Intifadas

Le monde ne devient pas fou. Le monde suit son cours. Naturellement. La logique est métallique. C'est impressionnant de fluidité, d'évidence. Rien de ce qui se passe aujourd'hui n'est surprenant. Même pas étonnant. Ni la barbarie ni le terrorisme, sous toutes leurs formes, physiques, politiques ou intellectuelles. Ce IIIe millénaire, nous, humains, ne l'avons peut-être pas voulu ainsi, mais c'est exactement comme cela que nous l'avons forgé, préparé, encouragé. Rationnellement et aveuglément. Nous (l')avons laissé faire. Et nous continuons. C'est pratiquement irréversible.

Nous humains, chrétiens, musulmans et juifs, sommes pleinement responsables des attentats de Bagdad, Bruxelles, Istanbul, Qaa, Médine, Dacca, Orlando, Nice et tous les autres ; responsables de ces flambées de fascisme bubonique 2.0 qui n'ont plus besoin de grand-chose pour se transformer en incendies généralisés aux États-Unis et en Europe ; responsables de l'hystérie systémique et criminelle du sionisme. Nous humains, chrétiens, musulmans et juifs, payons le prix, de plus en plus exorbitant, de ce péché capital qui nous bouffe jusqu'à l'os : notre paresse.

Parce que nous le sommes : fondamentalement et organiquement paresseux. Pleinement conscients des monstres que ces trois monothéismes peuvent engendrer une fois pris en otage par une (petite) minorité de croyants, nous savions que tout cela allait advenir de nouveau. Que l'histoire n'est que cycles, que résurrections, que répétitions, sauvages, tellement sauvages. Pleinement conscients, mais catatoniques, ou hystériques - c'est la même chose.

Les religions sont comme les vers luisants : pour briller, il leur faut l'obscurité. Un certain degré d'ignorance générale est la condition de toutes les religions, le seul élément dans lequel elles peuvent vivre. Arthur Schopenhauer, encore et toujours lui...

L'islam dévoyé n'a rien à envier au christianisme fanatique des temps passés. Sauf qu'au lieu de profiter de ces 600 ans d'écart, des errements et des erreurs apocalyptiques de celle qui l'a précédée, au lieu d'apprendre, la religion musulmane n'a rien fait. Aucune remise en question, aucune réforme, aucune mesure, aucune révolution copernicienne, pourtant cruciale, rien. Rien dans les théocraties saoudienne et iranienne, rien de la part des grands muftis, rien dans les écoles coraniques, rien dans les mosquées. Ou si peu. Les musulmans modérés, principales victimes, sont aussi des complices. Complices parce qu'ils restent silencieux. Idem pour les chrétiens modérés, principales victimes et tout aussi complices des déviances que certains infligent au christianisme. Complices, parce qu'ils votent sans le moindre discernement. Rarement cet œil pour œil dent pour dent n'aura été aussi dévoyé : le terrorisme moral d'un Donald Trump, le fanatisme populisto-xénophobe d'une Marine Le Pen et de ses consorts européens ne font pour l'instant aucune victime, certes, mais leur violence n'a rien à envier, toutes proportions gardées, à celle de l'État islamique. Idem, enfin, pour les juifs modérés, principales victimes et pareillement complices de l'infection du judaïsme par cet hypersionisme que rien ne semble pouvoir arrêter et contre lequel est mort un ex-faucon, le décidément irremplaçable Yitzhak Rabin. Complices, là aussi, par leurs votes.

Nous humains, chrétiens, musulmans et juifs n'avons pas encore compris l'urgence d'une triple intifada, d'un triple renversement des tables (des matières), d'une triple refonte de ce qui, aussi laïcs, athées, agnostiques ou païens soyons-nous, in fine, nous meut, nous chavire et nous harponne : notre communautarisme affolé, et surtout affolant. Ce n'est pas suffisant, mais atrocement nécessaire. Nous n'avons pas encore compris que c'est contre nous-mêmes qu'il est impératif, d'abord, que nous nous retournions.