dont vous rêvez, est mort en 1943, à la fin du mandat français. Depuis cette date, le pays marche à reculons. L'incident de Feyrouz ne serait pas survenu si les chansons étaient d'Oum-Kaltoum. Sans commentaire.

    Un Libanais

    18 h 37, le 30 décembre 2016

  • Ou, les "décennies des cendres" de ce bled-pays.... Wassallâmoû älâïykôm wa rahhmatoullâhî wa barakâtoû(h) !

    ANTOINE-SERGE KARAMAOUN

    09 h 48, le 30 décembre 2016

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