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Économie - Liban - Social

La baisse du salaire minimum journalier face à la justice administrative

Pour les avocats de la Fenasol, le décret du 7 juillet révisant le plancher de cette catégorie de rémunération est entaché de plusieurs failles juridiques. Saisi début septembre, le Conseil d'État doit d'abord décider s'il suspend cette décision avant de se prononcer sur son annulation.

Les auteurs du recours reprochent notamment au décret n° 3791 d’être « illégal au regard de la loi libanaise et des conventions internationales qui engagent le Liban ». Photo Hassan Hassal

Plus de deux mois après la publication au Journal officiel du décret n° 3791, la décision du Conseil des ministres de ramener le salaire minimum journalier de 30 000 livres par jour (20 dollars) à 26 000 livres (17 dollars) continue de faire des vagues.

Le texte est notamment dans le collimateur de l'Union nationale des syndicats des travailleurs (Fenasol), qui s'est associée avec le mouvement Citoyens et citoyennes dans un État – fondé par l'ancien ministre du Travail, Charbel Nahas – et l'ONG Legal Agenda, afin de contester sa légalité devant le Conseil d'État (CE). « Nous avons déposé le 2 septembre un recours en annulation de cette décision par l'intermédiaire des avocats Mireille Najm Checrallah (membre de Citoyens et citoyennes dans un État) et Nizar Saghieh (cofondateur de Legal Agenda) », a déclaré le président de la Fenasol, Castro Abdallah, lors d'une conférence organisée hier au siège de Legal Agenda, à Beyrouth.
Interrogé en juillet par L'Orient-Le Jour sur les motifs de cette révision, le ministre du Travail, Sejaan Azzi, avait justifié cette décision en affirmant que « cette modification – sans effet rétroactif – ne faisait qu'aligner le plancher des rémunérations journalières sur le salaire mensuel » et en considérant que le décret n° 3791 se contentait de « corriger » un montant fixé « suite à une initiative personnelle du ministre Charbel Nahas » qui l'avait fixé à 30 000 livres en 2012 (décret n° 7426). Contacté, M. Azzi n'était pas disponible dans l'immédiat pour commenter le recours de la Fenasol.

 

(Lire aussi : Salaire minimum : Azzi consulte les partenaires sociaux)

 

Différence de trois jours
Si, depuis l'émission de cette décision, tous les protagonistes s'accordent sur le montant du salaire mensuel, augmenté de 37 % en 2012 à 675 000 livres par M. Nahas, leurs avis divergent sur la méthode de calcul choisie pour aligner le salaire minimum journalier à ce montant. « Le gouvernement considère que le calcul doit obligatoirement se faire sur une base de 26 jours par mois en se prévalant de l'article 2 de la loi 32/67 du 16 mai 1967 – qui lui permet de fixer les salaires minimums mensuels, journaliers et horaires », rappelle M. Nahas. « Or, ce texte prévoit expressément que ce nombre peut être de 26 par mois au plus, ce qui invalide le motif principal du décret », note-t-il. Les auteurs du recours considèrent en effet que le calcul du nombre de jours travaillés par mois doit tenir compte « des jours fériés, des congés payés, des 52 dimanches de l'année et de la durée moyenne des arrêts maladie », ce qui leur permet de définir une base de 23 jours travaillés pour déterminer le salaire minimum journalier à partir du salaire mensuel. Une différence de trois jours qui justifie, selon eux, le plancher de 30 000 livres fixé en 2012 et invalide celui de 26 000 livres arrêté fin juin par le gouvernement.
De son côté, le ministère du Travail rejette cette interprétation. « Il faut être cohérent : ce montant (de 30 000 livres) est illégal et le gouvernement s'est contenté de le corriger », plaide auprès de L'Orient-Le Jour Abdallah Razzouk, ancien directeur général au ministère du Travail (de 2007 à 2014) et actuel conseiller de M. Azzi. Il fait notamment référence à des avis de plusieurs autorités administratives qui ont contesté certains points du décret de M. Nahas, sans trancher spécifiquement sur la méthode de calcul.

 

(Lire aussi : Le RDCL refuse une hausse du salaire minimum)

 

Contraire à l'esprit de la loi
Cependant, les arguments invoqués par la Fenasol pour justifier leur recours auprès du Conseil d'État ne se limitent pas à ce différend sur le mode de calcul. « Le décret n° 3791 a été adopté au détriment de la procédure qui l'encadre – fixée par la loi 36/67 – et qui suppose par exemple que la révision du salaire minimum tienne compte de l'évolution de l'inflation calculée par l'Administration centrale de la statistique (ACS) et opère cet ajustement de manière régulière tous les deux ans au plus », note Me Najm Checrallah. « Or, selon cette dernière, le coût de la vie au Liban a augmenté de 7 % en 4 ans alors que le salaire minimum n'a pas bougé en 4 ans », constate de son côté M. Nahas.
Les auteurs du recours reprochent également au texte d'être « illégal au regard de la loi libanaise et des conventions internationales qui engagent le Liban ». Ils citent par exemple « l'article 44 du code du travail libanais » qui dispose que « le salaire minimum doit être suffisant pour assurer les besoins indispensables du salarié et de sa famille eu égard à la nature du travail ». Autre texte invoqué : l'article 2 de la convention n° 131 de l'Organisation internationale du travail (ratifié par le Liban le 1er juin 1970), qui précise que « les salaires minima auront force de loi et ne pourront pas être abaissés ». Le décret n° 3791 serait enfin, pour les avocats de la Fenasol, « contraire à l'esprit de la loi 36/67 par laquelle le Parlement délègue au gouvernement sa compétence pour fixer le salaire minimum », explique encore Me Najm Checrallah. Selon elle, « ce texte vise à protéger les droits des travailleurs alors que la mesure adoptée à travers le mécanisme mis en place tend plutôt à les pénaliser ».
Outre son recours en annulation, la Fenasol a également demandé au Conseil d'État de suspendre l'exécution du décret n° 3791, une question que la plus haute juridiction administrative doit trancher dans les deux semaines. « Le Conseil d'État peut mettre plusieurs mois pour statuer sur le recours en annulation, d'où l'intérêt de cette demande accessoire », éclaire encore Najm Checrallah. D'ici là, la Fenasol doit rencontrer M. Azzi pour aborder cette question et « convaincre le gouvernement de la nécessité de soutenir les travailleurs en augmentant le salaire minimum ou en ordonnant une baisse conséquente des prix des biens de consommation », indique M. Abdallah. Pour rappel, M. Azzi avait envisagé, quelques jours après la publication du décret n° 3791, la possibilité d'augmenter le salaire minimum mensuel à 1,2 million de livres (800 dollars), avant de temporiser face aux craintes d'une partie du patronat.
En attendant, à l'exception du ministère du Travail, l'exécutif est resté jusque-là pour le moins silencieux sur sa décision contestée, y compris dans le cadre de la procédure engagée par la Fenasol. « L'État disposait d'un délai de deux semaines suivant la date du dépôt du recours pour se manifester et désigner un représentant dans le cadre de cette procédure, mais nous n'avons encore reçu aucune notification », relève Me Saghieh.
Bien qu'en faveur d'un rétablissement du salaire minimum journalier à 30 000 livres, la Confédération générale des travailleurs libanais (CGTL) n'a pourtant pas choisi de contester le décret n° 3791 par les voies juridiques. Contacté à ce sujet par L'Orient-Le Jour, son président, Ghassan Ghosn, plaide pour que les rémunérations journalières « disposent de leur propre méthode de calcul et dépendent plus des évolutions du salaire mensuel ».

 

 

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