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Culture - Photographie

La montagne peut être une mère comme les autres

C'est au terme d'un projet qui aura duré trois ans que Nadim Asfar a voulu se pencher sur l'expérience du « jabal » libanais. En fait, il l'a presque invité, ou ressorti des tripes de ses souvenirs, pour en faire l'objet d'une exposition intitulée « Where I end and you begin, experiencing the mountain ». *

Montage Jabal el-Cheikh.

Surtout, ne pas se fier aux impressions sur papier journal ni à l'apparente économie ou perception « d'images fragiles qui s'effacent presque » (dixit l'artiste) que pourrait suggérer Where I end and you begin, experiencing the mountain, la nouvelle série de photos de Nadim Asfar. Il faut se rendre sur place, à la galerie Tanit où il expose ses clichés, pour comprendre qu'il s'agit là d'une photographie physique, voire musclée.
Le décor est dépouillé, quasiment clinique, et y trône en toute quiétude une trentaine d'œuvres selon un mode d'accrochage relativement classique. Des vues de montagne, de coteaux herbeux et de pans escarpés, parfois parsemés de reliefs rocheux et où s'invitent neige et brouillard, à l'occasion. Du bucolique doucement sec, fourmillant de couleurs sucrées et d'autres plus tendues, évoquant quelquefois le maniérisme d'une certaine peinture impressionniste pour de la photo qui ne l'est pourtant en rien. Nadim Asfar l'exprime ainsi : « Mes photos suggèrent exactement ce qu'elle montrent, voilà pourquoi j'ai insisté sur le terme expérience dans le titre de cette exposition. »

Un objectif pris d'exactitude
Cependant, le photographe ne dresse pas seulement un catalogue de beaux panoramas un peu lointains, de quasi-tableaux qu'on ne soupçonnait plus d'exister dans un Liban qui semble dégringoler dans un moule de béton. Tel un inlassable chroniqueur de la montagne libanaise, Nadim Asfar conduit son objectif épris d'exactitude à travers un paysage sur lequel il a penché ses recherches et qu'il a voulu « expérimenter puis comprendre, c'est-à-dire traiter comme de la matière. En veillant à dissocier la notion de paysage de celle du pays », explique-t-il. « Plusieurs hasards, dont des vacances passées en pleine nature dans le sud de la France, m'ont confirmé qu'il fallait que je m'attaque à ce sujet. Je me suis donc lancé sur les routes du Liban, à l'aide d'un guide et d'une petite caméra presque simple que j'avais abandonnée pendant plusieurs années. Et, sur place, j'attendais que les images viennent à moi », confie l'artiste. Bien que cette démarche soit quasi documentaire, les clichés dissimulent une portée philosophique, si bien qu'on peine à la déceler à première vue. Par contre, la force du récit, tantôt frontal et tantôt estompé, c'est qu'il n'est jamais linéaire. Dans des multiples où se révèlent une auréole cotonneuse, un plan serré granuleux, une ombre creuse, le givre du matin ou un soleil piquant, Nadim Asfar fait jaillir des silences et des vents, la nature souveraine, son éternité et toute l'intensité qu'il a ressentie en s'y confrontant et qu'il décrit « un peu comme des retrouvailles amoureuses, après une longue absence ».
Au-delà de tout cela, le photographe établit des connexions entre les lieux et leur histoire, des matières d'hier et des moments finalement hors du temps qui se développent à l'improviste, « en surgissant » dans une riche palette de couleurs. Ces instants, le photographe cherche ici à les piéger, à les miner de l'intérieur. Et de poursuivre : « J'ai investi ces espaces comme un chercheur, comme on débarque sur la lune, avec l'idée d'attraper ces images qui ont presque surgi de manière quasi animale. » Tranquilles et franches, ses photos ne dénoncent rien, elle ne chinent pas le beau non plus, l'exotisme encore moins. Elles se contentent d'être l'enregistrement, la transcription, l'archivage de « l'expérience de la montagne » qu'il a d'abord mijotée et ensuite vécue au cours des trois dernières années. Ce qui donne parfois l'impression que l'exposition bascule dans un aspect d'étude stricto sensu, qu'elle n'arrive que difficilement à dépasser l'exercice de style.

Basculer dans l'innocence
Une étude pour laquelle Nadim Asfar s'est rendu sur plus de « vingt points stratégiques de la montagne libanaise » dont Qobayate, Qannoubine, Jabal Moussa, Laqlouq, Sannine et le mont Hermon, et qui a assouvi son besoin viscéral, voire son « obsession » de traiter ce sujet presque frugal qui est, et c'est l'artiste qui le dit, « en plein dans les sentiers battus ». Car depuis son enfance bercée par le tintamarre de la guerre, Nadim Asfar était fasciné par cette montagne qui vivait en plein cœur des rivalités et en même temps « pouvaient à tout instant basculer de l'autre côté de l'innocence ». Sauf qu'au moment de passer à l'acte, d'aller se frotter et donner rendez-vous à la grandeur de ce paysage, il se pose une pléiade de questions. Comment traiter ce sujet sans tomber dans les clichés ? Comment éviter le nationalisme avec un sujet qui l'attise comme nul autre ? Comment l'aborder, le mettre sur papier glacé ? La réponse lui vient intuitivement : « J'ai décidé de me poser toutes ces questions en les travaillant, d'où la notion d'expérience de la montagne. »
Le titre de l'exposition, Where I end and you begin, est emprunté à la chanson de Radiohead. Il s'est imposé comme une évidence. Le tour de force de ces photos, humbles de proportion et de propos, est de donner à éprouver ce que serait de s'essayer à notre « jabal ». Nadim Asfar le formule ainsi dans le livret de l'exposition : « Un territoire dans lequel j'ai envie de m'abandonner et duquel j'ai envie de me protéger. » Par l'authenticité de la lumière et des couleurs, par des plans souvent précis comme la flèche et surtout par le choix de ce sujet d'une quotidienneté universelle, le travail de Nadim Asfar offre à arpenter ces lieux où la mémoire collective se cache dans les replis. Et pourquoi pas, de les emporter.

* « Where I end and you begin, experiencing the mountain », à la galerie Tanit, rue d'Arménie, Mar Mikhaël, jusqu'au 5 août 2016.

 

Pour mémoire
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