Libanaise de naissance, Maya Élias Nassar livre son premier roman Femme natale* édité par Noir blanc etc...
Ses études scéniques et audiovisuelles à l'USJ se font ressentir dans une écriture aux allures cinématographiques. L'auteure propose la tentative d'une (re)naissance d'une femme de 40 ans après une rupture amoureuse, au rythme de 40 chapitres – 40 pas pour effectuer le deuil du passé et d'un amour douloureusement persistant.
Au premier abord, l'idée paraît séduisante jusqu'à ce que le lecteur se confronte à une écriture contrastée. La rédaction se montre parfois fragmentée, une certaine souffrance se fait deviner pour arriver à libérer des paroles intimes. La plume de Maya Nassar ne laisse pas indifférent : elle peut secouer et même parfois déranger. Mais le roman a le mérite de poser des mots et des images sur des sentiments parfois difficiles à verbaliser. Femme natale savoure davantage les mots plutôt que de présenter une histoire qui tient en haleine. L'auteure présente avant tout un cri qui vient du fond des entrailles, une série de mots sensoriels qui se lient, se croisent et se bousculent, formant un dédale dans les sentiments secrets de l'âme. Pour apprécier le style onduleux des 40 «pas-chapitres», le lecteur doit effectuer le 41e pas consistant à adopter une posture d'abandon. Comme Maya Nassar l'a conseillé dans une interview radio, «je veux que mon lecteur me lise avec un verre de vin». Ce n'est qu'en se laissant bercer qu'il délectera alors la vision poétique du personnage sur le monde qu'il l'entoure.
Quarante goûts de pluie
L'originalité du roman tient au rapport que l'auteure entretient avec l'eau: intitulés sous la forme de «la pluie a le goût de la folie, de l'enfance, de l'émoi, du dépit, de la légèreté...», les chapitres présentent quarante goûts de pluie différents pour exprimer sa tristesse et sa rancœur face à un amour perdu pour toujours. Ces pleurs de pluie constituent alors une surprenante vision de Beyrouth la méditerranéenne. Beyrouth et la femme sont finalement intrinsèquement liées : Beyrouth n'est plus que le reflet introspectif d'une féminité déçue par l'amour. La ville devient fatale et la femme natale. «Beyrouth devient une déchirure béante, aussi géante que la tristesse.» Maya Nassar offre un portrait juste de la capitale libanaise, non sans une patte sensible: son regard s'arrête sur des mains, croise le Petit Prince vendeur de roses... et incite à réfléchir sur le rapport que chacun entretient avec cette fourmilière urbaine. «Beyrouth est là dans toute sa splendeur, ses contradictions indécrottables, ses rêves mal interprétés, ses souvenirs désorientés (...) elle dort dans sa glorieuse histoire et quand elle est réveillée par une bombe, elle pleure ses amants oubliés et de temps en temps, souffrant du vide, elle crie sa révolte et son ciel bleu (...) Pars. Vas-y pars! Pars mon amour, moi j'ai changé d'avis, je reste.»
On pourrait penser qu'elle peindrait, à travers ces lignes, l'amour idéal mais le personnage principal se trouve surtout en quête de discernement: inventons-nous l'amour porté à quelqu'un? L'amour grand «A» se révèle sous une chaîne de «a» minuscules. «L'amour qu'on vit tient d'autres choses comme le respect. L'amour est la foi de l'infini, de l'éternel. En faisant le bilan d'un grand amour, ce sont seulement les grands moments de courte durée qui font les "a" minuscules», explique l'auteure. L'éphémère rappelle le lecteur à l'ordre: on se nourrit de désespoir mais on vit pour l'espoir, charnellement, comme Beyrouth. Décidément, la pluie a aussi un goût de lecture.
* « Femme natale », Maya Élias Nassar, éditions Noir blanc etc., 2015, 413 p.
Disponible à la Librairie Antoine.
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