Des milliers de Libanais sur la place des Martyrs. Photo Sako Békarian
Hier, la place Sassine, à Achrafieh, et la place des Martyrs, au centre-ville de Beyrouth, pouvaient tout aussi bien chacune s'appeler place des réjouissances. C'est qu'après trente mois d'attente, des milliers de Libanais y ont accouru pour faire éclater leur joie immense de voir enfin le vide présidentiel se combler en la personne du général Michel Aoun. Toutes les dispositions de sécurité avaient été prises pour éviter tout dérapage et laisser les fêtards donner libre cours à leur enthousiasme sous l'œil vigilant des éléments des FSI. Convertis en zones piétonnes depuis les premières heures du matin, les sites étaient quadrillés par des barrages où il fallait montrer patte blanche.
Partout, de l'orange. T-shirts, foulards, bandeaux et même perruques ont tous pris un ton agrume. Au-dessus des têtes également, la couleur domine, des milliers de drapeaux du Courant patriotique libre se laissant balancer dans des valses vertigineuses. Les chants sont eux aussi en majorité orangés. Les amplificateurs en diffusent à tue-tête, entraînant hommes, femmes et enfants dans des pas de danse frénétiques. D'un signe de main, certains incluent dans leur chorégraphie le sigle du Courant patriotique libre, tandis que d'autres swinguent dans leurs bras le portrait du président élu. Pour ne pas faire rater le spectacle à leurs enfants, des papas les hissent sur leurs épaules robustes.
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Gloria Sakr, 60 ans, de Aïn Ebel, est euphorique. Elle a rêvé de ce jour depuis plus d'un quart de siècle. « En 1990, lors de mon séjour en France qui s'est étendu sur de nombreuses années, j'ai vu à la télévision le général Michel Aoun tenir un chapelet alors qu'il était encerclé par l'armée syrienne. Depuis, je n'ai cessé de prier pour lui, et voilà qu'aujourd'hui mes prières sont exaucées », sourit-elle avec une grande émotion.
Ses propos sont aussitôt recouverts par le crépitement des feux d'artifice, avant que ne fusent de chauds applaudissements. C'est Nicolas Sehnaoui, ancien ministre, qui arrive. Difficile de se frayer un chemin pour arriver à lui, mais finalement L'Orient-Le Jour parvient à lui demander ce qu'on devrait espérer de l'élection de Michel Aoun. « Que toutes les autres parties tiennent parole et se conforment à leur volonté d'œuvrer rapidement à la formation d'un nouveau gouvernement pour sortir le Liban du marasme », répond-il d'emblée.
Arrivé plus tard à la place Sassine, Michel Pharaon, député d'Achrafieh, affirmera, de son côté, que l'événement célébré est « une victoire pour le Liban et pour la légalité ».
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Bassil remercie les FL et le Futur
Vers 21h15, c'était au tour du chef du Courant patriotique libre, Gebran Bassil, de haranguer la foule du centre-ville en remerciant toutes les composantes qui ont contribué à la réalisation de l'échéance, notamment les Forces libanaises et le courant du Futur, qu'il a décrits comme « les deux piliers sur lesquels la République a pu se relever ». M. Bassil en a profité pour inviter le public à se rendre au palais de Baabda ce dimanche afin d'« enclencher un mouvement populaire qui exhortera le président de la République à compléter les rêves des citoyens en leur assurant les conditions d'une vie digne ». Et de clôturer son allocution en promettant que le nouveau mandat sera « l'ennemi de la corruption » et « le gardien du pacte national ».
(Biographie : De l'armée à la présidence de la République, le parcours de Michel Aoun en images)
L'intervention du ministre des Affaires étrangères est alors suivie par des prestations de chanteurs nationaux, dont Zein el-Omr et Mouïn Chreif qui venaient de rentrer de la place Sassine. Ce qui n'empêche pas toutefois la formation de groupes qui scandent çà et là des slogans à tendance aouniste, tels que : « Allah, le Liban, Aoun, w bass (seulement) ! » mais aussi des slogans qui rendent également hommage au leader des Forces libanaises, Samir Geagea : « Allah, Aoun, Hakim, w bass ! »
Michel Youssef, 20 ans, militant FL, venu du quartier syriaque d'Achrafieh, jubile d'être là. Il se dit « fier de l'alliance entre le président Michel Aoun et le chef des Forces libanaises, Samir Geagea », et souhaite que celle-ci « s'étende à une entente avec les autres parties chrétiennes et englobe enfin toutes les composantes nationales ».
Non loin de lui, Wadih Aoun, 23 ans, aouniste, a un discours plus partisan. « Michel Aoun est le seul dirigeant sincère, il l'a prouvé lorsqu'il était à la tête de l'armée », affirme-t-il, avant de noter avec joie : « À présent, il est devenu le président qu'ont attendu nos grands-parents durant vingt ans. »
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De son côté, Ghassan Nasr, 48 ans, évoque « la bonne personne à la bonne place ». Il se dit sûr que le nouveau locataire de Baabda « fera appliquer la loi et apportera des changements en vue de sortir le pays de son statut de failed state pour encourager les jeunes générations à y rester ».
Il se fait tard, mais Nermine Rizkallah, venue avec son époux et ses deux garçons de 5 et 3 ans, renchérit : « Je voudrais tellement que mes enfants profitent d'une vie décente, et je sens que notre nouveau président saura se préoccuper de leurs besoins vitaux », dit-elle avant de se dépêcher d'aller les coucher, le cœur empli d'espoir.
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