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Moyen Orient et Monde - Bacha bazi

La lutte sans espoir pour sauver les jeunes esclaves sexuels de la police afghane

Un enfant, réduit à un esclavage sexuel par la police, est assis dans un restaurant en Afghanistan. Photo prise en octobre 2016. Aref Karimi/AFP

Tremblant d'une rage froide, Shirin tend une photo de son beau-frère, enlevé par des policiers qui en ont fait leur jouet sexuel. Son désespoir est partagé par nombre de familles afghanes luttant pour arracher leurs adolescents à un esclavage sexuel institutionnalisé.
Shirin fait partie d'une des 13 familles interviewées par l'AFP dans trois provinces d'Afghanistan, qui racontent comment un fils ou un neveu a été enlevé pour le « bacha bazi », soit l'entretien d'un garçon imberbe comme compagnon sexuel. Shirin se souvient comment le garçon de 13 ans criait et se débattait lorsqu'il a été enlevé de chez lui il y a quelques mois par un commandant de police de la province du Helmand. « Quand je les ai suppliés, ses hommes ont pointé leurs armes et dit "voulez-vous que votre famille meure ? Vous feriez mieux de l'oublier" », raconte Shirin à l'AFP à Lashkar Gah, capitale du Helmand.
Ces témoignages, recueillis dans le Helmand et dans les provinces d'Uruzgan et Baghlan, font suite à une enquête de l'AFP qui avait révélé en juin comment les talibans utilisent le « bacha bazi » pour s'en prendre à la police, recrutant des garçons pour attaquer ceux qui abusent d'eux. Les talibans ont démenti avoir recruté de jeunes victimes, tandis que le gouvernement a ouvert une enquête sur ces abus. L'AFP ne publie ni le nom des garçons ni celui des policiers accusés, car la plupart des victimes sont toujours captives.

Des familles impuissantes
Dans les témoignages des familles, un thème récurrent : l'impuissance. La plupart des victimes ont été enlevées en plein jour, dans les terrains de jeu, les champs ou chez eux. Ils sont contraints de cohabiter avec les policiers dans des postes de contrôle. On les aperçoit parfois brièvement en ville, ce qui peut entraîner des scènes déchirantes. Après des mois de vaines recherches, Sardarwali a ainsi aperçu son fils entouré de policiers sur un marché de Gereshk. Il rêvait de le serrer dans ses bras, mais n'a pas osé s'approcher.
Les familles craignent aussi que leurs fils ne deviennent dépendants d'opiacés imposés en captivité. Pire encore, elles craignent qu'ils ne soient envoyés en renfort au front, face aux talibans. Ou qu'ils ne soient tués dans une attaque contre le poste de contrôle où ils sont retenus.

Compétition pour le plus beau « bacha »
Le bacha bazi a fait un inquiétant retour dans l'Afghanistan post-talibans, où il n'est considéré ni comme de la pédophilie ou de l'homosexualité, ni contraire à l'islam. Les garçons imberbes aux traits fins, habillés de façon féminine, sont un signe apprécié de masculinité et de statut dans une société où hommes et femmes vivent séparément. Cela a entraîné une compétition malsaine dans les rangs de la police entre certains commandants, qui se mesurent à la beauté de leurs « bachas », rapporte un ancien responsable de sécurité du Helmand. « Souvent, la seule voie de sortie pour ces garçons réduits en esclavage est de passer un accord avec les talibans », indique ce responsable.
Le gouvernement afghan assure n'avoir aucune tolérance pour les violeurs d'enfants dans ses rangs. Mais le porte-parole du gouverneur d'Uruzgan, Dost Mohammad Nayab, reconnaît qu'il y a un « bacha » dans presque chaque point de contrôle de la police de la province. Il craint que toute tentative de les tirer de là ne déclenche la colère des policiers, qui risquent d'abandonner leur poste, ouvrant la voie aux talibans. Mais pour le chercheur Charu Lata Hogg, de l'institut britannique Chatham House, ne rien faire sous prétexte d'insécurité est inexcusable. « L'Onu et l'Afghanistan ont signé en 2011 un plan d'action qui prévoit explicitement la réhabilitation des enfants victimes d'abus sexuels », souligne-t-il. « Pourquoi est-ce que rien n'a été fait ? »

« Fuyez, ou ils reviendront »
Face à la culture de silence et d'impunité, sans recours légal possible, nombre de familles ont abandonné tout espoir. Seuls les plus favorisés, ayant des contacts bien placés, peuvent demander à ces derniers d'intervenir pour leur enfant. L'imam Haji Mohammad, deux semaines après l'enlèvement de son fils par un chef de la police du Helmand, s'est tourné vers un responsable du renseignement. Le garçon de 11 ans, relâché après 18 jours, est rentré terrifié. Sa famille, que l'AFP a pu rencontrer, déplore le manque de soutien psychologique pour l'enfant, dont le traumatisme perdure, deux ans après son enlèvement. « La famille voulait obtenir justice mais je leur ai conseillé "Fuyez le Helmand ou ils reviendront chercher votre garçon" », explique le responsable du renseignement. « Le bacha bazi n'est pas un crime qui entraîne un châtiment. »

Anuj CHOPRA/AFP

Tremblant d'une rage froide, Shirin tend une photo de son beau-frère, enlevé par des policiers qui en ont fait leur jouet sexuel. Son désespoir est partagé par nombre de familles afghanes luttant pour arracher leurs adolescents à un esclavage sexuel institutionnalisé.Shirin fait partie d'une des 13 familles interviewées par l'AFP dans trois provinces d'Afghanistan, qui racontent comment un...

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