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À La Une - Religion

Dans le nord du Nigeria, Riyad et Téhéran se livrent une guerre à distance

Le mouvement Izala, soutenu par l'Arabie saoudite et le Mouvement Islamique du Nigeria (IMN), pro-iranien, sont à couteaux tirés.

Des membres du Mouvement islamique du Nigéria (IMN), pro-iranien, prie près d'une fosse commune, le 26 avril 2016. AFP / AMINU ABUBAKAR

Déjà ravagé par l'insurrection du groupe islamiste sunnite Boko Haram, le nord musulman du Nigeria glisse vers une autre guerre, par procuration celle-là entre l'Iran et l'Arabie saoudite, après de violents affrontements entre groupes rivaux appartenant aux deux principales branches de l'islam.

Le 12 octobre, des membres du mouvement Izala ("Ceux qui prônent un retour à l'enseignement du prophète" Mahomet), soutenu par l'Arabie saoudite majoritairement sunnite, ont attaqué des membres du Mouvement Islamique du Nigeria (IMN), mouvement extrémiste chiite pro-iranien.

En ce jour de la commémoration de l'Achoura, la plus importante du calendrier chiite, la vague de violences s'est propagée dans plusieurs Etats du nord, majoritairement musulman sunnite. Dans plusieurs villes où les autorités avaient interdit aux chiites d'organiser leur procession religieuse, la foule s'en est pris à ces pèlerins.
Selon l'IMN, dix de ses membres ont été tués et 50 blessés par les forces de sécurité dans l'Etat de Katsina (nord). A Kaduna, où l'IMN est interdit depuis octobre, deux membres de ce mouvement ont été tués. Selon des témoins, des groupes ont pillé et incendié des maisons pendant deux jours, scandant: "on ne veut plus des chiites".

L'hostilité envers les chiites est récemment montée d'un cran dans le nord, notamment à Kaduna, convertie au salafisme, les imams n'hésitant plus à faire des prêches haineux contre cette minorité, selon des habitants. L'IMN ne reconnaît pas l'autorité d'Abuja et est partisan de l'instauration d'un régime à l'iranienne, notamment dans l'Etat de Kaduna.

Amnesty International a accusé l'armée d'avoir massacré plus de 350 musulmans chiites entre le 12 et le 14 décembre 2015 à Zaria (Etat de Kaduna) et d'avoir enterré les cadavres dans une fosse commune.
Le gouvernement de Kaduna a diligenté une enquête indépendante, concluant en août que 347 chiites avaient été abattus. Mais personne dans l'armée n'a à ce jour été jugé ou condamné pour ce massacre.

Le chef de l'IMN, Ibrahim Zakzaky, a été arrêté en décembre, mais jamais poursuivi en justice. Personne ne sait où il est détenu. Une centaine de membres de l'IMN sont toujours incarcérés dans la prison de Kaduna, dans l'attente de leur procès.

Ces affrontements et la récente escalade dans les tensions indiquent que la guerre par procuration entre l'Arabie saoudite et l'Iran - bien connue dans des pays comme le Liban, la Syrie, le Yémen, le Pakistan - est désormais en train de se jouer au Nigeria, selon des experts.
"C'est un fait que l'Arabie saoudite a financé les campagnes anti-chiites dans de nombreuses régions du monde", déclare à l'AFP le politologue Abubakar Sadiq Mohammed. "Si les attaques contre les chiites s'intensifient, il est évident que l'Iran leur viendra en aide et que l'Arabie saoudite soutiendra les attaques contre les chiites".

 

(Pour mémoire : Nigeria: le chef incarcéré d'un groupe chiite est en mauvaise santé)

 

"Graines de la discorde"
Le dirigeant d'Izala, Abdullahi Bala Lau, a été accusé d'avoir catalysé les colères en déclarant que la Constitution nigériane ne reconnaissait que l'islam sunnite. Son groupe entretient des relations étroites avec Riyad et le gouvernement du Nigeria, et sa chaîne de télévision satellitaire, Manara, a opté pour une rhétorique violemment anti-chiite.

Les dirigeants d'Arabie saoudite et d'Iran ont contacté le président nigérian Muhammadu Buhari après les attaques de Zaria. Le président iranien Hassan Rohani a appelé à la retenue et accusé un "groupe" de "semer les graines de la discorde entre musulmans dans des pays islamiques", dans une allusion claire à l'Arabie saoudite. Des médias nigérians ont rapporté que le roi saoudien Salmane a soutenu l'opération menée par Abuja contre des membres de l'IMN, la décrivant comme "un combat contre le terrorisme".
"Les réponses de l'Iran et de l'Arabie saoudite aux affrontements de Zaria illustrent des courants sectaires", selon le politologue Abubakar Sadiq Mohammed.

En mars, des religieux saoudiens ont participé à une conférence d'Izala consacrée "aux idéologies islamiques déviantes" au Nigeria, et depuis ils multiplient leurs prêches dans le pays.

 

(Pour mémoire : « Ne créez pas un nouveau Boko Haram ! »)

 

Ressentiment mutuel
L'IMN est apparu comme un mouvement étudiant en 1978, avant de muer en un groupe révolutionnaire inspiré par la révolution islamique en Iran en 1979. Le groupe s'est ensuite rallié à l'islam chiite en 1996 à cause de la coopération étroite de Ibrahim Zakzaky avec l'Iran, aggravant le ressentiment mutuel avec les wahabites conservateurs, y compris Izala, qui a été fondé en 1978 par un religieux saoudien.

"Ils ont déplacé leur attention sur les chiites qui commençaient à être mieux organisés et mettaient au défi l'influence salafiste car de plus en plus de gens se convertissaient dans des territoires sous contrôle salafiste", selon un expert de l'histoire de l'islam, Dahiru Hamza.

Izala a reçu des fonds d'Arabie saoudite et compte des membres fortunés, ce qui a permis la construction de mosquées et d'écoles. Les prêches d'Izala contre l'IMN et l'islam chiite se sont multipliés depuis décembre dernier. Izala a ouvertement soutenu la répression militaire à Zaria, appelant même à des actions plus musclées.

Au moins cinq Etats du nord du pays ont suivi l'exemple de Kaduna et interdit à l'IMN d'organiser des processions. "Les gens ont perçu l'interdiction visant l'IMN comme une interdiction visant le chiisme car l'IMN est le groupe chiite le plus représentatif à cause de ses activités publiques comme les processions de rue", souligne l'éditeur du journal chiite Ahlulbayt, Muhammad Ibrahim. "Cela nous inquiète, dit-il, car nous voyons comment les sympathisants d'Izala propagent l'information selon laquelle le gouvernement veut interdire le chiisme, et les gens commencent à le croire".

 

 

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