Ultralibérale sur le plan économique, conservatrice sur le plan sociétal : voilà le nouveau visage de la droite française. Largement plébiscité dans le cadre des primaires, avec près de 67 % des suffrages au deuxième tour, la victoire de ce courant de la droite n'en reste pas moins triplement paradoxale.
Paradoxale, parce que si le couple ultralibéral/conservateur est un positionnement politique assez traditionnel pour les droites anglo-saxonnes, il marque une réelle rupture dans l'histoire contemporaine de la droite gouvernementale française. Paradoxale, aussi, parce que ce courant emporte une large victoire à un moment où l'ultralibéralisme est largement contesté, au moins dans les urnes, dans les pays anglo-saxons. Paradoxale, enfin, parce que ce désir de changement, voir de radicalité, est incarné par un homme du sérail, qui a été de 2007 à 2012 le dernier Premier ministre en date d'un gouvernement de droite : François Fillon.
Comment expliquer alors l'écrasante victoire de cet homme, plutôt associé au second rôle, qu'aucun sondage n'avait prévu depuis des mois? Et que dit cette razzia de la recomposition de la droite française qui a balayé en l'espace d'une semaine à la fois le sarkozysme, en ne permettant pas à l'ancien président d'accéder au deuxième tour, et le chiraquisme, en préférant largement François Fillon à Alain Juppé au second tour des primaires ?
Le député de Paris a pleinement profité des trois débats télévisés, et même du dernier qui l'opposait au maire de Bordeaux, pour se démarquer de ses adversaires à deux niveaux. Celui de la personnalité, d'abord, où il est apparu calme, serein, sérieux, honnête et franc, mettant habilement en avant sa volonté de ne pas tomber dans la « politique spectacle » ; bref, d'abonder dans l'exact opposé de Nicolas Sarkozy. Celui des idées, ensuite, où il a opté pour le programme le plus radical en matière économique tout en faisant une synthèse entre la modération d'Alain Juppé et la surenchère de Nicolas Sarkozy sur les thématiques identitaires.
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Pas le bon stratège
Moins extravagant que Nicolas Sarkozy mais plus à droite qu'Alain Juppé, l'ancien Premier ministre est apparu comme la meilleure solution pour contrer l'ancien président, dont les Français ne voulaient clairement plus, sans pour autant renier une volonté de revenir à une droite plus à droite.
Nicolas Sarkozy avait, sans doute, la bonne stratégie, mais il n'était pas le bon stratège. Le maire de Bordeaux était, quant à lui, beaucoup trop marqué au centre-droit pour incarner une droite qui, sans tomber dans le populisme, est phagocytée par des courants réactionnaires. En assumant le bilan du quinquennat Sarkozy, tout en faisant habilement remarquer qu'il aurait fait les choses autrement s'il avait eu les manettes, le Sarthois a profité des faiblesses de ses adversaires qui, additionnées à la déroute de Bruno Lemaire, lui ont laissé un large couloir pour s'imposer comme la meilleure alternative. Tout en s'appuyant sur deux électorats extrêmement important à droite : celui des entrepreneurs, séduit par son programme de désétatisation ; et celui des catholiques séduit par ses convictions religieuses. La bourgeoisie catholique s'est fortement mobilisée pour M. Fillon, soutenu plus ou moins par défaut par le mouvement Sens commun, émanation de la Manif pour tous.
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En prenant la défense des chrétiens d'Orient, en appelant à « vaincre le totalitarisme islamique », en promouvant une alliance solide avec la Russie, l'ancien Premier ministre s'est également démarqué de ses concurrents en matière de politique étrangère, ce qui a certainement participé à sa large victoire. Il suffit en effet de lire la presse française dite de droite pour remarquer à quel point ses thèmes deviennent récurrents au sein de cette tendance politique.
Celui que Nicolas Sarkozy appelait son « collaborateur », pour mieux le remettre à sa place, a pris hier une revanche sur toute sa famille politique. Et se place désormais comme le favori de la course à l'Élysée. Pour le plus grand bonheur du Parti socialiste qui, malgré son effritement, pourra jouer sur la peur d'un deuxième tour entre un candidat très à droite et une candidate de l'extrême droite. Et au grand dam du Front national, qui pourrait se faire siphonner une partie de ses voix par un candidat qui est attaché, tout comme le FN, à une certaine idée de la France catholique. Reste à savoir si l'ultralibéralisme de M. Fillon, qui a séduit les électeurs de la primaire, ne va pas rebuter une grande partie de l'électorat, moins intégrés et réclamant, au contraire, plus de protection étatique. Combien de voix peut-il gagner sur l'extrême droite et combien de voix va-t-il perdre au centre et à gauche ? Telle est la nouvelle équation que doit résoudre le nouveau favori de la course à la présidentielle.
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Bientôt on verra qui aura des grincements de dents !!
22 h 45, le 28 novembre 2016