En gardant les options de la présidentielle ouverte, y compris l'option Aoun, le chef du courant du Futur, Saad Hariri, a incité dans un premier temps les deux candidats du 8 Mars à relancer leur campagne respective au sein de leur propre camp. Le député Sleiman Frangié a fait acte de présence face au Hezbollah. En déléguant un membre de son bloc à la dernière séance électorale (Estephan Douaihy), le chef des Marada a laissé entrevoir la possibilité – hypothétique – qu'il lève le boycottage du scrutin, indépendamment du Hezbollah et du Courant patriotique libre, quitte à se faire élire. L'objectif de sa démarche aura été de rappeler son poids sur l'échiquier des alliances.
Pour sa part, le bloc du Changement et de la Réforme s'est attelé à une nouvelle tentative de rapprochement avec le président de la Chambre, Nabih Berry, en dépit de divergences manifestes autour du package deal, perçu par le second comme préalable nécessaire à l'élection du général Michel Aoun.
Ces efforts ont été évoqués hier par le député Sélim Salhab. Même s'il a estimé que « le package deal est une manœuvre politique visant à gagner du temps et qui ne sera plus de mise lorsque viendra l'heure d'élire un président », le député a affirmé que son bloc « tentera de lever les entraves du côté de M. Berry ». Il a confirmé la « possibilité de voir bientôt Michel Aoun à Aïn el-Tiné, étant donné qu'il est du devoir de tout candidat à la présidentielle de se réunir avec toutes les parties ».
Le nouveau souffle électoral a ainsi amené indirectement les deux candidats du 8 Mars à essayer de démonter deux prétextes au blocage, utilisés jusque-là par le Hezbollah: d'une part, la couverture chrétienne au boycottage des séances électorales (affaiblie par la démarche récente des Marada), et de l'autre l'exigence d'un package deal par le président de la Chambre (contestée par le bloc aouniste). C'est la fragilisation de ces deux verrous de blocage qui alimenterait les appels de plus en plus pressants du Hezbollah à relancer le dialogue national, comme en ont attesté encore hier les déclarations de responsables du parti.
Sachant que « tout est désormais fin prêt pour élire Michel Aoun, qui n'attend plus que le feu vert du Hezbollah » (selon des milieux de la Maison du Centre), l'appel du parti chiite à revenir au dialogue serait sujet à deux interprétations: soit le timing du déblocage ne lui convient toujours pas, auquel cas il entendrait prolonger encore le vide, soit il serait réellement disposé à débattre d'un consensus pour le déblocage, dont le rouage serait une candidature extérieure aux candidatures actuelles.
(Lire aussi : L'exigence du package deal de Berry freine la dynamique haririenne de déblocage)
Le paramètre Raï
C'est un paramètre nouveau qui s'est greffé sur cette équation en fin de semaine: le refus catégorique exprimé par le patriarche maronite contre l'idée d'assortir la présidentielle d'un package deal. Un refus qui lui a valu une rétorque immédiate de la part du président de la Chambre. Mais la polémique entre Aïn el-Tiné et Bkerké serait toutefois « ponctuelle et en passe d'être dépassée », apprend-on de source informée. Celle-ci appelle à ne pas perdre de vue l'essentiel, à savoir la teneur de la position du patriarche et son aptitude à contribuer au déblocage –même si cette aptitude reste à vérifier. Une source informée de la démarche de Bkerké confie à L'OLJ que celle-ci n'a été concertée au préalable avec aucune partie, et qu'elle n'est pas liée directement aux efforts actuels de déblocage de la présidentielle.
Dans son homélie du dimanche à Bkerké, inaugurant son retour à la résidence d'hiver, le patriarche a évoqué trois idées-clés: il n'existe aucun fondement constitutionnel à l'exigence d'un package deal ; astreindre un président de la République à des conditions convenues préalablement à son élection rendrait ce package deal carrément inconstitutionnel ; il ne saurait donc en être fait usage pour justifier un report supplémentaire du scrutin, même si l'on présume de la bonne foi de ceux qui plaident pour une solution d'ensemble autour de la présidentielle.
« Avec tout l'appui que nous devons aux efforts en cours pour la présidentielle, dont nous souhaitons le déblocage le plus tôt, d'aucuns évoquent une entente globale comme condition préalable et comme passage obligé à l'élection d'un nouveau chef de l'État », a ainsi observé le patriarche, avant de déconstruire la logique d'une solution d'ensemble. « Ce panier est-il voué à être un substitut à la Constitution et au pacte national ? Le respect de la Constitution, dans son esprit et sa lettre, ainsi que le respect du pacte national sont suffisants pour éviter un recours à quelque package deal pour débloquer le scrutin. Si toutefois ce panier s'avérait incontournable, il ne devrait comporter qu'une seule clause: l'engagement de tous les blocs politiques et parlementaires à respecter l'intérêt national commun supérieur.
D'autres points ou sujets que d'aucuns voudraient inutilement insérer dans "le panier" ne pourront être évoqués, ni résolus ni régulés, qu'en présence d'un chef de l'État. » Et d'ajouter: « Comment un candidat à la présidentielle, ayant une dignité et un sens des responsabilités, peut-il accepter de se dépouiller de ses responsabilités constitutionnelles ? Comment peut-il accepter de se faire élire sur la base d'un panier de conditions inconstitutionnelles qui lui seront imposées de manière qu'il gère le pays comme une machine muette ? » « Tout cela si l'on exclut l'hypothèse que le package deal vise seulement à prolonger le surplace en attendant quelque révélation ou mot d'ordre de l'étranger ! » a-t-il conclu, évoquant, sans toutefois l'endosser, l'accusation de blocage dirigée contre le tandem Hezbollah-Amal.
La veille, clôturant son séjour estival à Dimane, le patriarche avait présidé une réunion élargie du conseil socio-économique où il avait mis en garde contre le risque d' « une catastrophe » si un président n'est pas élu.
(Lire aussi : Hamadé à « L'OLJ » : J'en appelle à tous les Libanais pour empêcher l'irréparable de se produire)
La riposte de Berry
C'est hier que le président de la Chambre a répondu succinctement au patriarche dans un communiqué. « Entre le package de personnes que vous avez proposé et le package d'idées que j'ai présenté lors du dialogue national, l'histoire jugera lequel des deux est constitutionnel et bénéfique », a-t-il dit, en allusion à la liste des quatre candidats de Bkerké ayant restreint la présidentielle aux quatre principaux leaders chrétiens du pays.
Ce sont pourtant des figures indépendantes ou centristes qui se sont solidarisées avec le patriarche hier.
Parmi les visiteurs de Bkerké, une délégation du Rassemblement démocratique et du Parti socialiste progressiste formée des députés Henri Hélou et Elie Aoun, le vice-président du PSP, Kamal Mouawad, son secrétaire général Zafer Nasser et son porte-parole Rami Rayess. « Ce qui nous importe est de briser l'immobilisme et aboutir à des solutions, et c'est ce que tente sérieusement le président Saad Hariri », a affirmé M. Hélou, mettant l'accent sur le caractère « interlibanais » des efforts de déblocage en cours. L'insistance sur « la libanisation » de l'échéance réémerge en outre dans le discours du courant du Futur (le député Ahmad Fatfat l'a réexprimé hier).
Ce qui aurait motivé en effet l'ouverture de Saad Hariri à toutes les options, y compris celle d'élire Aoun, serait l'absentéisme avéré des acteurs régionaux et internationaux envers le Liban, excepté Téhéran, seule partie dont la décision serait toujours activement présente. Sans efforts internes concertés pour le déblocage, il serait impossible de faire contrepoids à la stratégie du vide mise en œuvre par l'Iran. La visite à Moscou aujourd'hui du leader du courant du Futur viserait à forcer une certain assouplissement de la position iranienne.
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Retour à la Constitution
En attendant, la position du patriarche aura contribué à rappeler les principes de base du système libanais, censés guider une dynamique interne de déblocage qui pourrait ultérieurement prendre la forme d'une renonciation par Bkerké à la liste des quatre pôles maronites candidats, laquelle n'a aucun fondement constitutionnel.
C'est sur le retour à la Constitution qu'a insisté le ministre Boutros Harb, ayant effectué hier deux visites successives à Bkerké et Aïn el-Tiné. À l'issue de sa rencontre avec le patriarche – qui aurait été fixée antérieurement à la polémique en question –, M. Harb a fait remarquer que Bkerké défend une position qui est celle de plusieurs protagonistes nationaux. « Les prérogatives et obligations du président ont été fixées par la Constitution, et il n'est pas concevable qu'elles soient liées préalablement à son élection. Il n'est pas permis qu'un candidat à la présidentielle cède ses prérogatives pour se faire élire », a déclaré M. Harb. Une position qu'il réaffirmera au sortir de Aïn el-Tiné, en dénonçant « un retour au langage de 2008, où nous avons été contraints d'aller vers Doha pour sauver le pays ». Si aujourd'hui l'enjeu est aussi de « sauver le pays », la Constitution en fournit les outils nécessaires.
(Pour mémoire : Les conditions de Berry et du Hezbollah : pas d’élection sans package-deal)
Pour l'instant toutefois, alors que Mgr Samir Mazloum a alimenté, dans une déclaration, l'éventualité d'un communiqué « important » des évêques maronites à l'issue de leur réunion demain, celle-ci pourrait se limiter à un énoncé de principes constitutionnels à l'usage des parties politiques, apprend-on de source informée.
Force est de relever enfin que la position de Bkerké est saluée par les milieux du bloc du Changement et de la Réforme comme « une position de principe susceptible d'entretenir la dynamique de déblocage, une dynamique que l'on peut qualifier pour la première fois de concrète ». Celle-ci pourrait toutefois finir par se retourner contre la candidature de Michel Aoun. L'un des motifs du package deal pour Nabih Berry serait en effet sa crainte, et celle du Hezbollah, de « l'imprévisibilité » du leader chrétien, selon une source du 14 Mars hostile à l'option Aoun. C'est-à-dire que le package deal serait devenu peut-être non plus un moyen de bloquer le scrutin, mais de contrecarrer l'élection de Michel Aoun.
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LE DIALOGUE NATIONALE C'EST QUOI ? C'EST UN DIALOGUE ENTRE BERRY ET HASSAN NASRALLAH POUR PARTAGER LES ORDRES VENUS D'IRAN. C'EST ÇA LE DIALOGUE NATIONALE. ET TOUS LES AUTRE ONT LE DROIT DE REGARDER EN SILENCE BOUCHE COUSUE ET À GENOUX.
14 h 00, le 04 octobre 2016