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À La Une - L'Orient Littéraire

Youssef Mouawad et le Liban désorienté

D.R.

J’ai l’honneur et surtout le plaisir de connaître Youssef Mouawad depuis une vingtaine d’années. J’avais d’ailleurs lu quelques-uns de ses premiers écrits auparavant. Selon la belle expression de Philippe Ariès, c’est un « historien du dimanche », c’est-à-dire à ses heures perdues. Il sait combien j’apprécie ses articles un peu acides et décapant sur l’histoire du Liban et des maronites. Dans ce recueil de chroniques publiées dans L’Orient-Le Jour et dans L’Orient littéraire ces dernières années, on trouve d’ailleurs un certain nombre d’échos de ses travaux historiques. Ces chroniques sont courtes, suivant le format imposé par le journal. Elles peuvent passer inaperçues pour le lecteur pressé et c’est donc une excellente idée de les avoir réunis en un volume agréable à lire.
 
Youssef Mouawad est d’abord un juriste et dans un certain nombre de ces textes, il nous rappelle les principes de l’État de droit. On appréciera en particulier la toute première chronique consacrée à la distinction entre crime de droit commun, crime politique et crime terroriste. Mais il demande aussi la libération de Georges Ibrahim Abdallah parce que trente ans de détention suffisent, indépendamment de la qualification des crimes qu’il a commis.
 
C’est aussi le juriste et le citoyen doublé de l’historien qui s’inquiète du devenir du Liban tout en reconnaissant qu’il parle de son « ghetto francophone ». En 2010, il peut dire : « Nous vivons dans une principauté d’opérette et cette forme toujours inachevée de la République est probablement la forme la plus accomplie à laquelle les corps constitués peuvent prétendre sans risque de s’essouffler. » Il suit avec un grand intérêt doublé d’une certaine inquiétude le déroulement du Printemps arabe.
 
À travers les pages, on trouve cette interrogation persistante sur l’identité libanaise : « Il n’en reste pas moins que nous, Libanais, répudiant la soi-disant authenticité, avons singé le monde occidental jusqu’au ridicule. Et de fait, si notre style de comportement a pu en agacer certains, c’est que les modèles à intérioriser, nous ne les cherchons pas dans notre histoire commune et immémoriale, mais plutôt ailleurs, et au-delà de la mer ! » (4 juillet 2013)
Il en est de même de l’État libanais : « De mémoire de Libanais, nous n’avons vécu que le moindre État (the lesser state). À chaque nouvelle échéance, il va être remis en cause et parfois sur des points de détail. C’est un vieux rafiot qui prend eau de toute part et qui lance des SOS. Surtout ne pas le saborder ou l’abandonner dans un moment de défaillance ! Car mieux vaut cet État sans cesse remis sur la table des négociations que la dissension armée ou que l’État de discorde sanglante. Et plutôt la République des pieds nickelés que la dictature de Caboche comme en Syrie ! » (1er avril 2014)
 
En un sens, le Liban serait un moindre mal dans un Orient en faillite : « Il n’en reste pas moins qu’en ce moment précis de l’histoire, l’Orient arabe n’est toujours pas la patrie des droits de l’homme, et encore moins des droits de la femme. Notre Orient, assiégé géographiquement par les déserts, est une faillite frauduleuse où seul l’arbitraire des putschistes, ces liquidateurs des libertés, prévaut. N’incriminons pas notre culture, si cela nous arrange ou nous console, mais les faits sont là et ils sont têtus ! » (3 juin 2014)
 
On trouve aussi dans ce riche recueil des notations touchant la littérature et la vie de tous les jours. 
 
On pourrait prendre Youssef Mouawad pour un imprécateur, il est en fait un moraliste et c’est lui qui tire la vraie morale de l’expérience libanaise : « On dit que vous vous êtes drôlement européanisés, mais en réalité vous avez libanisé des influences venues d’ailleurs. Sans vous en rendre compte peut-être, vous avez brisé les chaînes de la ségrégation et du cloisonnement. Vous avez opté pour le risque et la symbiose des cultures. Les schizophrènes seraient plutôt de l’autre bord, ceux dont le regard est mutilé, les passéistes, ceux qui vivent les changements dans la rancœur, car les clés de la liberté sont dans l’ouverture à l’autre, dans la réduction des contraintes et dans le fait de remettre le sacré en cause. Toujours et sans cesse. » (13 juin 2014)
 
Lire Youssef Mouawad, c’est se libaniser dans le meilleur sens du terme.
 
 
BIBLIOGRAPHIE 
 
Sextant égaré de Youssef Mouawad, L’Orient des Livres, 2016, 240 p.
 
 
 
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J’ai l’honneur et surtout le plaisir de connaître Youssef Mouawad depuis une vingtaine d’années. J’avais d’ailleurs lu quelques-uns de ses premiers écrits auparavant. Selon la belle expression de Philippe Ariès, c’est un « historien du dimanche », c’est-à-dire à ses heures perdues. Il sait combien j’apprécie ses articles un peu acides et décapant sur l’histoire du...

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