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Moyen Orient et Monde - Interview

Hanaa Edwar : Les jeunes sont la clé du changement en Irak

La militante irakienne Hanna Edwar. AFP Photo/Johannes Eisele

Hanaa Edwar est une militante irakienne pour les droits humains des plus tenaces. Son diplôme en droit de l'Université de Bagdad obtenu en 1967, elle s'est très vite engagée pour la cause des femmes et de la justice sociale dans son pays. Après plusieurs années passées avec les peshmergas, les combattants kurdes d'Irak, dans les années 1980, elle fonde l'association Amal en 1992 dans le but d'améliorer les conditions socio-économiques des Irakiens. Depuis, son incessant combat pour la reconnaissance des droits des opprimés a connu des réalisations exceptionnelles, ce qui lui a valu le prix de Arab Woman of the Year en 2013. De passage à Beyrouth pour une conférence organisée par la Fondation Heinrich Böll au centre Dar el-Nimer pour les arts et la culture de Beyrouth sur le thème des femmes en temps de guerre et de paix, elle revient, pour L'Orient-Le Jour, sur son parcours hors norme et son engagement pour les droits civiques.

Dans les années 1980, vous étiez dans les forces militaires du Kurdistan irakien. Vous avez donc basculé de la lutte armée à la résistance non violente et pacifique ?

Après le cessez-le-feu de 1988 entre l'Irak et l'Iran, nous avons décidé de quitter la montagne, car Saddam Hussein y a exercé contre nous une sauvage répression. Après le Koweït et le régime de sanctions contre l'Irak, nous avons décidé de travailler pour la paix et de nous impliquer dans le domaine politique, nous pensions avoir plus d'impact de cette manière.

Qu'est-ce qui vous a motivé à fonder l'association Amal ?

Après l'invasion du Koweït, en mars 1991, des milliers de personnes fuyaient la terreur de Saddam Hussein dans le sud, vers l'Arabie saoudite. C'était horrible. Nous avons alors fondé l'association pour fournir une assistance humanitaire. Après cela, nous avons développé nos activités dans le Kurdistan irakien pour l'égalité des genres et pour répondre aux enjeux humanitaires dans le milieu des années 90.

Quel a été l'une de vos plus grandes réalisations en Irak depuis la fondation de votre association ?

La chose la plus importante a été le succès de la campagne dans les années 2000 visant à inscrire dans la Constitution irakienne un quota de 25 % de femmes au Parlement irakien. Bien d'autres choses ont été faites quant à la sensibilisation de la population aux violences faites aux femmes et à l'esclavage sexuel en Irak.

Comment s'organisent vos actions pour arriver à impacter les responsables politiques ?

Il y a différentes étapes : nous faisons d'abord un travail de communication auprès de personnes et groupes influents comme les juges, les académiciens, avocats, etc., dans le but de renforcer la conscience collective sur ces sujets. Puis nous mettons en place des campagnes qui plaident pour ces causes via les médias, des pétitions, des manifestations et parfois des sit-in... Tout cela pour aboutir à un dialogue entre les responsables politiques, les partis et la société civile. C'est un travail de longue haleine pour convaincre les citoyens d'exiger des droits et des statuts légaux. Dans le contexte de violence sectaire et terroriste qui règne aujourd'hui en Irak, c'est un véritable challenge.

Bien qu'on présente l'Irak comme un chaos généralisé, il y existe donc une société civile indépendante ?

Il y a eu un tournant en 2003 : quand les ONG ont enfin pu être enregistrées et officialisées et que la société civile a pu être constituée. Plus de 2 000 ONG ont été enregistrées. Nous avons par exemple fait un formidable travail en 2010 quand nous avons plaidé pour des sessions parlementaires ouvertes en juin. L'enjeu a été soulevé jusque devant la Cour constitutionnelle, qui a décidé de rendre publiques les sessions parlementaires. Ce genre de réalisation est vraiment quelque chose de nouveau en Irak. Tout cela existe cependant dans un contexte très difficile de terreur générale, de sécurité inexistante et d'institutions politiques très fragiles.

Pour revenir sur votre expérience avec les peshmergas, on nous présente souvent dans les médias une image différente de la femme kurde des autres femmes de la région, plus libérée, émancipée. Qu'en pensez-vous ?

Je ne pense pas qu'il y a des différences avec les autres femmes de la région, c'est une image superficielle. Quand j'en parle avec les peshmergas, elles me disent qu'elles sont vraiment isolées du reste de la société. Elles ne sont donc pas soumises aux normes et traditions de la région. Or, particulièrement dans cette zone, les tribus et les clans sont très forts et patriarcaux. Quand j'étais peshmerga nous ne vivions pas avec les hommes, mais seules dans notre montagne.

On parle pourtant beaucoup des nouveaux systèmes politiques mis en place par les Kurdes dans le nord de la Syrie et en Turquie, comme étant très paritaires et égalitaristes ?

Ne les croyez pas s'il vous plaît, cela est très exagéré. Croyez-moi, je rêverais que cela se passe ainsi, mais ce n'est pas le cas sur le terrain.

Les femmes peuvent-elles, en combattant, gagner en légitimité et rehausser leur statut social ?

Il ne faut encore pas exagérer, car les femmes qui se battent avec les hommes sont en nombre très réduit. Selon mon expérience, nous étions un petit nombre de femmes à porter les armes, et nous vivions une expérience complètement hors normes. Au PKK par exemple où j'ai des amis, il y a certes des combattantes mais pas de mouvement social massif, elles sont dans leur microcosme qui ne reflète pas la réalité de la condition de la femme kurde. Être en temps de guerre ou le fait de porter une arme, cela ne change pas le regard que l'homme pose sur la femme. Il y a beaucoup de romantisme dans cette affaire.

On peut voir cette vidéo de vous sur Internet où vous prenez à partie l'ancien Premier ministre Nouri al-Maliki en 2011. Quelle était la cause de votre fureur ?

En 2011, les printemps arabes avaient provoqué une vraie secousse, même en Irak. Beaucoup de manifestations avaient eu lieu à Bagdad et dans tout le pays. En mai, quatre manifestants ont été arrêtés par la police, accusés d'avoir de faux papiers d'identité. Cette histoire nous a semblé vraiment étrange. Le 5 juin 2011, j'ai été invitée à une conférence nationale sur les droits de l'homme en Irak, tous les leaders politiques, diplomates, ONG, ainsi que le Premier ministre étaient présents. M. Maliki y a fait un discours où il affirmait que les personnes arrêtées ainsi que les ONG qui organisaient les manifestations étaient des « tueurs » et des « criminels »... Oh mon Dieu, je bouillonnais sur ma chaise ! J'avais avec moi des papiers qui prouvaient que les personnes arrêtées étaient des personnes honnêtes et militantes des droits de l'homme. Je me suis alors levé et je lui ai dit : « Vous nous traitez de criminels M. le Premier ministre ? Les criminels et tueurs sont dans votre camp, dans le Parlement et votre gouvernement ! » Puis je lui ai balancé mes papiers. Vous savez, nous avons perdu plus de 3 000 personnes dans nos rangs qui défendaient la liberté d'expression, et ils viennent nous traiter de criminels ? J'ai ensuite exigé des excuses publiques, ce qu'il n'a pas fait. J'ai donc quitté la conférence. Au moins cette vidéo qui a tourné sur internet a permis à des gens de sortir de leur peur pour parler franchement à nos responsables politiques, je suis très fière de cela. Après, dans toutes les villes où M. Maliki s'est rendu, il s'est heurté à des manifestations. Des jeunes ont même réussi à interrompre une de ses conférences dans la province de Dhi Qar, puis il s'est passé la même chose à Bassora. Le ton monte et les gens s'émancipent petit à petit de la peur.

Vous êtes donc optimiste quant aux enjeux sociaux que traverse l'Irak actuellement ?

Honnêtement, en ayant beaucoup travaillé avec les jeunes femmes et hommes de ce pays ces dernières années, je suis très optimiste. Les jeunes sont la clé du changement pour l'émergence d'un système politique démocratique et égalitaire en Irak. Ils sont courageux, créatifs, par leurs pensées et leurs activités, les femmes sont ambitieuses. On a donc là l'embryon d'un changement social massif en Irak, porté par les jeunes.


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