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Liban - Exposition

Un monument pour honorer les victimes oubliées de la grande famine de 1916-1918 bientôt à Beyrouth

Un terrible fléau frappe le Mont-Liban et Beyrouth durant la Première Guerre mondiale : une grande famine provoquée par des réquisitions systématiques des denrées alimentaires par les troupes ottomanes, l'embargo des côtes libanaises imposé par la flotte anglaise, l'invasion de sauterelles et les épidémies (typhus, choléra) déciment presque un tiers de la population. Les témoignages des pères jésuites présents auprès des habitants ont permis de dénoncer la brutalité des Ottomans à cette époque.

Document exceptionnel : la liste partielle des défunts du village de Bechmezzine (Koura). Des familles entières étaient ainsi décimées par la famine dès 1914.

À l'occasion de la fête de l'Indépendance et de la Semaine jésuite, ainsi que dans le cadre du projet de contextualisation du programme d'histoire-géographie au Collège Notre-Dame de Jamhour, le département d'histoire du collège, avec la collaboration du vice-recteur, le père Denis Meyer s.j., a organisé une exposition sur le thème « Les jésuites et la guerre de 1914-1918 au Liban ».

Cette exposition de documents rares, de photographies et d'objets relatifs à l'époque, puisés dans les archives des jésuites et répertoriés durant quatre ans par le professeur d'histoire à l'Université Saint-Joseph Christian Taoutel et le père jésuite Pierre Wittouck, a permis pendant une semaine aux parents d'élèves et aux élèves en classes de troisième et de première de porter un regard nouveau sur cette période de l'histoire, notamment ses répercussions sur notre pays. Une phase historique qui serait oubliée sans l'effort des pères jésuites qui ont enregistré et même photographié cette période.
« Nous avons eu l'idée de faire appel à M. Taoutel et au père Wittouck, qui est par ailleurs père spirituel au collège, car leur travail acharné a permis de lever le voile sur cette période obscure de l'histoire de notre pays. Ils nous ont permis d'avoir entre les mains des documents précieux qui peuvent nous permettre enfin d'honorer en quelque sorte les victimes de cette guerre ainsi que les pères jésuites qui ont joué un rôle essentiel auprès de cette population dont le tiers avait disparu, affamés ou affaiblis par la maladie », explique Myrna Haber, coordinatrice d'histoire des classes de 5e jusqu'en première.

Jeudi dernier, une conférence à double voix de M. Taoutel et du père Wittouck a eu lieu au centre sportif culturel et social du collège, afin de permettre aux élèves de satisfaire leur curiosité concernant cette période inconnue et interagir avec les principaux acteurs de ce travail titanesque. Cette rencontre a permis en outre de donner vie aux photographies et documents exhumés parmi 10 000 autres que les archives des jésuites et la collection privée de photos d'Ibrahim Naoum Kanaan ont précieusement sauvegardés. Pour M. Taoutel, qui annonce actuellement un projet avec le mohafez de Beyrouth, en collaboration avec la Banque du Liban, afin d'aménager une place publique dans une des artères principales de la capitale pour ériger un monument aux victimes de la grande famine (1916-1918) du Mont-Liban, il est primordial de familiariser les élèves, l'avenir du pays, avec cette période souvent occultée des mémoires de leurs parents et de leurs grands-parents.

Entre 1916 et 1918, quelque 200 000 Libanais, notamment des chrétiens du Mont-Liban, vont mourir de faim sur un total de 600 000 habitants. « Un tiers de la population réussira à prendre le bateau, un tiers mourra de faim ou de maladie (typhoïde, choléra, tuberculose, fièvre jaune...) et le dernier tiers survivra », raconte le professeur. « Nous sommes donc tous, présents ici, des descendants de ce tiers ayant survécu à la grande famine et nous devons notre existence à leurs sacrifices », explique-t-il à son public jeune, visiblement ému, d'autant plus qu'ils sont élèves de la même congrégation qui a pu sauver beaucoup de Libanais, notamment des orphelins délaissés.
« Des prêtres jésuites ont vendu leur habit, leurs chaussures pour alimenter les enfants à leur charge », explique le père Wittouck. « Ils risquaient leur vie en écrivant sur des bouts de papier ne dépassant souvent pas la paume de la main pour que, si jamais ils étaient fouillés au niveau des barrages, les documents ne soient pas visibles.»

« Tous les habitants du Mont-Liban étaient harcelés par les Ottomans, surtout les prêtres jésuites, car ces derniers étaient considérés comme des espions agissant pour le compte des Français et ils ne croyaient pas que ces personnes se donnaient gratuitement pour servir les pauvres et ceux qui souffraient », reprend M. Taoutel.
« L'invasion de sauterelles venant d'Afrique, et plus précisément d'Égypte, de Tunisie, de Libye en montant par la Palestine à trois reprises entre 1915 et 1916 (plusieurs fois par mois parfois) n'ont pas arrangé les choses en venant à bout des racines et des feuilles et de tout ce qu'il y avait comme végétation », explique M. Taoutel. Le père Wittouck ajoute qu'« actuellement, l'Onu veille à lutter contre les phénomènes d'invasion de sauterelles, mais depuis les événements du printemps arabe et le chaos dans certains pays, le risque d'avoir des invasions de ce type a de nouveau augmenté ».
« De tout ce qui s'est passé au Liban, nous n'avons qu'une dizaine de clichés développés à partir d'une pellicule cachée depuis 70 ans et offerts il y a quelques années aux pères jésuites, car à l'époque, les gens prenaient des risques en faisant ces photographies », expliquent tour à tour le père jésuite et le jeune érudit d'histoire. Les intervenants ont terminé en faisant défiler des images montrant l'arrivée des Alliés (les troupes françaises et britanniques) et donc la fin de l'hégémonie ottomane.

Toujours est-il que le besoin de restituer une mémoire collective des guerres et des souffrances reste une composante essentielle de l'histoire de tout peuple et un devoir qui incombe surtout aux historiens. Conscient de ce paramètre, M. Taoutel va bientôt voyager pour répondre à l'invitation de la diaspora libanaise au Mexique, très intéressée par cette période occultée de leur mémoire en tant que descendants des premiers émigrés. « Une abstraction et un oubli qui a été imposé à des fins politiques pour faciliter la cohésion des habitants chrétiens et non chrétiens de ce Grand-Liban nouveau-né en 1920, quelques années après les faits tragiques », conclut le père Wittouck.

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Une lettre anonyme issue de la résidence des pères jésuites à Bickfaya
« Dans la maison des sœurs, dont on a pris tout le rez-de-chaussée et tout l'étage d'en haut, on a placé deux rangées de lits pour les malades qui ont quelque espoir de guérir. En bas, se trouvaient tous les petits prêts à mourir, les atteints de typhoïde, les affamés et tuméfiés. Soixante-dix en bas et autant en haut. Au parloir, on a plaqué un cercueil pouvant contenir deux corps d'enfant : le premier y est déposé et couvert, en attendant son compagnon qui ne tarde pas à venir. Alors le prêtre vient avec deux jeunes et on porte le cercueil dans notre jardin, et les deux enfants sont jetés dans la même fosse. Cette opération se fait chaque jour, souvent deux ou trois fois. Il y avait des jours où il y avait huit ou dix morts. On veut nous faire périr doucement sans bruit ni sang, mais on veut avant notre exécution soutirer et sucer ce qui nous reste. »

 

Une lettre anonyme d'un père jésuite datant de 1915
« Il semble que le blocus du Liban ait commencé, on ne peut plus y tenir, on y meurt littéralement de faim. À Achkout, en deux mois on a vu mourir 97 habitants sur 450. Beaucoup d'autres villages ont perdu le quart, le tiers et même la moitié de leurs habitants. Les vivres n'entrent plus au Liban, ils sont rares et très chers. La situation est triste. Les sauterelles ont provoqué des dégâts inouïs dans toute la région. La misère est immense chez les pauvres et l'on voit avec terreur l'approche de l'hiver. Il n'est pas rare d'entendre parler de personnes mortes de faim. Le bon Dieu nous a encore favorisés plus que d'autres, nous faisons ce que nous pouvons pour aider. Beaucoup de prêtres sont dans la misère, ne recevant plus d'honoraires de messe. La situation se prolonge et se complique. »

 

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commentaires (4)

c’était un genocide. programmé, orchestré et exécuté par la Turquie (ou l'empire Ottoman)...c'est pareil. les Turques n'ont jamais admis leur responsabilité dans les genocides arménien, libanais ou autres. Nous ont a laissé nos morts sous le linceul de l'histoire. contrairement aux arméniens.

Lebinlon

17 h 21, le 22 novembre 2016

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Commentaires (4)

  • c’était un genocide. programmé, orchestré et exécuté par la Turquie (ou l'empire Ottoman)...c'est pareil. les Turques n'ont jamais admis leur responsabilité dans les genocides arménien, libanais ou autres. Nous ont a laissé nos morts sous le linceul de l'histoire. contrairement aux arméniens.

    Lebinlon

    17 h 21, le 22 novembre 2016

  • Je souhaiterais relater un tout petit détail de cette période qui me fut raconté par mon père, né en 1894 : En 1915, il se levait très tôt le matin dans notre village de Sarba (Kesrouan), il prenait une brouette afin de ramasser les morts de la veille sur les routes du village et ce, avec l'aide d'un ami pour les enterrer dans les cimetières près de l'église. La moitié de sa famille a émigré à Porto Rico. Le couvent du Saint-Sauveur des grecs-catholiques, donnait à certains de ses voisins, du blé qui lui parvenait secrètement de Ras-Baalbek.

    Un Libanais

    15 h 06, le 22 novembre 2016

  • Très émouvant et vraiment instructif. Les époques passent et ne se ressemblent pas malgré que l'histoire bégaie parfois. Mais les cireur de pompes ont décidé un beau jour de ne plus accepter de prendre des vessies pour des lanternes , sauf si ces cireurs de pompe décident de les décorer eux mêmes. At a certain point money is nothing in front of dignity. Parce qu'on revient de loin et qu'on a pas où aller.

    FRIK-A-FRAK

    11 h 46, le 22 novembre 2016

  • Enfin un article qui eclaire ce pan sombre du Liban. Enfin nos compatriotes Chiites pourraient apprendre un peut plus sur ce que les Chretiens du Liban ont (sur)vecu sous le joug des Ottomans et qu'ils arretent de se plaindre d'avoir ete des cireurs de chaussures plutot qu'a des postes importants. En tout cas, il aurait mieux ete cireur de chaussure plutot qu'extermine. Si les Chretiens du Liban ont gardé la tete baissee, ce n'est pas pour regarder de belles chaussures qu'ils portaient. C'est pour travailler dur pour leur pays. Maintenant il y a de gros bras, finance par l'etranger, qui font de la politique cynique, degueulasse. Ils font tout pour que l'etat, le gouvernement et les institutions ne marchent pas. et utilisent ces memes lacunes pour justifier un changement de regime et de facon de travailler. Ce pays est a tous et certainement pas a l'etablissement d'un califat (Sunnite) ni d'une revolution iranienne (Chiite). Parceque les 2 programmes sont les memes, c'est juste une question de qui sera calife a la place du calife. Et on connait tous la reponse, iz no good.

    George Khoury

    10 h 58, le 22 novembre 2016

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