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Moyen Orient et Monde - Reportage

À Istanbul, les clandestins arméniens rêvent de sortir de l’ombre

Le 10 octobre, la Turquie et l'Arménie doivent signer un accord historique pour établir des relations diplomatiques.

Chassés de leur pays par la crise, des milliers d'Arméniens ont bravé leur peur des Turcs et les risques de la clandestinité pour chercher fortune à Istanbul. Avec le rapprochement en cours entre la Turquie et l'Arménie, ils espèrent pouvoir vivre au grand jour.
Le 10 octobre, les deux pays, opposés sur la question des massacres d'Arméniens par les Ottomans en 1915 qu'Erevan qualifie de « génocide », doivent signer un accord historique en vue d'établir des relations diplomatiques et de rouvrir leur frontière commune, fermée depuis 1993. En attendant, la vie suit son cours à la gare routière du Caucase et des Balkans, dans un quartier populaire d'Istanbul, où chaque semaine cinq à six bus en provenance d'Erevan viennent déposer leur lot de commerçants et de candidats à l'émigration, au terme d'un voyage de 35 heures via la Géorgie.
Sveta, elle, est arrivée sept ans plus tôt dans la mégapole turque. Armée d'un grand sourire constellé de dents en or, la matrone, aujourd'hui âgée de 55 ans, se souvient de ses frayeurs à l'idée d'aller vivre chez les Turcs, mais insiste surtout sur leur absence de fondement. « Au début, j'ai travaillé dans un atelier de fabrication de chaussures. J'étais la seule femme au milieu de 40 hommes, la seule Arménienne au milieu de 40 Turcs, raconte-t-elle. En fait, ils se sont toujours comportés avec moi comme avec une grande sœur, jamais ils ne m'ont dit quelque chose de méchant. » Sveta vit avec ses deux filles, son gendre et ses deux petits-enfants dans un deux-pièces sans chauffage et son visa - la Turquie accorde un droit de séjour d'un mois aux Arméniens - a de longue date expiré. Pourtant, elle ne regrette pas son choix. « Aller en Turquie, ça ne coûte pas cher du tout, et puis ici, il n'y a pas de problèmes. (...) La police ne me pose jamais de questions », explique-t-elle, évoquant a contrario les tracas policiers et la cherté de la vie à Moscou, principale destination de l'émigration arménienne.
Selon Fabio Salomoni, sociologue italien de l'université stambouliote Koç et auteur d'une recherche sur les migrations caucasiennes vers la Turquie, le nombre d'immigrés arméniens atteindrait environ 20 000, souvent des femmes d'âge mûr employées comme femmes de ménage ou gardes d'enfants. La présence à Istanbul d'une communauté arménienne autochtone - environ 70 000 personnes - constitue un facteur important dans le choix des migrants, explique le chercheur. « L'existence de cette communauté et le fait que la ville est parsemée de symboles arméniens concrets renforcent leur sentiment de sécurité : ils se sentent un peu chez eux », estime-t-il.
Pour Suzan, 51 ans, le choix de la Turquie s'est avéré très rentable. Enseignante, la quinquagénaire a multiplié par sept son salaire - de 50 à 350 dollars mensuels - en venant à Istanbul donner des cours aux enfants des immigrés clandestins arméniens. Dans la cave abritant son école de fortune, elle évoque sa peur des policiers, son malaise à devoir vivre clandestinement. « Les gens de ma famille qui sont restés en Arménie ne connaissent pas la Turquie, ils ont du mal à accepter ce que je fais et ça ajoute à ma tristesse », confie-t-elle. L'institutrice rêve de voir les relations s'améliorer entre la Turquie et l'Arménie pour pouvoir « vivre mieux », et peut-être monter « un petit business » entre les deux pays. Pas question cependant de transiger sur le sujet de la reconnaissance par les Turcs du caractère génocidaire des massacres d'Arméniens de 1915, réclamée par Erevan et rejetée par Ankara. « Ce n'est pas possible, c'est notre histoire et nous ne pourrons pas l'oublier », affirme-t-elle.

 

Nicolas CHEVIRON (AFP)

Chassés de leur pays par la crise, des milliers d'Arméniens ont bravé leur peur des Turcs et les risques de la clandestinité pour chercher fortune à Istanbul. Avec le rapprochement en cours entre la Turquie et l'Arménie, ils espèrent pouvoir vivre au grand jour.Le 10 octobre, les deux pays, opposés sur la question des massacres...
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