Si Saad Hariri a dit vouloir mettre fin à la vacance présidentielle en faisant le « sacrifice » de soutenir la candidature du chef du bloc du Changement et de la Réforme, Michel Aoun, il fait aujourd'hui face à une large opposition au sein de son propre camp, et même dans les rangs de son groupe parlementaire.
Face à ce tableau, il est tout à fait normal de voir les regards braqués sur le ministre démissionnaire de la justice, Achraf Rifi, qui commentera aujourd'hui à Tripoli, devant des délégations venant de plusieurs régions du Liban, le soutien haririen à la candidature Aoun. D'autant plus que M. Rifi n'a pas tardé à s'affirmer comme l'homme fort de Tripoli (un large fief sunnite) lors des dernières élections municipales. Depuis, il est monté au créneau à plusieurs reprises pour stigmatiser les choix politiques du courant du Futur, estimant qu'il porte atteinte au sang des martyrs de 2005. Il entendrait, en outre, fédérer les députés qui refusent de voter pour Michel Aoun.
Bataille contre le parti chiite
Des sources proches du ministre de la Justice ont indiqué hier à L'Orient-Le Jour que M. Rifi mettra en garde, dans son allocution prévue aujourd'hui, contre les retombées négatives de l'arrivée du chef du bloc du Changement et de la Réforme à Baabda. Selon les sources précitées, Achraf Rifi estime qu'une élection de Michel Aoun à la tête de l'État n'est autre qu'un prolongement de la mainmise iranienne sur le pays, exercée depuis des années par le Hezbollah qui ne fait qu'exécuter l'agenda de la République islamique au Liban, comme dans la région, par son implication dans « les guerres des autres » qui se propagent au Moyen-Orient.
Le ministre démissionnaire va même plus loin : il estime qu'il n'y a pas de différence entre M. Aoun et le Hezbollah. Dans les mêmes milieux, on rappelle toutefois que la position hostile d'Achraf Rifi à M. Aoun n'est aucunement liée à la personne de ce dernier, mais qu'elle porte principalement sur le projet qu'il prépare pour le pays. Ainsi, la bataille actuelle du ministre est celle qui l'oppose au parti chiite, non à son allié chrétien.
Si plusieurs observateurs politiques estiment que les choix de Saad Hariri, notamment sur la question de la présidentielle, pourraient mener à l'effondrement de ce qu'ils appellent « la coalition souverainiste du 14 Mars née de la volonté d'un peuple libre », M. Rifi semble plus prudent et déterminé à ne pas alimenter la polémique l'opposant actuellement au chef du courant du Futur. Ses milieux proches préfèrent ainsi faire état d'un « déséquilibre politique » en faveur de l'un des camps du pays, en l'occurrence « celui gravitant dans l'orbite iranienne » (le 8 Mars).
Que fera Achraf Rifi face à ce tableau ? Selon des sources bien informées, le ministre démissionnaire s'emploiera à affronter le projet iranien dans le pays par les moyens politiques pacifiques et appellera tous ceux qui se veulent souverainistes à unifier leur position. Il mise beaucoup dans ce cadre sur les députés qui refusent de voter pour Michel Aoun.
(Lire aussi : La séance du 31 octobre suspendue à un compromis Hariri-Hezbollah)
Le substitut de Hariri ?
Cette détermination affichée par Achraf Rifi et qui ne peut que s'inscrire dans la continuité de son discours axé sur ce qu'il appelle « des positions de principe » a ouvert la voie à de nombreuses accusations de « fanatisme » et « d'extrémisme » contre le ministre, qui « attise les tensions confessionnelles entre les Libanais, notamment au sein de la communauté sunnite, face au discours modéré du courant du Futur ».
Mais du côté de Tripoli, fief de M. Rifi, on ne perçoit pas les choses sous cet angle. Les sources précitées soulignent en effet que le ministre démissionnaire est « attaché aux constantes du 14 Mars et continue à adopter le discours souverainiste de la révolution du Cèdre. Cela ne signifie pas qu'il adopte des propos fanatiques ». Dans quelle mesure Achraf Rifi serait-il le substitut de Saad Hariri ? Dans les milieux de M. Rifi, on fait valoir qu'il ne veut pas remplacer l'ancien Premier ministre. Son premier but est celui de concrétiser ses convictions politiques, loin du souci des postes qu'il pourrait occuper au sein de l'appareil décisionnel et étatique du pays. Preuve en est, il n'a pas manqué de démissionner du gouvernement lorsqu'il a constaté un manquement aux principes auxquels il croit et qui guident son action politique.
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Not so sure that Michel Aoun is an Iranian stooge. We will judge him on deeds and not on words. Wait and see
16 h 19, le 22 octobre 2016