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Liban - Reportage

Ersal, une « énorme prison » pour ses propres habitants

Deux ans après les violents combats entre l'armée et les jihadistes à Ersal, en août 2014, « L'OLJ » part à la rencontre des habitants de cette localité sunnite de la Békaa, frontalière de la Syrie.

Vue générale de Ersal. Photo Nour Braidy

Il faut traverser trois barrages de l'armée libanaise pour emprunter le seul passage creusé dans la montagne, menant vers la ville de Ersal. En contrebas de la route, une plaine couverte de centaines de tentes blanches abritant des réfugiés syriens se dévoile. Les campements encerclent la quasi-totalité de cette localité sunnite de la Békaa, frontalière de la Syrie. D'un coup, l'entrée dans la ville, avec ses petites maisons en parpaing inachevées et construites de manière sauvage, se fait violente. Le va-et-vient des motos vrombissantes est incessant, le sable s'échappant des carrières environnantes emplit l'air, et les commerces de toutes sortes s'étalent à l'infini.

En cette journée du début d'août, Ersal a toujours un goût amer. Ses habitants gardent un souvenir vif des violents affrontements qui avaient opposé il y a deux ans exactement l'armée à des jihadistes venus la plupart de Syrie. Les combats, au cours desquels plusieurs soldats ont été tués et enlevés, ont duré cinq longs jours. Si, depuis, les seize soldats retenus en otage par ce qu'on appelait le Front al-Nosra (Front Fateh el-Cham) ont été libérés, neuf soldats restent toujours otages du groupe État islamique (EI, Daech). Les habitants de Ersal se sentent, eux, prisonniers dans une localité désormais habitée majoritairement par des Syriens et délaissée par le gouvernement.

 

(Lire aussi : Appels au gouvernement pour rétablir l’ordre à Ersal)

 

Ni hôpitaux ni opportunités de travail
Rima Karnabi Flitt, la nouvelle vice-présidente du conseil municipal, est bien consciente du poids infligé à sa localité, victime de sa localisation géographique. Elle garde quand même le sourire et l'espoir. Elle « croit malgré tout en l'État » et elle est certaine qu'en six ans (la durée du mandat municipal), « beaucoup peut être accompli ». « Ersal est délaissée par le gouvernement et les institutions publiques sont quasi inexistantes, pourtant il y a environ 35 000 habitants qui vivent ici », souligne Mme Flitt, installée dans une salle de réunion du conseil municipal. Autour d'elle, des employés de la municipalité et des habitants de la ville sont réunis. Ils sont venus l'écouter parler comme pour se rassurer que l'avenir sera meilleur.

À Ersal, il n'y a ni hôpitaux ni registres d'état civil. Et les opportunités de travail sont inexistantes. Mme Flitt souligne aussi que depuis les affrontements de 2014, les habitants n'ont plus accès à la téléphonie mobile 3G. « Quand nous avons demandé des explications, on nous a dit que c'est pour que les éléments armés n'en profitent pas. Sauf que, lorsqu'on monte dans le jurd (où les combattants jihadistes sont retranchés, NDLR), il y a la 3G ! » dénonce-t-elle.

La responsable reproche aussi à l'État de ne pas avoir organisé le flux massif des réfugiés vers la ville. Selon elle, ils sont aujourd'hui 90 000 réfugiés inscrits à Ersal. « Mais il y en a certainement plus, surtout que nombre de ceux qui se trouvaient ailleurs dans le pays commencent à venir à Ersal », précise-t-elle.
La menace pèse-t-elle sur Ersal ? « Bien sûr, il y a une menace. La situation dans la ville n'est pas très sûre, répond Mme Flitt. Heureusement que l'armée se trouve aux abords de la localité. Nous avons besoin de la protection de l'État. »

 

(Lire aussi : Zones frontalières : toujours pas de volonté politique d'assurer la sécurité des habitants)

 

 

« L'aide va aux Syriens et pas aux Libanais »
La crise des réfugiés, cumulée à la présence du Hezbollah, de l'EI et du Front Fateh el-Cham dans le jurd de Ersal, mène le village droit à l'implosion économique. Les habitants de Ersal vivaient de leurs carrières et de leurs terres qui se trouvent dans le jurd. Or, depuis deux ans, tout a changé. Tous les terrains sont sous le contrôle des éléments armés et de nombreux cerisiers et abricotiers ont été coupés. De ce fait, Mme Flitt a demandé à l'État de compenser les pertes des agriculteurs qui s'élèvent « à au moins 22 milliards de livres libanaises par an ».

À l'intérieur du village, la situation n'est pas meilleure. Selon des études faites par la municipalité, contre 4 ou 5 commerces appartenant à un Syrien, il y a seulement un commerce appartenant à un Libanais. Mais Ersal ne reçoit-elle pas un soutien des organisations internationales en tant que localité hôte ? Ce n'est pas vraiment le cas. « L'aide va aux Syriens et pas aux Libanais », souligne Mme Flitt. Pour elle, une scène en particulier vaut mille mots : les enfants syriens vont à l'école en autocar alors que l'enfant libanais s'y rend à pied, en été comme en hiver. « Nous avons peur qu'en cas de besoin, les habitants se tournent vers les vols et les crimes. Au final, un père veut nourrir ses enfants », lâche la responsable.

 

 

 

 

« Nous sommes devenus les réfugiés »
À l'extérieur du siège du conseil municipal de Ersal, la vie continue. Tant bien que mal. Sur la place al-Jamerek, la place centrale de la ville, Mohammad Abdellatif Hojeiri s'arrête un instant avant de se diriger, pour la seconde fois de la journée, vers une école où il donne des cours à 1 250 élèves syriens divisés en deux groupes, un premier le matin et un autre le soir. S'il partage l'inquiétude de Rima Karnabi Flitt concernant la régression de la qualité de l'enseignement, c'est surtout la situation économique qui empire et les salaires qui baissent drastiquement qui l'attristent. « La situation est intenable », lance-t-il, amer, avant de reprendre la route.

Sur les murs de la ville, l'on peut voir quelques pochoirs représentant le logo de l'EI. « Ils sont anciens et datent de l'époque des affrontements », s'empresse de préciser un membre du conseil municipal, Abdel Wahab Hojeiri. S'il ne nie pas qu'il pourrait y avoir, « comme partout ailleurs », des armes dans la ville, il assure qu'il n'y a « jamais d'apparition d'éléments armés ».

Dans l'une des multiples ruelles de Ersal, une petite construction en béton, peinte en blanc, fait le coin. Sur le mur, il est marqué avec de la peinture verte « clinique de Ersal » et quatre mots : « Enfants. Traitement médical. Urgences. » Hana' Mohammad Ezzeddine est à l'accueil. Elle est infirmière « et presque médecin », dit-elle. Ici, les patients peuvent consulter un pédiatre, un gynécologue, un dermatologue ou un ophtalmologue, à 20 000 LL. « Le nombre de patients a beaucoup diminué, les Libanais n'ont plus les moyens de venir consulter et les Syriens vont aux cliniques qui leur sont réservées et qui leur sont gratuites », explique-t-elle, assise derrière son bureau. « Si seulement Ersal pouvait redevenir comme avant, murmure-t-elle les larmes aux yeux. Nous étouffons. » Ses deux collègues, qui l'écoutent par l'entrebâillement de la porte, sont elles aussi émues. « Avant, les Syriens étaient des réfugiés, aujourd'hui nous nous sentons réfugiés chez eux », dit Hana'.

 

(Pour mémoire : Rima Flitt : Restituer à Ersal ses lettres de noblesse)

 

« Je n'ai plus rien... »
Même son de cloche chez Hamid Flitt. Assis derrière la caisse de son supermarché, le jeune homme est plongé dans ses calculs. Ce qui l'exaspère particulièrement, ce sont les contrôles de l'armée à l'entrée de la ville. Même s'il salue la présence de la troupe, il ne peut s'empêcher de se sentir étouffé. « Tout m'étouffe! lance Hamid. Les barrages par lesquels je dois passer à chaque entrée et sortie du village ! La situation économique ! Tout ! Nous sentons que nous vivons dans une énorme prison. » Pour lui, « la crise économique est plus dure à vivre que la guerre ». « Cette année est ma pire année depuis bien longtemps, explique-t-il. Mon travail a diminué en raison de la concurrence des Syriens. Pour eux, l'éducation et les soins de santé sont gratuits, mais pas pour nous. Comme ils ont moins de dépenses, ils ont plus de rentrées. »

Mohammad Braidy, militaire à la retraite, écoute la conversation et hoche la tête en signe d'approbation. « J'ai des terrains de cerisiers dans le jurd, mais ils sont aujourd'hui occupés par les jihadistes et le Hezbollah. Mes arbres sont probablement morts, cela fait deux ans que je n'ai pas pu m'en occuper. Avant, les cerisiers constituaient la source première de mes revenus. Maintenant je n'ai plus rien... »

 

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Il faut traverser trois barrages de l'armée libanaise pour emprunter le seul passage creusé dans la montagne, menant vers la ville de Ersal. En contrebas de la route, une plaine couverte de centaines de tentes blanches abritant des réfugiés syriens se dévoile. Les campements encerclent la quasi-totalité de cette localité sunnite de la Békaa, frontalière de la Syrie. D'un coup, l'entrée...

commentaires (3)

Ersal n'est pas gaza. .. A Ersal on empêche personne de partir ceux qui y sont sont forcément des bactéries wahabites molles ou dures. A gaza c'est carrément une prison à ciel ouvert. Faut pas confondre et foncondre. ..

FRIK-A-FRAK

14 h 49, le 04 août 2016

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Commentaires (3)

  • Ersal n'est pas gaza. .. A Ersal on empêche personne de partir ceux qui y sont sont forcément des bactéries wahabites molles ou dures. A gaza c'est carrément une prison à ciel ouvert. Faut pas confondre et foncondre. ..

    FRIK-A-FRAK

    14 h 49, le 04 août 2016

  • D'après la description de la situation par les habitants de Ersal, il est clair que la petite ville est occupé par les Syriens. Dans ce cas, et puisque l’armée est paralysée par l'inaction du gouvernement, il est de leur devoir de prendre les devants et obliger les Syriens a quitter la ville par tous les moyens! Apres tout c'est leur pays qu'ils défendent et ainsi ils auront donné un coup de main a l’armée et forcer la main du gouvernement. Les Syriens doivent avoir seulement deux choix: 1-Accepter de s'installer dans des camps sous contrôle de l’armée et supervision de l'ONU. 2-Retourner dans leur pays. Tout autre alternative doit être considérées comme une agression et traitée en fonction. Ce n'est pas parce qu'ils vivent un drame qu'ils peuvent se permettre n'importe quoi! C'est incroyable ces arabes qui pensent que tous leurs est permis et acquis dans leur malheur et ne respectent pas le pays hôte, en particulier le Liban qui a toujours donné avec tant de générosité et sans contre partie! Je ne me rappelle pas que durant les 30 ans de guerres et d'occupations, les Libanais, de n'importe quel bord, se soient jamais comportés de la sorte!

    Pierre Hadjigeorgiou

    10 h 14, le 04 août 2016

  • Ersal résume en effet tout le liban ou les réfugiés syriens commencent à devenir citoyens libanais à part entière.

    Sabbagha Antoine

    08 h 13, le 04 août 2016

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