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Moyen Orient et Monde - Décryptage

Les enjeux de la trêve syrienne en 10 questions

Une semaine après sa conclusion, l'accord russo-américain demeure extrêmement fragile. Chacun des acteurs du conflit syrien, eux-mêmes divisés en différents sous-groupes, peut faire capoter le deal.

Une vue générale d’Alep-Ouest, contrôlée par les forces du régime. Youssef Karwashan/AFP /

Pour l'instant, ça tient vaille que vaille. Malgré le pessimisme affiché des experts, les critiques de l'opposition, les violations mineures et majeures de la trêve, le blocage de l'aide humanitaire, le deal américano-russe est encore d'actualité, une semaine après sa conclusion. Cet accord, dont le contenu n'a pas été rendu public, est présenté par les deux parrains comme la « dernière chance » de trouver une solution en Syrie. De son maintien dépend donc non seulement la crédibilité des deux grandes puissances à pouvoir arbitrer le conflit mais aussi l'espoir de la communauté internationale de relancer le processus diplomatique, complètement à l'arrêt, après cinq ans de guerre. À son crédit, l'accord a réussi son premier pari puisque, selon l'envoyé spécial de l'Onu en Syrie, Staffan de Mistura, « la situation s'est radicalement améliorée », avec une baisse significative de la violence. Les villes assiégées, notamment Alep-Est, occupée par les rebelles, n'ont toutefois toujours pas reçu d'aide humanitaire et ce volet bloque, pour l'instant, la mise en œuvre des autres points de l'accord, notamment la coordination miliaire entre Américains et Russes pour frapper les positions de l'État islamique (EI) et de Fateh el-Cham (ex-Front al-Nosra).

Une semaine après sa conclusion, l'accord demeure donc extrêmement fragile. Chacun des acteurs du conflit syrien, eux-mêmes divisés en différents sous-groupes, peut faire capoter le deal, à savoir : le régime syrien, les groupes rebelles, les milices prorégime, les Iraniens et leurs milices, les Saoudiens, les Turcs, les Kurdes du PYD (parti de l'Union démocratique). Retour en dix questions sur les grands enjeux de la pax america-russia.

 

(Lire aussi : Malgré la trêve, Alep craint toujours le pire)

 

• Que vont faire les rebelles dans les régions d'Alep et d'Idleb ?
C'est probablement la question la plus importante, tant la décision des rebelles peut être décisive pour la réussite de l'accord russo-américain. Aucun groupe rebelle ne s'est opposé à l'accord, mais celui-ci est accueilli avec beaucoup de scepticisme par les formations les plus importantes, comme Ahrar el-Cham.
Washington et Moscou ont appelé les rebelles à se distancier de Fateh el-Cham qui, malgré sa rupture avec el-Qaëda, est toujours considéré comme un groupe terroriste par les deux grandes puissances. Au sud du pays et dans la banlieue de Damas, cela ne devrait pas poser de problèmes tant les lignes de séparation sont claires entre les groupes rebelles et l'ex-Front al-Nosra. Dans le Nord, particulièrement à Idleb et à Alep, la distanciation risque d'être nettement plus compliquée, puisque les différents groupes combattent ensemble au sein d'une même coalition, « l'Armée de la conquête ». Les combattants jihadistes de Fateh el-Cham avaient largement participé à briser le siège d'Alep en juillet dernier et des tractations concernant une fusion entre les différents groupes avaient eu lieu. C'est notamment pour contrer la montée en puissance de Fateh el-Cham au sein des mouvements rebelles que les Américains ont souhaité conclure un accord avec les Russes. L'intervention de l'armée turque dans le Nord syrien a, dans le même temps, permis d'offrir une alternative à tous ces groupes rebelles à condition qu'ils acceptent de se détacher de Fateh el-Cham.

Les formations rebelles n'ont pour l'instant pas d'autres choix que de se plier aux règles du jeu. À défaut, ils pourraient être bombardés par les Américains au même titre que l'EI ou Fateh el-Cham. Mais ils attendent des garanties des Américains et de leurs parrains régionaux qui leur prouveraient que l'accord n'est pas seulement à l'avantage du régime. Et qu'ils ne seront pas contraints d'abandonner Alep-Est, ce qui semble être une ligne rouge à l'heure actuelle.

 

(Lire aussi : L’accord Kerry-Lavrov soulève plus de questions que de réponses)

 

• Bachar el-Assad est-il prêt à coopérer ?
Les plus optimistes diront que le président syrien n'a pas vraiment le choix, puisque l'accord a été négocié par le parrain russe et approuvé par le parrain iranien. Lundi pourtant, M. Assad a une nouvelle fois déclaré qu'il souhaitait reconquérir toute la Syrie, dans la ville symbole de Daraya, reprise au mois d'août par les forces du régime. Au-delà de la provocation, cette déclaration est dans la continuité du message politique matraqué par le régime depuis cinq ans, qui consiste à refuser toute négociation avec l'opposition, qualifiée de terroriste. La trêve peut permettre aux troupes du régime de souffler et de se concentrer sur d'autres fronts, comme le combat contre l'EI dans l'Est syrien. M. Assad pourrait ainsi coopérer dans la mesure où il considère que cette trêve lui est profitable. Mais imaginer le président syrien prêt à faire des concessions politiques et entamer des négociations avec l'opposition reste pour l'instant de l'ordre du « wishful thinking ».

 

(Lire aussi : Assad déclare vouloir "reprendre" toute la Syrie)

 

• Les Russes vont-ils jouer le jeu ?
« Peut-on faire confiance aux Russes ? », s'interrogent les Américains, très divisés sur la conclusion de l'accord. Celui-ci prévoit que Moscou s'engage à faire pression sur M. Assad pour stopper les bombardements contre les forces rebelles et permettre l'acheminement des aides humanitaires. Mais une semaine après la conclusion du marché, les camions remplis de nourriture et de médicaments pour les habitants d'Alep-Est sont toujours bloqués dans une zone tampon entre les frontières turque et syrienne, faute de garanties de sécurité. Pour accéder aux populations dans la zone rebelle d'Alep, l'accord prévoit la démilitarisation de la route du Castello au nord de la ville. L'OSDH a affirmé que les troupes du régime y étaient toujours déployées bien que la Russie ait soutenu qu'elles avaient commencé à s'en retirer.
Compte tenu de l'engagement de Moscou auprès du régime depuis septembre dernier, les rebelles ne le considèrent pas comme un arbitre impartial du conflit. Sa double casquette ne rassure personne et les milieux diplomatiques occidentaux ne sont pour l'instant pas convaincus de sa sincérité à vouloir trouver une issue diplomatique au conflit syrien. Pour que le deal ne vole pas en éclats, Moscou devra exercer une réelle pression sur M. Assad, comme il ne l'a jamais fait depuis son intervention en septembre dernier. Mais le veut-il vraiment ? Et en est-il capable, sachant que le président syrien sait très bien jouer des divergences entre ses différents parrains ?

• Les Américains ont-ils un autre plan ?
Pendant des mois, le secrétaire d'État américain John Kerry évoquait un certain « plan B », à chaque fois qu'il était interrogé sur la réaction américaine en cas d'absence d'accord avec les Russes. Ce plan B semble aujourd'hui totalement enterré. À quelques mois de l'élection présidentielle américaine, M. Kerry, avec l'accord du président Barack Obama, a tenté un dernier pari pour laisser un héritage de son action en Syrie. « Quelle est l'alternative ? » répondait le secrétaire d'État aux critiques au lendemain de l'accord. Une façon d'assumer que les États-Unis n'iront pas plus loin dans leur soutien aux formations rebelles.
L'accord est toutefois loin de faire l'unanimité, alors que les tensions sont fortes entre Américains et Russes sur de nombreux dossiers, en particulier l'Ukraine. Le département d'État US a affirmé hier que les États-Unis ne coopéreront pas militairement avec la Russie en Syrie tant que le régime ne permettra pas aux villes assiégées de recevoir de l'aide humanitaire. Les Américains ont d'ailleurs tenu à préciser que la coopération avec les Russes contre les groupes terroristes consistait à un partage d'informations, mais pas à une coordination militaire. Pas sûr que les groupes rebelles y voient une différence. Hier, les forces spéciales américaines ont été, dans un premier temps, chassées par les groupes rebelles dans la localité d'al-Raei, récemment reprise par la Turquie des mains de l'EI. Les Américains, qui ont pu revenir dans la ville quelques heures après, ont été notamment accusés de soutenir les Kurdes syriens et de « vouloir envahir la Syrie ». Cela rend compte de la difficulté qu'auront les deux parties à collaborer pour reprendre les territoires sous l'emprise de l'EI.

• Riyad et Téhéran vont-ils calmer le jeu ?
Paradoxalement, la trêve intervient à un moment où les tensions entre les deux puissances du Golfe, qui se livrent une guerre par procuration en Syrie, sont à leur comble. Un an après la bousculade qui provoqua la mort de 464 Iraniens durant le pèlerinage à La Mecque, Téhéran et Riyad multiplient les attaques verbales s'accusant mutuellement de « ne pas être musulmans » et d'être responsables de la montée du terrorisme dans la région. Parce qu'ils ont leur propre agenda et leurs propres intérêts, l'Iran et l'Arabie saoudite pourraient être tentés de saboter l'accord et continuer de régler leurs comptes en Syrie par groupes interposés.

 

(Lire aussi : Qui est concerné ou pas par la trêve en Syrie ?)

 

• Que veut Ankara ?
La politique étrangère turque vis-à-vis du conflit syrien a clairement évolué au cours de ces derniers mois. Bachar el-Assad n'est plus l'ennemi numéro un, mais l'ennemi numéro trois, derrière le PYD et l'EI. Le premier objectif de l'intervention à Jarablos était d'empêcher les Kurdes d'unifier les trois cantons de Kobané, Afrin et Jézirah. Vont-ils pour autant s'arrêter là, alors que les combattants du PYD, qu'Ankara considère comme la branche syrienne du Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK), ont profité de leur combat contre l'EI pour gagner du terrain dans le Nord syrien ? Si les Kurdes acceptent de ne pas dépasser l'Euphrate, ligne rouge imposée par Ankara, les Turcs pourraient-ils se satisfaire de ce statu quo ? Autres interrogations : les Turcs vont-ils complètement abandonner leur soutien aux rebelles à Alep ? Vont-ils participer à la reconquête de Raqqa au côté des Américains ? Sont-ils prêts à entamer des négociations avec M. Assad ? Parce qu'elle dépend autant de considérations internes que de l'évolution des tractations diplomatiques entre Russes, Américains, Turcs et Iraniens, la réaction turque est une donnée imprévisible. Les Turcs ont, pour l'instant, soutenu l'accord parce qu'il peut leur permettre de gagner encore plus d'influence dans le Nord syrien, notamment vis-à-vis des groupes rebelles. Mais ils continuent de faire pression sur les Américains pour qu'ils abandonnent leur soutien au PYD et qu'ils collaborent avec les groupes rebelles pour reprendre les territoires conquis par l'EI.

• Et que veulent les Kurdes ?
Bombardés par l'armée turque, obligés de se retirer de Manbij, qu'ils avaient repris au terme de plusieurs mois d'offensive contre l'EI, les Kurdes du PYD ont perdu une partie des gains politiques et territoriaux qu'ils avaient gagnés à la faveur de leur lutte contre l'EI. La trêve arrive au bon moment pour eux et ils vont sans doute tenter de convaincre les Américains qu'ils sont indispensables à la reconquête de l'Est syrien. Hier, des drapeaux américains ont été hissés à Tall Abiad, zone contrôlée par le PYD, probablement pour jouer sur les dissensions entre Washington et les rebelles. Les Kurdes ne se laisseront pas supprimer de l'équation sans réagir. Mais tant qu'ils y sont, le maintien de la trêve à long terme sera plus ardu.

 

(Lire aussi : Le plan de transition de l'opposition syrienne, une manœuvre dilatoire ?)

 

• La trêve, et après ?
La première étape de l'accord consiste à réduire la violence et à venir en aide aux populations. La deuxième consiste à combattre conjointement les groupes terroristes. Mais c'est bien la troisième étape qui risque de poser le plus de difficultés, à savoir relancer le processus politique entre les Syriens. L'accord sera avant tout jugé sur sa capacité à amener tout le monde à s'asseoir autour de la même table. À l'heure actuelle, la marge de négociations entre le régime et l'opposition apparaît inexistante. Les deux parties devront faire des concessions: accepter que M. Assad participe à la phase de transition du côté de l'opposition, accepter de partager le pouvoir du côté du régime.
La trêve ne règle pas l'épineuse question de l'avenir de Bachar el-Assad. Les Russes vont probablement pousser pour que le président syrien participe au processus de transition et puisse se présenter à l'élection présidentielle à l'issue de cette période. Mais qui, des Américains, des Turcs, des Saoudiens et de l'opposition, serait prêt à accepter une pareille solution ?

• Les jeux sont-ils faits ?
Après plus de cinq ans de guerre, il est possible de dresser au moins deux constats. Un: Bachar el-Assad ne va pas perdre cette guerre. Pas tant que les Russes et les Iraniens seront là en tout cas. Deux: Bachar el-Assad ne peut pas gagner la paix. Peut-il gagner la guerre ? Lui semble penser que oui, mais l'armée syrienne est aujourd'hui tellement dépendante de ses deux parrains et des forces miliciennes qu'il est possible d'en douter.
Autrement dit, la guerre syrienne n'est pas encore terminée. C'est la faiblesse des différents groupes, et donc l'impasse devant laquelle ils se trouvent, qui a permis la conclusion de cet accord. Mais c'est cette même faiblesse qui complique toutes perspectives de sortie de crise.

• Et l'EI dans tout cela ?
L'État islamique n'est jamais aussi fort que quand tous ses adversaires se battent entre eux. En ce sens, la trêve n'est pas forcément une bonne nouvelle pour lui, mais elle pourrait lui permettre de rallier certains combattants syriens, ayant l'impression d'être les victimes d'un complot international, comme le répète la propagande de l'EI.
La reconquête de Raqqa est directement liée aux négociations actuelles. Chaque partie va essayer de monnayer sa participation contre des gains politiques: le régime, les Kurdes, les rebelles, les Turcs, les Russes. Les Américains veulent régler cela avant le début de l'année 2017. Les autres acteurs, qui ont tous d'autres priorités, le savent et cherchent à en profiter. Ce qui fait, pour l'instant, les affaires de l'EI.

 

 

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LA NOUVELLE ADMINISTRATION AMERICAINE Y DECIDERA : CONNIVENCE AVEC LE RUSSE POUR RESOUDRE LE PROBLEME ... OU ESCALADE ET GUERRE REGIONALE TOTALE...

JE SUIS PARTOUT CENSURE POUR AVOIR BLAMER GEAGEA

09 h 44, le 17 septembre 2016

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Commentaires (1)

  • LA NOUVELLE ADMINISTRATION AMERICAINE Y DECIDERA : CONNIVENCE AVEC LE RUSSE POUR RESOUDRE LE PROBLEME ... OU ESCALADE ET GUERRE REGIONALE TOTALE...

    JE SUIS PARTOUT CENSURE POUR AVOIR BLAMER GEAGEA

    09 h 44, le 17 septembre 2016

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