« Les brigades du Tawhid », autodéfense ou message politique ?

La querelle autour des « brigades du Tawhid », sorte de formation paramilitaire mise en place récemment par l'ancien ministre Wi'am Wahhab, bat toujours son plein.

Ces « brigades » ont défilé dimanche dernier en présence de plusieurs personnalités, dont des membres du directoire du Hezbollah. Nombreuses sont les interrogations concernant le timing de leur lancement, d'une part, et d'éventuels messages politiques que pourrait porter cette parade au nouveau mandat de Michel Aoun dont M. Wahab se dit l'allié, et dont il a farouchement soutenu l'accession à la tête de l'État tout au long de la période de vacance présidentielle.

Interrogées par L'Orient-Le Jour, des sources proches de M. Wahhab semblent préférer minimiser la teneur de ces messages. Selon une source, « la date de la parade a été fixée depuis plus d'un mois, c'est-à-dire avant la tenue de l'élection présidentielle. Il n'y a donc aucun message en direction du nouveau chef de l'État ».

En dépit des craintes qu'a suscitées la parade tenue dimanche à Jahiliyé (village de Wi'am Wahhab), les proches du chef du parti Tawhid semblent déterminés à calmer les esprits en assurant que « les brigades en question n'ont pas de dimension locale. Elles participent, en revanche, aux combats en Syrie ». « Nous ne cachons pas notre participation au conflit syrien pour protéger les druzes qui vivent encore en Syrie aujourd'hui », souligne-t-on dans les mêmes milieux.
Peut-on déduire de ce discours que Wi'am Wahhab, grand allié de longue date du Hezbollah et ouvertement engagé à son tour dans la guerre en Syrie, n'a plus confiance dans l'action du parti chiite aux côtés du régime Assad ?

Selon les proches de l'ex-ministre, « le Hezbollah est toujours en Syrie, et bénéficie de notre confiance mais nous voulons défendre les druzes et leurs villages. D'autant plus que nous protégeons par la même occasion les druzes du Liban et de Syrie ». C'est donc dans une logique d'autodéfense légitime qu'il faudrait placer les brigades du Tawhid : « Que ferons-nous si l'armée syrienne libère Quneitra alors que les terroristes se trouvent près de nos villages ? »
Pour ce qui est de la dimension strictement locale, les proches du chef du parti Tawhid sont soucieux d'assurer que « les brigades ne porteront pas les armes, sauf en cas d'événement majeur (à l'instar d'une éventuelle confrontation avec des jihadistes) ». « Les brigades seront chargées d'organiser des événements et festivals politiques », indique-t-on de mêmes sources.

Concernant la réaction des deux leaders druzes Walid Joumblatt et Talal Arslane à une « initiative » qui se fixe pour objectif de « sauver les druzes du Liban et de Syrie », les sources proches de Wi'am Wahhab se contentent de dire que « ce dernier n'est pas concerné par les avis des autres, notamment ceux qui ont longtemps fait de faux paris politiques. Il applique sa propre ligne politique, sans en discuter avec quiconque ». Si M. Wahhab est l'un des alliés du régime syrien, et ne manque pas de lui afficher un soutien indéfectible, ses sources indiquent qu'il n'a pas tenu Bachar el-Assad – ou toute autre personne qui gravite dans son orbite – au courant des brigades du Tawhid. « Croyez-vous que nous prenons l'avis du régime syrien dans un dossier comme celui-là ? » interroge-t-on dans l'entourage de l'ex-ministre.

(Pour mémoire : Les « brigades » d'al-Tawhid défilent sur fond de discours incendiaire de Wahhab)

« C'est l'Iran qui a le dernier mot »
De son côté, le général Khalil Hélou, expert militaire et stratégique, estime que la parade de Jahiliyé s'inscrit dans le prolongement de celle tenue par le Hezbollah à Qousseir, il y a une dizaine de jours. « À travers ces deux manifestations de force, on vient rappeler aux Libanais que c'est l'Iran qui a le dernier mot dans la région », déclare-t-il à L'OLJ, avant de poursuivre : « Le timing de ce message politique est ainsi très important : à l'heure où les Forces libanaises et le courant du Futur se disent fiers de voir Michel Aoun accéder au palais de Baabda suite à l'appui de Samir Geagea et Saad Hariri, l'Iran vient affirmer que personne ne peut le dépasser, d'autant plus que M. Aoun a longtemps été considéré comme le candidat de Téhéran. »

« Les brigades de Wi'am Wahhab sont une atteinte flagrante à la souveraineté nationale », ajoute M. Hélou. Selon lui, « les deux défilés ne visent pas à affaiblir le nouveau président de la République. Ils ne sont rien d'autre qu'une sonnette d'alarme pour lui rappeler que c'est le Hezbollah (et donc l'Iran) qui l'a mené à la tête de l'État ». « Il est vrai que Michel Aoun est l'allié du parti chiite et de Wi'am Wahhab. Mais depuis son élection, il traite avec les FL, le courant du Futur et les Kataëb, et bien d'autres protagonistes qui étaient ses adversaires politiques. Ces alliés lui rappellent donc qu'ils devraient bénéficier d'une certaine priorité », note Khalil Hélou.

Salim Sayegh, vice-président des Kataëb, souligne, pour sa part, que « le message véhiculé par le timing de la parade de Jahiliyé, et par la présence du responsable du Hezbollah Mahmoud Komati, s'adresse aux dépositaires de la Constitution et au nouveau pouvoir qui s'installe progressivement ». « La parade est venue rappeler les règles du jeu au lendemain du discours d'investiture souverainiste de Michel Aoun », estimé M. Sayegh interrogé par L'OLJ.

De même, Farès Souhaid, secrétaire général du 14 Mars, estime que la parade de Jahiliyé « est venue affirmer que c'est le Hezbollah qui possède la décision étatique ». « Les Arabes ont répondu à ces messages par les visites de plusieurs ministres des Affaires étrangères, tentant ainsi d'instaurer un certain équilibre sur la scène locale », note M. Souhaid.

(Lire aussi : La naissance de l'équipe Hariri bute encore et encore sur le nœud chiite)

Un message interdruze
Pour Nabil Nicolas, député aouniste du Metn, les brigades du Tawhid sont un « message qui serait principalement adressé à Walid Joumblatt ». Selon lui, « ces brigades ne sont pas une atteinte au mandat de Michel Aoun », mais s'inscrivent dans le cadre des « messages intracommunautaires qu'échangent les druzes ».

Mais à Moukhtara, on ne perçoit pas les choses sous cet angle : « Nous sommes déterminés à ne pas entrer dans une polémique avec Wi'am Wahhab », affirme à L'OLJ une source au sein du Parti socialiste progressiste, se contentant de rappeler le tweet de M. Joumblatt publié à la veille de l'indépendance : « Trois parades militaires pour l'indépendance, avec qui ? Et contre qui ? »

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