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Moyen Orient et Monde - Analyse

François Fillon, les chrétiens d’Orient et la Russie

L’ancien Premier ministre François Fillon. Charles Platiau/Reuters

Après le choc Trump, la surprise Fillon. Après la « poutinolâtrie » du futur président américain, la russophilie du probable candidat de la droite française. Une fois passé l'effet de souffle médiatique, il est temps d'analyser le contenu des programmes. En politique étrangère, François Fillon milite depuis longtemps pour un rapprochement avec la Russie au Moyen-Orient et en Europe. Quelles sont les raisons et la portée des positions prorusses de Fillon, que la Russie a saluées comme elle avait célébré l'élection de Trump ?

À l'heure où la diplomatie française mène, en Europe, le groupe des États membres méfiants à l'égard de la Russie, la ligne diplomatique de Fillon semble iconoclaste. Pourtant, elle s'inscrit dans le droit fil de plusieurs traditions politiques de la droite en France. Afficher sa proximité avec le président russe, c'est tout à la fois endosser les habits du protecteur des chrétiens d'Orient, reprendre l'héritage gaullien de non-alignement sur l'Otan... et se démarquer de ses concurrents internes et externes. Dans sa russophilie, François Fillon opère une habile synthèse entre plusieurs courants bonapartistes, catholiques et conservateurs français. Toutefois, le principe de réalité pourrait bien amener François Fillon à infléchir sa position sur la Syrie et la Russie.

 

(Lire aussi : Fillon, un ami de Poutine dans la course à l’Élysée ?)

 

 

Au Moyen-Orient, un marqueur confessionnel séculaire
Les déclarations anciennes et constantes de François Fillon sur la Syrie s'inscrivent dans la tradition qui fait de la France la protectrice des chrétiens d'Orient. C'est une politique séculaire de la France dans la région, des capitulations de 1535 à la protection des communautés chrétiennes dans les années 1860, et à la période coloniale du mandat français suite à la Première Guerre mondiale.

Cette ligne est assurément en rupture avec la politique suivie en Syrie depuis plusieurs années par les autorités françaises, y compris pendant les années où François Fillon était Premier ministre. Durant ces années, la diplomatie française a eu pour objectifs le départ de Bachar el-Assad, le changement de régime à Damas, le soutien aux opposants démocratiques puis une ligne dure sur l'intervention russe. Dans cette perspective, elle exprimait une défiance marquée à l'égard de l'alliance Téhéran-Damas-Moscou appuyée sur le terrain par le Hezbollah.

Comme il l'a rappelé à maintes reprises, François Fillon entend unir ses efforts à ceux de la Russie pour protéger les chrétiens d'Orient sur les théâtres syriens et au-delà. Dans cette perspective, l'ennemi commun est le terrorisme d'inspiration sunnite ainsi que ses soutiens dans la région. Quant au régime Assad, il apparaît comme un mal nécessaire pour atteindre cet objectif. La convergence est nette avec la ligne diplomatique du Kremlin depuis une décennie : celle-ci souligne que la Russie et l'Occident ont les mêmes ennemis dans le monde. Et elle cautionne la communication très offensive du patriarcat de Moscou présentant la Russie comme le seul rempart de la chrétienté au Moyen-Orient.

Cette inflexion annoncée risque pourtant de se heurter à plusieurs obstacles : comment coopérer avec la Russie sur le terrain militaire alors que les forces armées russes sont prises dans une logique de « cavalier seul » ? En effet, suite aux attentats de novembre 2015, les autorités françaises avaient tenté de coordonner militairement avec Moscou, sans succès. En outre, comment se rapprocher de Téhéran sans inquiéter le réseau d'alliances sunnites tissé patiemment par la France dans le Golfe, y compris pour des raisons d'exportation de défense ? L'Arabie saoudite, les EAU, le Qatar ou encore l'Égypte sont en effet hostiles à l'alliance russo-iranienne à leurs portes.
Le marqueur confessionnel de la défense des chrétiens d'Orient peut être efficace place Saint-Sulpice à Paris. Mais il risque de se heurter aux réalités au Moyen-Orient.

 

 

(Lire aussi : Politique étrangère, immigration, emploi... : les différences entre Juppé et Fillon)

 

En Europe, une posture gaullienne historique
François Fillon entend également réactiver la tradition gaullienne. Dans le fil de l'alliance conclue en 1892 entre la France et la Russie pour faire pièce à la Triplice scellée par l'Allemagne, l'Autriche-Hongrie et l'Italie, durant la guerre froide, le général de Gaulle a en effet cherché à développer les liens entre la France et l'URSS : retrait des structures de commandement de l'Otan, développement d'une force de dissuasion nucléaire indépendante, échanges culturels et commerciaux nourris, etc. Dans tous ces domaines, le rapprochement franco-russe a toujours servi aux gouvernements français à affirmer leur autonomie stratégique. En réactivant la proximité franco-russe, François Fillon s'affirme farouchement gaullien. Et il annonce, en cas de victoire, une relation critique envers l'Otan.

De manière générale, François Fillon a cultivé les convergences avec la Russie en Europe depuis sa primature. Il rencontre régulièrement le président russe depuis 2008, à titre officiel ou privé. Les affinités sont aussi politiques : l'ancien Premier ministre s'est clairement prononcé pour la levée des sanctions économiques adoptées par l'Union européenne contre la Russie en réaction à l'annexion de la Crimée et au rôle de Moscou en Ukraine orientale.

Le revirement diplomatique annoncé risque néanmoins de se heurter à plusieurs tendances lourdes. D'une part, la proximité avec Moscou risque de remettre en cause l'atlantisme qui tient lieu de politique de défense européenne. D'autre part, elle bousculera la solidarité européenne : en effet, si la France se faisait l'apôtre d'une levée des sanctions, elle se désolidariserait de l'Allemagne. Et les Polonais, les Suédois ou encore les Pays-Bas perdraient le soutien d'un État membre essentiel en Europe.
Enfin, les positions du candidat Fillon soulèvent de nombreuses questions dès aujourd'hui : lui président, serait-il prêt à lever unilatéralement les sanctions contre la Russie ? Lui président, la France accepterait-elle l'annexion de la Crimée, soutiendrait-elle moins fermement les États baltes contre les initiatives russes ?

 

(Pour mémoire : François Fillon, l’éternel second enfin émancipé)

 

Dans le débat politique français, une tactique de différenciation
Dans ces prises de position prorusses, il entre aussi quelques considérations tactiques, naturellement.
Au sein du parti Les Républicains, s'affirmer partisan d'un rapprochement avec la Russie permet de s'assurer le soutien des élus, notamment parlementaires, qui ont voté au Sénat et à l'Assemblée nationale des résolutions demandant la levée des sanctions contre la Russie, le 17 mars 2016. Le ralliement des partisans de Nicolas Sarkozy en sera favorisé. Et les militants, souvent fervents admirateurs de l'homme fort du Kremlin, en seront galvanisés.

Sur le plan national, la proximité avec la Russie permet à François Fillon d'activer ou de réactiver sa stature internationale d'homme d'État. Elle lui confère même l'image d'un homme fort, par contagion d'images entre lui et Vladimir Poutine. Cette transsubstantiation est souvent recherchée par des candidats ou par des leaders en recherche d'image (Berlusconi, Sarkozy, Erdogan, etc.). Ces éléments seront utilisés pour se différencier d'Alain Juppé selon une opposition classique à droite entre gaullisme historique et atlantisme, entre indépendance nationale stricte et modernisme diplomatique. Ils seront ensuite mobilisés pour se démarquer du candidat socialiste selon la division realpolitiker vs droit-de-l'hommisme. Reste à savoir si la confusion avec les positions du Front national ne risque pas de s'installer...

En plaçant son programme diplomatique sous l'égide de la protection des chrétiens d'Orient, sous la figure tutélaire de De Gaulle, François Fillon synthétise plusieurs traditions de la droite française : politique confessionnelle, anti-atlantisme (modéré), culte du chef. Toutefois, ce programme doit aujourd'hui être précisé sur Bachar el-Assad, sur la Crimée, sur l'Ukraine et les États baltes. Sous peine de se désintégrer au contact de la réalité.

Cyrille BRET
Docteur et agrégé, enseigne à Sciences-Po Paris et dirige le site de géopolitique EurAsia Prospective.

 

 

 

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commentaires (7)

Oui, il y a un rêve gaullien "de l'Atlantique à l'Oural" soulignant "l'europeanite de la sainte Russie" Pas insensé d'ailleurs d'essayer "une plus grande Europe" Mais que d'écueils accumules sur ce chemin...par des politiciens "sans vision" et des intérêts, finalement sans commune mesure avec l'intérêt de constituer une force politique capable de "négocier" avec les Plus Grands ( Chine, Inde, USA) Les chrétiens d'orient: une cerise sur le gâteau! ( ont servi longtemps comme un joker dans le jeux L'éradication de l'extrémisme islamique, un autre joker du jeu

Chammas frederico

11 h 19, le 27 novembre 2016

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Commentaires (7)

  • Oui, il y a un rêve gaullien "de l'Atlantique à l'Oural" soulignant "l'europeanite de la sainte Russie" Pas insensé d'ailleurs d'essayer "une plus grande Europe" Mais que d'écueils accumules sur ce chemin...par des politiciens "sans vision" et des intérêts, finalement sans commune mesure avec l'intérêt de constituer une force politique capable de "négocier" avec les Plus Grands ( Chine, Inde, USA) Les chrétiens d'orient: une cerise sur le gâteau! ( ont servi longtemps comme un joker dans le jeux L'éradication de l'extrémisme islamique, un autre joker du jeu

    Chammas frederico

    11 h 19, le 27 novembre 2016

  • Les réalités et théories économiques classiques traditionnelles n’ont plus de secret et ont fait leurs preuves. La droite et la gauche se retrouvent désormais au centre. Même les intérêts économiques des pays sont assurés par des packages d’accords continentaux et intercontinentaux. Désormais, les factions politiques des pays n’arrivent à se démarquer que par des objectifs sécuritaires. Et les électeurs ne voient que cela. L’imaginaire collectif occidental s’en va chercher des rêves exotiques nationalistes, presque staliniens que nourrissent les discours des candidats. C’est la régression. L’Occident s’ennuie tant il est confortable.La course au pouvoir entretient des discours « protectionnistes » purement sécuritaires lesquels non seulement n’assurent pas les acquis sociaux et économiques, mais les mettent plutôt à risque : Brexit en est l’exemple le plus flagrant.

    Bibette

    18 h 10, le 25 novembre 2016

  • Se promouvoir en protecteur des chrétiens d'Orient n'est autre que de la pure manœuvre électorale. Bashar el Assad qui prétend être lui-même protecteur des minorités chrétiennes de Syrie, ne l’est-il pas au prix de crimes de guerre pour satisfaire aux fins Russes?! La Russie qui fait cavalier seul économiquement, militairement et politiquement, fout le bordel pour arriver à des fins économiques inintelligibles. Même si la Russie contrôlait tout le Moyen Orient et toutes les voies gazières et pétrolières de notre région, son peuple aura toujours faim. Plus les russes auront faim plus Poutine en rajoutera au bordel pour vendre des armes, faire du chantage et mentir à la communauté internationale.

    Bibette

    18 h 05, le 25 novembre 2016

  • VIENNENT PARTOUT CEUX QUI COUPERONT LE NOEUD GORDIEN DANS LA REGION... LES DEPARTS SONT PROGRAMMES... LES PARACHUTES SONT PRETS... WA HOUNALIKA AL BOUKAOU WA SARIROU AL ASNANI !

    LA LIBRE EXPRESSION

    14 h 15, le 25 novembre 2016

  • Il n' y a pas d' amis en matière de politique. Que des intérêts. Et des marges de manœuvre plus ou moins étroites pour les réaliser.

    LeRougeEtLeNoir

    10 h 57, le 25 novembre 2016

  • Discuter avec Poutine et Assad! quel grand rêveur ! parler oui mais être écouté c'est autre chose! comme si ces deux dictateurs allaient gentiment changer leur position à cause de la France. Par contre il va se mettre a dos les pays du golf et suspendre l'activité commerciale donc augmenter le chômage, assez de balivernes M Fillon devenez un pu réaliste

    yves kerlidou

    08 h 46, le 25 novembre 2016

  • 2017 sera l'année des rires jaunes moutarde et des larmes chaudes des chutes du niagara. Avec Trump qui donne un coup de griffe à l'otan que faire se peut et avec Fillon qui chantera la VRAIE MARSEILLAISE, celle que tout français bon catho voudra entendre des rives de la seine, très loin de celle du jourdain. Et vive les combattants des résistances aux bactéries wahabites et leurs sponsors euro saoudite.

    FRIK-A-FRAK

    06 h 19, le 25 novembre 2016

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