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Liban - La psychanalyse, ni ange ni démon

Mea Culpa Chers Lecteurs

Chers Lecteurs, vous êtes nombreux à me reprocher d'être souvent incompréhensible. Ce week-end, à l'occasion d'une discussion avec une amie qui m'est très chère et qui est aussi une fidèle lectrice, je me suis de nouveau rendu compte d'une évidence subjective. L'instant où l'on voit les choses, le temps pour comprendre et le moment pour conclure ne sont pas les mêmes pour tout le monde. Ces trois temps logiques, que l'on trouve dans les Écrits de Lacan constituent le temps subjectif, non le temps de la montre, qui permet à chacun de comprendre une énigme, sa propre énigme. Le psychanalyste n'en sait pas plus sur cette énigme que son patient à l'époque où il venait le voir pour les premières fois. Seulement, ce savoir, le patient a besoin de le supposer à son analyste pour pouvoir parler (le premier entretien) et continuer à parler (les entretiens suivants).

D'où le concept central dans la théorie lacanienne : l'analyste est un « sujet supposé savoir ». Non pas un sujet qui sait, mais un supposé savoir. Quant à ce savoir, il se déroule petit à petit au cours de l'analyse, la différence entre l'analyste et son patient étant d'ordre temporel, ce temps logique dont parle Lacan. L'analyste a parcouru plusieurs fois le chemin du déroulement du savoir, parcours qui est universel (le savoir sur l' Œdipe, le Complexe d' Œdipe). Ce parcours, commun à tous les vrais analystes, est la dimension scientifique de la pratique de la psychanalyse. Le patient, quant à lui, va le parcourir pour la première fois, et répéter inlassablement ce parcours. Jusqu'à la fin de l'analyse où il va « dé-supposer » ce savoir à son analyste. D'où une grande désillusion et ses conséquences, principalement la liberté. Ce thème sera développé dans un prochain article.

Mais la pratique de l'analyse est-elle du même ordre que sa transmission au public? En vous adressant ces articles chaque semaine, le savoir qui s'y déroule et s'y découvre est-il le même que dans les cures analytiques que je dirige dans mon cabinet de travail ? À cette question, fondamentale, chaque analyste doit se confronter. Il y va de la « scientificité » même de l'analyse : si l'analyste ne transmet pas une bonne partie de sa pratique et de sa théorie au public, rien ne prouve qu'il est analyste. C'est le sens de la publication par Freud, en 1900 de son Interprétation des rêves. Sinon, en l'absence de transmission de sa pratique, cette dernière s'apparente plus à l'occultisme ou, pire, relèverait du charlatanisme. Malheureusement, au Liban, ce genre de pratique est très courant.

Un minimum de garantie contre tout ce qui précède, particulièrement lorsque l'analyste se prend pour un maître, se trouve dans l'analyse personnelle de l'analyste. Elle doit être longue, très longue, afin de lui permettre de faire, de refaire et de refaire encore ce parcours du déroulement du savoir (Ferenczi, dans les années 20, recommandait cela aux analystes, Freud, quant à lui, poussait les analystes à faire une « tranche analytique » tous les cinq ans). Lacan cherchait le moyen de pousser les analystes à faire une sorte d'« analyse permanente ». Il soutenait même que dans son séminaire, il poursuivait son analyse personnelle, considérant son auditoire comme une « oreille d'écoute ». Voilà qui démontre que le savoir n'appartient à personne. A condition de s'y confronter.

Au début de l'histoire du mouvement analytique, fort de son savoir tiré des premiers pas de sa pratique analytique, mais pas encore sûr de sa théorie, Freud voulait « confirmer » cette théorie sur une de ses premières patientes hystériques, en lui posant un peu trop de questions. Cette patient hystérique, pressentant l'impatience de Freud et le risque de censure que cela comportait lui dit : « Taisez vous et laissez moi parler.  » Si cette patiente n'était pas hystérique, elle n'aurait jamais osé imposer le silence à Freud. Et si Freud n'était pas Freud, il ne se serait pas tu. Grand moment dans l'histoire de la psychanalyse sans lequel nous n'aurions pas eu la Règle de l'association libre et la liberté de parole qu'elle permet. Freud s'est tu, permettant à la patiente hystérique de dérouler son savoir. Très rares sont les médecins qui aujourd'hui ne jetteraient pas à la porte cette « insolente ».

Il y a déjà plus d'un an et demi, lorsque L'Orient Le Jour m'a offert cette opportunité de publier sur la psychanalyse un article hebdomadaire dans ses colonnes, j'y trouvais non seulement l'occasion de transmettre l'analyse, mais aussi celle de poursuivre mon analyse personnelle. Ce qui veut dire Chers Lecteurs que vous êtes aussi en position de « sujet supposé savoir ». Autrement dit, en position d'analyste. Et moi, en m'adressant à vous, en position d'analysant. Car toute personne qui parle s'adresse à un Autre, et se trouve en position d'analysant. Pratique socratique à l'appui.

 

 

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