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Moyen Orient et Monde - Reportage

L’avenir incertain des chrétiens de Mossoul...

Dans le camp de réfugiés d'Ankawa II à Erbil, la même crainte : « S'il n'y a pas de garanties, il n'y aura pas non plus de retour. »

L’autel brûlé et dévasté de l’église Saint-Georges, à Bartella. Photo Alexandre Sarovic

L'écriture sur l'arc du portail est toujours intacte : « Saint-Georges, église syrienne-catholique Bartella fondée 1933 AD ». Mais derrière, une image de dévastation attend le visiteur. Un synthé écrasé et un cadre sont abandonnés sur l'escalier. Le fond dans la salle d'église a presque disparu sous des éclats de verre, le reposoir est encrassé de suie, les bancs couverts par des décombres. Trois soldats des forces spéciales irakiennes traversent l'édifice. L'un d'entre eux hoche la tête : « Quel péché ! »

Bartella a été libérée par l'armée irakienne il y a presque deux mois. Non seulement les églises, mais aussi les maisons, dans cette petite ville habitée jadis par des chrétiens, ont été détruites. En août 2014, Bartella, à quelque quinze kilomètres de Mossoul, était tombée sous le contrôle de l'État islamique (EI). Comme plus de 200 000 chrétiens de Mossoul et de ses alentours, les habitants de la ville avaient dû fuir. Certains d'entre eux ont quitté le pays vers la Turquie, le Liban ou la Jordanie. Des dizaines de milliers ont fui également vers la région du Kurdistan irakien.

Aujourd'hui, plus de 5 500 d'entre eux vivent dans le camp de réfugiés d'Ankawa II, à Erbil, la capitale de la région kurde. « Daech donnait le choix aux chrétiens : payer une taxe, se convertir à l'islam ou périr par l'épée », se rappelle Ibrahim Shaba Ibrahim, l'assistant de père Emmanuel Abdel Khalo, un prêtre de l'église syrienne-catholique qui dirige le camp. « Les gens ont donc fui », ajoute-t-il.

Les habitants du camp de réfugiés viennent de Mossoul ainsi que de Bartella, Bashiqa, Qaraqosh et d'autres villages proches de la deuxième plus grande ville irakienne. Près de 1 200 familles vivent dans le camp, la majorité dans des conteneurs arrangés pour y habiter. Certains d'entre eux ont ouvert des magasins, des épiceries, des salons de coiffure. Avec l'aide de donateurs, un petit terrain de football a été aménagé. En comparaison avec d'autres camps de réfugiés, les conditions dans Ankawa II sont relativement confortables, estime Ibrahim Shaba Ibrahim. « C'est comme un petit village dans la ville. » Mais avec la progression de l'offensive pour reprendre Mossoul à l'EI, une problématique se pose aux habitants de ce village : la question du retour chez eux et de la reconstruction de leurs maisons et communautés. « Je suis né à Bartella », dit M. Ibrahim. « Y a-t-il quelqu'un qui n'aime pas vivre dans son pays ? »

 

(Lire aussi : Pollution, incendies, destructions: le désastre écologique du conflit en Irak)

 

Les promesses kurdes
Sa ville natale était habitée par des Assyriens depuis le premier siècle après J-C. Comme d'autres localités proches de Mossoul, Bartella héberge l'une des plus anciennes communautés chrétiennes du monde. Mais ces communautés millénaires auront-elles encore un avenir en Irak ? « En ce moment, on ne sait pas », affirme M. Ibrahim. « Pour le père Emmanuel et pour la majorité des gens ici, la question du retour dépend des garanties pour notre sécurité. » Il croit que le gouvernement régional kurde à Erbil est plus capable de faire cela que le gouvernement irakien à Bagdad. Selon lui, il est plus probable que les Kurdes tiennent leurs promesses.

Mais en ce moment, une partie des villes chrétiennes libérées sont contrôlées par les peshmergas kurdes, l'autre partie par l'armée irakienne. À quelques kilomètres de Bartella, il y a deux points de contrôle : un des forces kurdes et l'autre de l'armée irakienne. Les peshmergas ont creusé des tranchées. On ne va pas aller plus au-delà de ce point, précisent-ils.

« Je ne peux pas dire comment cela va continuer. Je ne suis pas politicien », dit M. Ibrahim. « Notre avenir est incertain. Nous avons demandé même internationalement des garanties de sécurité, entre autres du président français François Hollande. » Il a parlé avec des chrétiens qui ont fui en Turquie, ajoute-t-il. Selon lui, ils veulent rentrer s'ils sont protégés efficacement. « Mais s'il n'y a pas de garanties, il n'y aura pas non plus de retour. Et cela serait très douloureux pour nous parce qu'il y a toujours eu des chrétiens en Irak. »
Pour M. Ibrahim, la situation des chrétiens de Mossoul est symptomatique de celle des chrétiens d'Irak et de toute la région. « Les chrétiens disparaissent peu à peu », dénonce-t-il. « On va arriver à un point où il n'y aura plus de chrétiens au Moyen-Orient. »

En 2003, environ 1,5 million de chrétiens vivaient en Irak ; aujourd'hui, il y en a moins de 500 000. Selon lui, beaucoup de gens qui avaient assez d'argent ont émigré. Beaucoup de ceux qui sont restés l'ont fait parce qu'ils n'ont pas des ressources pour quitter le pays.
Des centaines de ceux qui sont restés en Irak se sont réunis ce dimanche soir pour la messe dans le camp Ankawa II. De petits groupes de gens entrent dans l'église, une construction en tôle ondulée, et prennent place sur une des chaises enrobées d'étoffes blanches. Un chœur de quinze jeunes femmes entonne des chants liturgiques. Après la communion, les gens sont restés en petits groupes jusqu'à ce que le froid les force à rentrer chez eux.

Un de ceux qui restent devant l'église après de la messe est Kindi Hameed Majeed, 30 ans. Avant de fuir, il travaillait comme professeur à Mossoul. Quand la cité est tombée sous le contrôle de l'EI, il a dû se cacher pendant des journées entières avant de fuir finalement.
Selon M. Majeed, l'oppression des chrétiens n'a pas commencé avec l'EI. « Bien longtemps avant Daech, il y avait des exactions : des gens de ma communauté ont été enlevés ou tués de temps à autre par des jihadistes ou des extrémistes », dit-il.

Depuis des semaines, M. Majeed suit l'offensive pour reprendre Mossoul. Il ne sait pas s'il va retourner à sa ville natale. « Le gouvernement doit garantir avoir éliminé toutes les forces jihadistes. Seulement dans ce cas, j'espère retourner chez moi. »

 

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